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Maine de Biran: Réflexion

Réflexion

• La réflexion « se concentrant sur ce qui est en nous, s’attache tout entière à ces modes les plus intimes, qui n’ont point hors de la conscience de signe de manifestation, ni d’objet ou d’image qui les mettent dans un relief sensible » (Dis, 50). « Lorsque (un) effort ou (un) acte est suivi ou accompagné d’un mode quelconque que l’individu attribue uniquement à sa puissance, mais en distinguant le résultat de l’acte lui-même qui prédomine simultanément dans la conscience, nous appellerons réflexion cette aperception redoublée dans le mouvement d’une part, et son produit sensible de l’autre » (D, 154).

•• Là où la matière de l’acte est un acte, nous avons réflexion. Dans la réflexion, le sujet prend pour terme de son effort des actes déjà effectués. La réflexion est le seul mode d’activité du sujet où celui-ci n’agit pas sur un « terme ou un objet extérieur, dont l’impression distrait ou absorbe le sentiment interne de la cause qui concourt à la produire » mais directement sur ses propres actes (E, 483). Un sens présente un aspect éminemment réflexif : l’ouïe dès lors que s’établit un couplage avec la voix. « Activée par la voix articulée, l’ouïe est le sens immédiat de la réflexion », ou encore « le sens de l’entendement » ; « l’individu qui émet le son et s’écoute a la perception redoublée de son activité. Dans la libre répétition des actes que sa volonté détermine, il a conscience du pouvoir qui les exécute, il aperçoit la cause dans son effet et l’effet dans sa cause, il a le sentiment distinct des deux termes de ce rapport fondamental, en un mot, il réfléchit » (E, 483). On comprend pourquoi Biran associe plutôt la réflexion à un redoublement qu’à une réflexion en miroir, sorte de lumière réfléchie sur elle-même en quoi consiste la spéculation. Le fait est que Biran parle simultanément, à propos de la réflexion, de «perception redoublée», «d’action redoublée», de «réflexion redoublée», « d’aperception interne redoublée ». Lorsque la voix répète le son entendu et que l’ouïe répète intérieurement ce son articulé, la perception sonore est en effet redoublée (son entendu extérieurement et intérieurement) ; l’action du moi est aussi redoublée par une double répétition (répétition de l’écoute du son extérieur {articuler), et répétition intérieure de l’articulation (entendre) ; la réflexion est encore redoublée (la cause est réfléchie dans l’effet, l’effet dans la cause) (D, 177) ; et l’aperception interne enfin, où le sujet s’aperçoit se modifier lui-même sans le secours d’aucune cause étrangère, est pareillement redoublée « dans le mouvement d’une part et son produit sensible de l’autre ». (D, 154) Telle est la voie unique de l’intelligence : le sujet « entend» de la même manière « toutes les idées qu’il conçoit, tous les actes qu’il détermine » (E, 484). Quoique mise en jeu dans l’aperception vocale-auditive et les productions intellectuelles qui en dérivent, la réflexion dépasse cette sphère : pour toutes les facultés elle est par excellence ce qui permet la distinction de l’actif et du passif, de ce qui a été pensé et de ce qui est seulement image. Les actes ou opérations que le sujet effectue continuellement sont facilitées par l’habitude mais en retour l’habitude dissimule au sujet sa propre activité. S’il n’y avait pas ces effets de l’habitude rendant spontané et passif ce qui est libre et actif, si donc seul l’effort était seul présent, le sujet aurait conscience de ses actes dans l’aperception interne immédiate et le sujet « pourrait être dit les réfléchir puisque, dans la libre répétition de ces mouvements [...] il aurait la connaissance du pouvoir ou de la cause qui les effectue » (E, 478). La nécessité d’un « retour » à soi et donc d’un redoublement de l’aperception provient de ce que le sens de l’effort s’efface au profit des résultats perceptifs externes. Seule la « réflexion concentrée » « pourra nous rendre le sentiment distinct de notre effort ou plutôt nous redonner la première idée de notre activité exercée dans la perception même, nous faire apercevoir l’unité de cause dans la variété des effets qu’elle produit, l’unité de substance dans la multiplicité des modes et de là nous conduire, par une suite de progrès [...] à concevoir l’unité, l’identité d’un principe, d’une notion fondamentale, dans la variété des conséquences ou des idées qui s’en déduisent » (E, 478).

••• La réflexion ne désigne aucune réflexion optique, aucune spéculation chez Biran. Elle est au contraire une action du sujet sur ces propres actes par laquelle il reprend conscience du sens de son activité. « Dans ce rapport primitif qui fonde la conscience, le sentiment propre du sujet peut prédominer sur l’affection propre ou terme organique, ou vice versa [...] Il est vrai que pour avoir la conscience de son action comme telle, pour que le moi puisse se connaître dans ses actes propres, il ne suffît pas de sentir, d’être affecté, ni même toujours de voir au dehors, de se représenter ». Il lui faut au contraire faire retour sur soi, agir à nouveau sur son action, bref réfléchir. Biran trouve dans l'Histoire comparée des systèmes de philosophie (1804) de Degérando, un texte tout à fait conforme à sa pensée : «L’action par laquelle l’esprit se réfléchit ainsi, ne peut être expliquée que par la détermination qu ’il se donne à lui-même, et cette détermination est un acte primitif, c’est un vouloir libre » (D, 109). L’Essai donnera la même explication de cette auto-détermination de l’esprit en soutenant que l’esprit peut « se connaître en agissant sur lui-même ». La réflexion est un redoublement parce qu’elle est une action de l’esprit sur lui-même. Par ce retour actif sur lui-même le sujet libère en même temps la puissance propre de la pensée des résultats perceptifs ou images qui la trahissent.

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