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Marguerite Yourcenar

Marguerite de Crayencour (dont Yourcenar est l’anagramme) est née à Bruxelles en 1903. Sa mère meurt quelques jours après sa naissance. Son père, installé en France puis en Angleterre, lui donne une éducation très grande-bourgeoise (précepteurs de langues) et lui fait partager, jusqu ’à sa mort en 1929, une vie cosmopolite et aristocratique. Marguerite Yourcenar ne cesse ensuite de voyager (Italie, Suisse, Grèce): elle s’installe aux USA en 1937, revient en Suisse puis retourne aux Etats-Unis en 39 pour enseigner dans deux collèges. C’est là qu‘elle s'installera définitivement, dans un petit village du Maine, sur la côte Est, pour y mener une vie consacrée aux voyages, aux conférences et à son œuvre littéraire. En 1968, Marguerite Yourcenar a reçu le Prix Fémina pour L’Oeuvre au noir, en 1974, le grand Prix National des Lettres pour l’ensemble de son œuvre, et en 1977 le grand Prix de l’Académie Française.
On a trop souvent rangé Marguerite Yourcenar parmi les romanciers de la tradition ; les choses sont moins simples, plus secrètes et multiformes. Il est vrai que, dès l’un de ses premiers livres, Alexis ou le Traité du vain combat, (1929), elle s’affirme comme un moraliste de la lignée gidienne. Alexis, ayant échoué dans son mariage, s’interroge sur lui-même, sur sa tentation homosexuelle, avant de parvenir à une forme de sagesse réconciliatrice. A ce personnage préoccupé de lucidité correspond un style rigoureux, tour à tour néo-classique -et précieux. De même, dans Le Coup de grâce, le modèle est la tragédie. Il faut une concentration extrême, une « dénudation volontaire de tout ce qui n’est pas l’essentiel ». écrit l’auteur dans sa Préface à la nouvelle édition de 1953. II s’agit d’un récit à la première personne, procédé qu’elle affectionne car il élimine le point de vue de l’auteur, récit d’un épisode peu connu de la guerre dans les pays baltes en 1918. Une caste aristocratique sur le déclin essaye, en vain, de résister à l’avance des bolcheviks. Ecrit vingt ans après les évènements qu’il relate, le roman né prétend pas à la reconstitution historique, mais veut signifier le désarroi moral qui est le nôtre. Marguerite Yourcenar n’y cherche aucun enseignement politique, mais simplement un « document humain », où se débattent des personnages «assez lucides pour se connaître et pour essayer de se juger. » Tels sont les thèmes récurrents de l’ensemble de son œuvre. On les retrouve dans le livre qui devait lui apporter le succès 'Mémoires d’Hadrien (1951). Plus qu’à un roman historique, nous avons affaire à des mémoires imaginaires où l’empereur romain, parvenu à la fin de sa vie, se juge lui-même et, ce faisant, perçoit la décadence qui menace l'Empire du lié siècle. C’est à nouveau une méditation sur un monde qui se termine, et en ce sens, une œuvre d’une tonalité très contemporaine. Il est d’ailleurs remarquable que Le Coup de grâce ait été porté à l’écran en 1976 par le réalisateur allemand Volker Schoendorff. Méditation que Marguerite Yourcenar n’a cessé de remettre sur le métier... Sous bénéfice d’inventaire 1962 — est un recueil de souvenirs et de préfaces composé selon un mouvement cyclique semblable à celui de ses biographies apocryphes. On va de la décadence romaine à celle du monde occidental actuel. La boucle se referme, s’enveloppant et s’interrogeant sur les références qui ont ponctué la vie et l’œuvre de l’auteur — Piranèse, Cavafy, Thomas Mann... « Tous ces récits modernisent le passé » dit-elle dans sa préface à la réédition de Feux, recueil de proses lyriques sur le thème de l’amour illustré par des personnages mythiques ou réels de la Grèce antique (Phèdre, Achille, Antigone, Sappho...). On pourrait croire à quelque nostalgie ambiguë, à une culture qui se nourrit complaisamment de passé. Mais Marguerite Yourcenar dit elle-même que son monde est plus « délirant » que celui de la tradition giralducienne. Elle est davantage du côté de Cocteau, du « génie mystificateur et sorcier ». Et c’est pourquoi elle revendique un expressionnisme baroque. Nous sommes loin ici du moraliste néo-classique. Le roman qui procure la synthèse de ces tendances apparemment contradictoires est sans nul doute son chef-d’œuvre : L'Oeuvre au noir. Biographie intellectuelle d’un personnage fictif du XVIe