Marguerite Duras
Marguerite Duras (Marguerite Donnadieu) est née le 4 avril 1914 en Indochine, où elle reste jusqu ’à l’âge de dix-huit ans. Etudes : classe de philosophie, mathématiques spéciales, licence de droit, sciences politiques. Secrétaire au ministère des Colonies, de 1935 à 1941. Publie son premier roman, les Impudents, en 1943, Résistance. S’inscrit au Parti communiste en 1945, en est exclue dix ans plus tard. A partir de 1958, Marguerite Duras, ayant écrit dix-huit romans, élargit le champ de son œuvre au théâtre, au cinéma, à la télévision, au journalisme. Elle a reçu, en 1970, le prix Ibsen pour l’Amante anglaise. Qui aurait pu prévoir, lisant les premiers romans de Marguerite Duras, son glissement progressif vers les thèses formalistes et l’écriture objectale du Nouveau Roman ? Après les Impudents et la Vie tranquille, Un barrage contre le Pacifique, roman autobiographique, confirmait encore la place de l’écrivain, au début des années 50, dans le courant réaliste. Tout « néo » qu’il fut à l’époque, et malgré un détachement déjà perceptible de l’auteur par rapport à l’action, ce réalisme autobiographique n’annonçait en rien l’écriture neutre, en pointillés silencieux, de Moderato Cantabile. Un barrage contre le Pacifique : une Française de Cochinchine lutte avec ses enfants pour préserver une misérable lande de terre des déferlements de l’océan. A ce niveau, possibilité d’une lecture exotique et même, pourquoi pas, assez édifiante : la fable connue de l’effort humain contre l’anarchie naturelle. Mais derrière ce combat sans merci se trame un autre conflit : celui, assourdi par les fureurs océanes, des enfants contre leur mère. La solidarité obligée dans l’action (la lutte contre les eaux) recouvre, et d’une certaine manière ne fait qu’accuser, la solitude intérieure des personnages. Réunis par un commun destin, ils sont infiniment séparés par l’indifférence que chacun éprouve pour les autres. Forme : narrative, descriptive, classique. Fond : déjà le thème de la séparation. Le Marin de Gibraltar : là encore, une « histoire ». Un vacancier, qui promène son désœuvrement et sa lassitude de vivre sur les rivages italiens, rencontre une femme qui promène sur les mers sa fortune et ses rêves : il est disponible, elle cherche un marin qu’elle a aimé autrefois. Les deux personnages reprennent ensemble cette quête impossible du passé, de l’amour perdu corps et biens. Encore les thèmes de la séparation, de l’absence, qui domineront toute l’œuvre de Marguerite Duras. Les Petits Chevaux de Tarquinia : le roman appartient encore manifestement par l’écriture à la période du Barrage et du Marin. Affrontements larvés de personnages en vacances. En état de vacance agressive et ennuyée. Un climat fertile en menus incidents, auxquels se réduit l’action : pour la première fois dans un livre de Marguerite Duras, il ne se passe précisément rien. Rien que le sentiment tour à tour déconcerté et fasciné du lecteur, témoin d’un spectacle figé où cinq personnages, amollis de soleil et d’alcool, semblent perdre leur temps et, peu à peu, leur identité même. Cette sensible aggravation du thème conduira Marguerite Duras à nimber de plus en plus le psychisme de ses personnages, prisonniers de leurs propres mystères. Moderato Cantabile : le virage de Marguerite Duras, déjà amorcé par Des journées entières dans les arbres. Un roman bref et dépouillé, tout en silences que les accents somnolents d’un piano ne font qu’alourdir. L’insoutenable mystère d’un crime passionnel. Le crime est l’un des prétextes romanesques préférés de Marguerite Duras, qui l’exploitera encore dans Dix heures et demie du soir en été, et au théâtre, dans les Viaducs de Seine-et-Oise. Mais l’action criminelle, dans Moderato Cantabile, ne compte déjà plus pour elle-même : seuls importent le jeu des mobiles, des suppositions et des malentendus, le jeu de cache-cache des dialogues où deux êtres s’épient à travers leurs mots. Sur ce thème en or — très proche des recherches du Nouveau Roman, qui ne veut plus entendre parler d’action, de récit, d’histoire — l’art de Marguerite Duras touche à son accomplissement : Moderato Cantabile est sans doute son chef-d’œuvre. Détruire, dit-elle : deux personnages, Alissa et Elisabeth, se mutilent psychologiquement, se dépossèdent volontairement de leurs attributs — mari, amant, fortune ou habitudes — pour essayer de se trouver, de trouver chacune l’être de l’autre. Comme on l’a souvent souligné, l’œuvre de Marguerite Duras — que le cinéma a largement contribué à faire connaître — est sans morale ni philosophie. Lue chronologiquement, tout semble lentement s’y défaire, action et personnages, vers des prétextes d’action et des ombres de personnages. Détruire, dit-elle. Mais toujours pour faire surgir, sous les apparences enfin ruinées, ces quelques vérités enfouies, privées de lumière et de raison, qui font le mystère des êtres. Xavière Gauthier écrivait en préface à ses dialogues avec Marguerite Duras, les Parleuses : « S’il y a jamais eu une œuvre qui laisse autant les failles, les manques, les blancs inscrire leurs effets inconscients dans la vie et les actes des « personnages », c’est bien la sienne. » ► Bibliographie
Romans : les Impudents, Plon, 1943 ; la Vie tranquille, Gallimard, 1944 ; Un barrage contre le Pacifique, Gallimard, 1950 ; le Marin de Gibraltar, Gallimard, 1952 ; les Petits. Chevaux de Tarquinia, Gallimard, 1953 et Folio ; Des journées entières dans les arbres, Gallimard, 1953 le Square, Gallimard, 1955 ; Moderato Cantabile, Minuit, 1958 et 10/18 ; Dix heures et demie du soir en été, Gallimard, 1960 ; l'Après-midi de monsieur Andesmas, Gallimard, 1962 ; le Ravissement de Loi V. Stein, Gallimard, 1964 ; le Vice-consul, Gallimard, 1966 ; Détruire, dit-elle, Minuit, 1969 et 10/18 ; Abahn Sabana David, Gallimard, 1970, l'Amour, Gallimard, India Song, Gallimard. Théâtre : les Viaducs de Seine-et-Oise, Gallimard, 1960 Je Square, Gallimard, 1962 ; les Eaux et forêts, la Musica, Théâtre I, Gallimard, 1965 ; Suzanne Andler, Des journées entières dans les arbres, Yes peut-être, le Shaga, Un homme est venu me voir, Théâtre II, Gallimard, 1968. Scénarios : Hiroshima mon amour, Folio, 1960 ; Une aussi longue absence (en collaboration avec Gérard Jarlot), 1961 Ja Musica, 1966 ,la Voleuse, 1966 ; Dix heures et demie du soir en été, 1967 ; /'Ecriture bleue, 1971 ; Nathalie Granger, suivi de la Femme du Gange, le Camion, Minuit, 1977. Récit dialogué : l'Amante anglaise, Gallimard, 1967. Entretien : les Parleuses, avec Xavière Gauthier, Minuit, 1974.
Romancière et auteur dramatique, née dans l’ex-Indochine française. Elle a vécu jusqu’à l’âge de dix-huit ans à la « colonie », où résidaient ses parents. De ses premiers romans se détache Un barrage contre le Pacifique (1950), curieuse histoire, largement autobiographique, de la lutte menée par une femme - sa propre mère, institutrice - avec une opiniâtre inefficacité contre les eaux de l’océan. Très vite, Duras en arrive à se passer du support de l’intrigue traditionnelle, et l’équipe du Nouveau Roman lui fait des signes depuis Le Square (1955 ; qui sera porté plus tard à la scène) et Moderato cantabile (1958). Dans la NRF de juin 1958, Dominique Aury pouvait écrire à propos de cette dernière œuvre : « L’extraordinaire acuité de l’oreille et du regard, l’extraordinaire discrétion de l’écriture, vont de pair, chez Marguerite Duras, avec une intensité presque diabolique, qu’il s’agisse de la présence des êtres ou de celle des choses. » Hiroshima, mon amour (1959), scénario bâti selon des rythmes architecturaux, comme une cantate - avec des jeux de symétries sonores et de refrains (La faute, à Nevers, est d’amour. Le crime, à Nevers, est le bonheur...) -, lui ouvre un nouveau public, plus attentif et surtout plus large. Mais elle préfère poursuivre seule sa route : préoccupée, livre après livre, de mettre au point une nouvelle formule d’écriture, qui soit tout ensemble dialogue de théâtre, roman et poème. Dans cette voie périlleuse qu’elle s’est choisie, mise à l’abri de tout excès de cérébralité par une nature chaleureuse, toute d’instinct - à la Colette, pourrait-on dire, mais soucieuse de se dompter, friande d’ellipses, d’implicite -, ses réussites majeures sont sans doute : au théâtre, Les Viaducs de Seine-et-Oise (1960), Le Square (1962), La Musica (1965), Des journées entières dans les arbres (récit publié en 1954 et porté à la scène en 1965), Yes, peut-être et Le Shaga (deux œuvres audacieuses, deux échecs, 1968), L’Amante anglaise (roman écrit en 1967, joué au TNP en 1969); et, au cinéma, La Musica (nouvelle version, 1967), Détruire, dit-elle (publié sous forme de roman en 1969 et dont elle assure elle-même la réalisation en 1970); puis, Les Mains négatives (1980, roman où l’on trouvera cette phrase désormais célèbre : J’aimerai quiconque entendra que je crie) et ces deux romans frères, L’Amant (qui lui vaut le prix Concourt en 1984) et L’Amant de la Chine du Nord (1991).