Marcel CARNÉ
Originaire d’un milieu artisanal parisien, formé à la photographie aux Arts et Métiers, Marcel Carné accomplit ses premières armes en 1929 auprès de Jacques Feyder, puis devient journaliste de cinéma et assiste René Clair pour Sous les toits de Paris (1930). Mais dès 1929 il s’était lui-même lancé dans la réalisation de Nogent, Eldorado du dimanche, documentaire populiste et poétique filmé en décors naturels. Lorsqu’il réalise Jenny en 1936 et qu’il commence à travailler avec Jacques Prévert, ses aspirations le portent plutôt vers le Front populaire et il ne veut pas faire ces comédies à l’eau de rose qui marquent alors tellement le cinéma français. Paris, qu’il connaît bien, l'attire, non pour en donner un témoignage sociologique, mais pour y introduire la dimension du fatum, arbitre d’amours voués à l’échec, dans une tonalité pessimiste tempérée par l’humour de Prévert. Paris, superbement reconstitué en studio (le plus souvent sous la direction de Trauner), est le cadre de douze de ses films sur vingt et un: canal de l’Ourcq d’Hôtel du Nord, Barbés des Portes de la nuit, Montmartre de Juliette ou la clef des songes, Halles de L 'Air de Paris, sans parler du somptueux boulevard du Crime des Enfants du Paradis... construit à Nice! Certes, la Contrescarpe de Du mouron pour les petits oiseaux, le Clignancourt de Terrain vague et le Saint-Germain des Tricheurs ou des Jeunes Loups sont en partie tournés en décors naturels. Mais pour un réalisateur qui admire l’expressionnisme allemand et se trouve associé à un poète, seul compte le « réalisme poétique », expression à laquelle le réalisateur préfère d’ailleurs celle de Mac Orlan, le «fantastique social», perpétuant ainsi une tradition du cinéma français. «Baromètre de son époque», Quai des Brumes est un des plus importants succès du cinéma d’avant-guerre. Ses deux films de l’Occupation, Les Visiteurs du soir (allégorie des cœurs qui battent sous la chape de pierre comme ceux de la France sous la botte nazie) et le somptueux divertissement néo-romantique des Enfants du Paradis, sont les plus beaux fleurons du cinéma français de cette sombre époque. Après la guerre, avec l’irruption du néo-réalisme italien, le «réalisme poétique» semble désuet, et l’échec commercial des Portes de la nuit marque la séparation de Carné et Prévert. Le réalisateur s’intéresse alors à des sujets en apparence plus ancrés dans les réalités contemporaines, même si L'Air de Paris, par son atmosphère, est encore proche des films précédents. Les Tricheurs connaît un grand succès par sa peinture, pourtant contestée, de Saint-Germain-des-Prés. Plus tard, dans Les Jeunes Loups, il rend compte du mal de vivre d’une catégorie de la jeunesse des faubourgs de Paris. Dans Trois Chambres à Manhattan, il montre deux Français à New York, partageant une même solitude. Les Assassins de l'ordre décrit les rapports entre police et justice. Mais il serait erroné de voir une dichotomie totale entre la production de Carné avant et après la guerre. Son pessimisme à l’égard de la passion amoureuse, dévastatrice et condamnée par avance à l’échec, est bien présent dans le beau Thérèse Raquin adapté de Zola, et son goût pour l’éclosion du rêve apparaît dans Juliette ou la clef des songes. Dans La Merveilleuse Visite, un «ange» fait irruption dans une Bretagne à la fois intemporelle et bien réelle. Le réalisateur introduit alors une réflexion métaphysique qui lui valut d’être taxé de naïveté. En 1987, après plusieurs documentaires sur Lourdes, Rome, l’Albi de Toulouse-Lautrec ou la Bible peinte à Palerme, Marcel Carné, à près de quatre-vingts ans, réalise Mouche, a après son cher Maupassant: c’est en quelque sorte un retour à Nogent, Eldorado du dimanche, aux guinguettes et à l’impressionnisme.
CARNÉ, Marcel (Paris, 1909-). Cinéaste français. Il fut, avec son scénariste Jacques Prévert, l'un des chefs de file du réalisme poétique. Il réalisa notamment Quai des Brumes (1938), Hôtel du Nord (1938), Drôle de drame (1937), Les Visiteurs du soir (1942) et Les Enfants du paradis (1945), son chef-d'oeuvre.