siècle, Zénon, médecin, alchimiste, philosophe, ce roman procède de la même démarche érudite que Mémoires d’Hadrien. Marguerite Yourcenar a voulu donner à son récit un fondement historique précis. Son personnage est un composé, quant à ses idées notamment, de Paracelse, Michel Servet, Léonard de Vinci et Campanella. Mais là n’est pas l’essentiel. Ne s’agit-il pas d’un prétexte à une réflexion sur la Connaissance, à une critique angoissée des structures mentales et institutionnelles sur lesquelles reposent encore notre monde et notre société. L'Oeuvre au noir, en alchimie, c’est la phase de dissolution de la matière, et donc symboliquement, le moment crucial où l’individu parvient, dans sa quête de la vérité, à se libérer de ses préjugés. Zénôn «se servait de son esprit comme d’un coin pour élargir de son mieux les interstices du mur qui, de toutes parts, nous confine. » La recherche de l’essentiel conduit Marguerite Yourcenar non pas à l’unicité mais bien à la multiplicité. Son œuvre ne consiste-t-elle pas en une inlassable entreprise de « work-in-progresss ? » Elle n’a cessé de reprendre ses textes, publiant successivement de multiples versions remaniées, récrites, revues, corrigées. Cette volonté de perfectionnement est bien le signe d’une quête d’harmonie totalisante, d’alchimie essentielle. « On ne bâtit un bonheur que sur un fondement de désespoir. Je crois que je vais pouvoir me mettre à construire. », écrivait-elle déjà dans Feux. Il y a de l’ascèse dans cette démarche tour à tour dynamique et statique. Et l’on comprend que Pierre Emmanuel ait pu écrire : « Un livre de Marguerite Yourcenar est de ceux qui ne se lisent que dans le silence, le temps d’un moment suspendu. »
YOURCENAR Marguerite
[Marguerite de Crayencour] 1903-1987 Romancière, née à Bruxelles, de parents français. Voyageuse à l’infatigable curiosité et, dans le même esprit, traductrice : de l’anglais (en particulier Virginia Woolf), du grec (ancien et même moderne) ; historienne, si l’on peut dire, de son ascendance maternelle et paternelle (Le Labyrinthe du monde, en plusieurs volumes ; inachevé, 1974-1988). Mais c’est aussi une essayiste (Sous bénéfice d'inventaire, 1962) et un auteur dramatique (Electre ou la Chute des masques, 1954). C’est enfin - ou, peut-être, avant tout - une moraliste. Et à cette dernière activité, sans doute, il faut rattacher son roman historique L'Œuvre au noir (1968), et le livre universellement admiré, ajuste titre, où elle se fait la mémorialiste imaginaire d’un empereur romain, l'homme - dit-elle - le plus ondoyant et divers qui fût jamais : Les Mémoires d’Hadrien (1951). En outre, Marguerite Yourcenar est, comme on dit, un « personnage », et il faut lire cet « autoportrait » dialogué : Les Yeux ouverts (1980). C’est la première femme à accéder à l’Académie française (1980). Mieux encore, elle est publiée (1982) dans la « Bibliothèque de la Pléiade ».
YOURCENAR Marguerite (pseud. de Marguerite de Crayencour). Romancière française. Née à Bruxelles le 8 juin 1903 « d’un Français appartenant à une vieille famille du Nord, et d’une Belge dont les ascendants avaient été durant quelques siècles établis à Liège, puis s’étaient fixés dans le Hainaut. ». Sa mère, qui appartenait à une famille de petits aristocrates terriens, mourut quelques jours après l’avoir mise au monde. Le père avait rompu avec les traditions bourgeoises. Jeune homme, il s’était engagé dans l’armée, avait déserté par deux fois et avait dû s’exiler. Il avait la passion du jeu et ne semblait pas devoir être un bon éducateur. Mais il ne voulut pas mettre sa fille en pension et lui assura une excellente éducation privée : c’est bien lui qui encouragea l’enfant Marguerite dans l’étude des langues anciennes et de la littérature. Sans doute lui donna-t-il aussi le goût des voyages. Avec lui, elle découvrit l’Italie, la Suisse, la Grèce. Elle ne suivit jamais de cours réguliers, mais n’en obtint pas moins, à seize ans, son baccalauréat, a Aix-en-Provence. C’est peu après qu’elle forme le projet d’écrire sur la vie de l’empereur Hadrien et sur le médecin Zénon. Ou peut-être faut-il simplement dire que, dès son adolescence, elle choisit ces deux grands personnages comme compagnons imaginaires et comme sujets de rêveries. Ils se développeraient en elle à mesure qu’elle-même engrangerait une moisson de connaissances et d’expériences. Yourcenar