Marc ALLÉGRET
Né en 1900 à Bâle (Suisse). Décédé en 1973 à Paris.
Longtemps considéré comme un cinéaste à l’univers insouciant, volontiers frivole et délibérément juvénile, Marc Allégret a bâti sa réputation sur son art à découvrir de jeunes talents, de Simone Simon à Gérard Philipe. Ce n’est certainement pas un hasard si son film le plus célèbre et le plus caractéristique a été précisément Entrée des artistes, qui décrit le milieu des jeunes comédiens, leurs amours, leurs intrigues, leurs espoirs et leurs désillusions. Lui-même remarquable directeur d’acteurs, homme d’une grande culture et d’un raffinement exquis, Marc Allégret est entré dans l’histoire du cinéma français dès 1927 par la «porte étroite» du témoignage en ramenant de son Voyage au Congo avec André Gide un film où affleure la séduction des corps d’ébène sur cet immoraliste de notre écran. Il reviendra d’ailleurs, en 1952, sur l’univers d’André Gide par un film-témoignage qui constitue une intéressante tentative d’effraction de l’univers d’un grand écrivain par la caméra indiscrète d’un habile observateur. L’un des plus réguliers créateurs des années trente, Marc Allégret sut être un pertinent analyste de l’âme et de l’univers féminins. Qu’il s’agisse de comédies (ou opérettes) telles que Mam ’zelle Nitouche, La Petite Chocolatière ou Zouzou, d’adaptations comme la Fanny de Pagnol, de chroniques douces-amères comme Les Petites du quai aux fleurs, La Belle Aventure, ou encore du trop méconnu Félicie Nanteuil dont la carrière fut entravée par la censure de Vichy, Marc Allégret a donné à ses portraits féminins une touche d’acidité oui est la marque d’une vision lucide et fascinée, entre attraction et répulsion: Lac aux dames (d’après Vicky Baum), Lunegarde (reconstruction du livre de Pierre Benoit non dépourvue de lecture critique), Maria Chapdelaine (d’après Louis Hémon) et même L'amant de Lady Chatterley (d’après Lawrence). Son chef-d’œuvre reste néanmoins le savoureux Hôtel du libre-échange, dont le scénario brode une série de situations vaudevillesques et distille un savant dosage de quiproquos conduit de main de maître. Jouant sur l’unité de lieu et les possibilités d’un décor de portes, couloirs, chambres et vestibules, le metteur en scène retrouve la grande tradition française d’un Feydeau, non sans un certain piment qui rehausse toujours les plus banales situations. Bref, L’Hôtel du libre-échange est un amusant reflet de la société française de 1934, à un tournant de son histoire. Sans jamais démériter vraiment, la carrière de Marc Allégret a su concilier les séductions du commercial (En effeuillant la marguerite, avec Brigitte Bardot, 1956) et les risques de l’adaptation d’œuvres subtiles ou audacieuses (Le Bal du comte d’Orgel, d’après Radiguet). Marc Allégret n’a donc pas toujours mérité le purgatoire auquel le condamnèrent souvent critiques et historiens au nom d’une exigence de «réalisme» que favorisait la confrontation familiale avec son frère Yves. Aujourd’hui, à y regarder de plus près, dans son élégance raffinée, sa calligraphie discrète, l’œuvre de Marc Allégret dépasse d’assez loin la production nationale courante et témoigne avec une grande justesse de ton sur une société dont l’insouciance était une manière d’oublier qu’elle allait à la fin de ses valeurs. On ne peut valablement étudier le cinéma du début du sonore aux années cinquante sans repérer, à travers les visages de femmes, les passions et les frivolités, les déchirements et les compromissions, l’ambiguïté profonde de la France de cette époque.
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