Maine de Biran: Signe
Signe
• La fonction du signe est le rappel de l’idée.
•• Lorsque, par la répétition de mouvements volontaires qui ont formé des perceptions, le sujet perçoit à nouveau les produits perceptifs en l’absence même d’impressions directes, il en a les idées, et ces mouvements deviennent signes naturels de ces idées en même temps que les marques par laquelle la volonté s’est manifestée. Lorsque ces mouvements initiaux sont eux-mêmes étendus par un « acte réfléchi » à d’autres manières d'être par le moyen des signes artificiels (de convention), le domaine du rappel s’étend à d’autres impressions (plus fugitives) et à d’autres mouvements (moins intenses). Tout signe artificiel re-marque la volonté et n’a donc de sens « qu’enté sur les signes naturels » (I, 154). Signifier ne veut rien dire d’autre que rappeler une idée, c’est-à-dire présenter une perception en son absence, représenter. Les signes « servent à l'individu à se remettre dans un état où il a déjà été et fournissent ainsi une prise à sa volonté un point d'appui pour se modifier lui-même » (I, 153). Parce que la fonction du signe est le rappel, il est le soutien premier de la mémoire. Il n’y a rappel que de ce qui est en notre pouvoir, le mouvement de l’effort, et il n’y a d’idée que si il y a répétition de mouvement. Les signes artificiels ont pour but de rendre indéfiniment disponible les actes effectués et de permettre au sujet de réfléchir à ce qu’il contemple, de penser en idées (I, 155). Avec les signes artificiels, le sujet « multiplie ses moyens de correspondance, soit au dehors, soit avec sa propre pensée » (I, 153). En tant que naturels, les signes-mouvements sont donc « nécessaires à la formation de nos premières idées », en tant que naturels ou artificiels, ils sont « l’unique soutien de la mémoire » (I, 154). Dans les mémoires sur l’habitude, la fonction du signe étant de représenter, tout repose sur le rapport entre signe et idée. Or, la répétition nous dérobe progressivement notre sens de l’effort comme nous ne le voyons que trop avec les signes du langage : « Nous parlons trop souvent à vide en croyant penser » (I, 224). Souvent les signes sont « vides d’idées », séparés de tout « effet représentatif ». Ou alors on fait un usage des signes comme s’ils pouvaient nous servir à tout représenter et nous faire aller au-delà « des bornes de la représentation ». Mais le sujet ne peut représenter que ce qui est représentable, à savoir une liaison équilibrée entre force motrice et impression sensorielle. Dans sa première philosophie, Biran fait donc une grande place à la fonction représentative du signe institué. La Décomposition place au contraire l’activité du sujet avant la représentation perceptive. Biran soutient alors que le signe institué est un « monument fixe », ou un « point d’appui fixe », moins destiné à « la reproduction directe des images » qu’au « rappel des actes ayant essentiellement concouru à la perception distincte ». Dans l’Essai Biran montre définitivement que nos premiers signes se rapportent à l’aperception où le sujet se saisit comme distinct du terme qui résiste. La distinction cause / effet explique en effet le rapport sujet / attribut et rend raison de l’emploi des signes comme « Je, « est », « moi » etc. (E, 490). En retour l’institution de ces signes donne appui à la réflexion pour éclaircir durablement toutes les notions concernant notre existence. Mais c’est surtout l’examen de la fameuse querelle des réalistes et des nominalistes dans l’Essai qui éclaire la place du signe. Biran s’aperçoit que cette querelle repose sur une erreur : soit on donne plus de réalité aux idées qu’aux signes généraux (réalisme), soit on donne moins de réalité aux idées qu’aux signes généraux (nominalisme). Mais quelque solution qu’on choisisse, on ne fait pas la différence entre imagination et réflexion. Le nominaliste pense que la pensée se réduit aux signes parce qu’il pense secrètement « qu’il n’y a d’objets de la pensée que ce qui se réduit à l’imagination » (E, 431) et le réaliste pense que tout signe général renvoie à une réalité substantielle absolue pour une raison au fond identique, parce qu’il n’y a de signe que pour une réalité qui peut « se manifester aux sens ou se concevoir par l’imagination » (I, 429). Aucune des parties adverses ne voit que le fondement du signe réside dans l’activité propre du sujet, que le signe puise sa réalité dans cette existence relative. C’est pourquoi, conclut Biran, il faut renvoyer les adversaires dos à dos : « Il entre bien moins de réel dans nos idées générales que ne le supposaient les réalistes et bien plus que n’en admettaient les nominaux » (E, 428).
••• La pensée n’est pas réductible à l’image et au signe. D’où vient la réalité d’une idée réflexive si ce n’est de son lien au fait primitif ? L’idée réflexive universalisable est en même temps la plus individualisée comme l’est par exemple la notion d’essence de l’homme dont nous avons une idée très claire (mais sans image) puisqu’elle constitue le moi. A l’inverse, l’idée générale est la plus impersonnelle et aussi la plus irréelle des idées. Jamais les idées réflexives ne sont que des signes-images, ou ne renvoient à des genres absolument réels comme l’ont cru nominalistes et réalistes. On doit dire au contraire que « dans l’emploi de signes d’idées abstraites universelles comme ceux de substance, de cause, de force, d’unité, de même, etc., il y a toujours une existence réelle présente à l’esprit, indépendamment du signe conventionnel» (E, 430). Le réel de la pensée n’est pas dans le signe, l’universalité de la pensée n’est pas non plus constituée par le signe. C’est au contraire le signe qui suppose l’aperception et c’est exactement sur le modèle aperceptif que le signe acquiert ce pouvoir réflexif de faire entrer le multiple dans l’unité : le moule de toute langue « c’est l’esprit humain » (E, 430).
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