n’est pas un écrivain aux inspirations subites, mais un artiste qui laisse mûrir longuement ses œuvres. Au reste, elle ne considère jamais un de ses textes comme accompli. Les rééditions de ses ouvrages se présentent comme de nouvelles versions — et parfois assez différentes — des versions originales. C’est que Yourcenar considère qu’un écrivain ne doit cesser de creuser ses thèmes et d’affermir son style. Son premier roman, Alexis ou le traité du vain combat (1929) s’inscrit dans la ligne des récits gidiens et il en va de même pour La Nouvelle Eurydice (1931). Yourcenar fait ses débuts d’essayiste et de traductrice avec un Pindare (1932). L’histoire contemporaine lui inspire Denier du rêve (1934), qui se situe dans l’Italie mussolinienne. En 1934, le médecin Zénon apparaît pour la première fois dans une des nouvelles de La Mort conduit l’attelage (1935). La même année, Yourcenar publie Feux, un recueil de réflexions et de proses poétiques sur les passions, dont le style rappelle parfois Cocteau. En 1938, voici un nouveau recueil de nouvelles Nouvelles orientales et un essai Les Songes et les sorts. En 1939, un bref roman raconte le drame d’amours non partagées, au cours de la lutte antibolchevique dans les pays baltes : Le Coup de grâce, qui est sans doute le chef-d’œuvre de la première époque de Yourcenar. A ce moment, elle a pourtant achevé une première version des Mémoires d’Hadrien . En 1937-1938, elle avait fait un premier voyage aux États-Unis. Elle y retourne après l'invasion de la France par les Allemands. Bien que dépourvue de diplômes et de toute expérience universitaire, elle occupe un poste de professeur, successivement dans deux collèges. C’est en 1950 qu’elle s’installe dans l’Ile des Monts Déserts, sur la côte atlantique, à l’extrémité nord des États-Unis. Ce sera désormais son port d’attache, qu’elle quittera d’ailleurs de moins en moins volontiers. Elle y vit en compagnie d’une amie et de plusieurs chiens. Sa seconde période littéraire commence en 1951 quand paraissent enfin les Mémoires d’Hadrien qui connaissent aussitôt un très vif succès. On découvrait avec surprise qu’on pouvait encore composer une œuvre humaniste de haute culture, traitant de problèmes éternels et capable de trouver des lecteurs fervents. Un deuxième roman historique, situé cette fois pendant la Renaissance, et constituant également un livre de sagesse, L’Œuvre au noir, parut en 1968. Il établit définitivement la renommée de Yourcenar. Entre ces deux romans, elle avait publié quelques pièces de théâtre, divers essais historiques et littéraires (Sous bénéfice d’inventaire, 1962), d’admirables traductions du poète grec Cavafy et de « negro spirituals ». Tout cela montrait l’étendue et la variété de ses curiosités. Elue à l’Académie royale belge de langue et de littérature françaises, elle fut reçue le 19 mars 1971. Une troisième période s’ouvrit pour elle : elle allait devenir un de ces « monstres sacrés » que sont les écrivains considérés de leur vivant comme auteurs classiques. Elle s’était lancée dans une entreprise très originale : une espèce de « recherche du temps passé » qui se présente comme une enquête sur ses ascendants, Le Labyrinthe du monde. Le premier volume, intitulé Souvenirs pieux (1974), est consacré à la famille du côté maternel et l’auteur essaie de remonter le cours de l’Histoire. Au contraire, dans Archives du Nord (1977), où il est question de la famille paternelle, le livre commence par une rêverie sur les origines de l’humanité. Un troisième volume devrait être consacré aux souvenirs déterminants de l’auteur lui-même. Le 6 mars 1980, Marguerite Yourcenar a été élue à l’Académie française en remplacement de Roger Caillois. ♦ « Mme Yourcenar connaît à merveille l'époque et la civilisation qu'elle retrace; et tout ce que l’on peut connaître du héros qu'elle anime, nul doute qu'elle le connaisse aussi. Elle n’introduit rien dans son œuvre qui ne soit vraisemblable. » Marcel Arland. ♦ « Une œuvre poétique pleine d’érudition qui m’a enchanté.» Thomas Mann. ♦ « Marguerite Yourcenar fait partie de cette famille spirituelle pour qui les frontières étanches, imposées autrefois par la raison, peuvent et doivent être traversées, pour qui passé, présent et futur ne sont qu’une affaire de perspectives, pour qui l’imaginaire est une catégorie du réel. » Jacques Brosse.