Databac

Maine de Biran: Psychologie pratique

Psychologie pratique

• L’éducation et la morale relèvent de la psychologie pratique en tant que « direction » des facultés (E, 85) et non plus de la psychologie en tant que genèse de la connaissance (la psychologie comme « science première »), ou de la psychologie en tant que généalogie des facultés (la psychologie pure et mixte). Il n’y a qu’une méthode éducative et morale : l’exercice des facultés actives et donc de la volonté qui les crée toutes. Pour cette raison, diviser entendement et volonté comme on le fait ordinairement en éducation est une erreur.

•• La culture de l’esprit, comme la culture morale, repose sur de faux principes. On s’est imaginé qu’il suffisait de donner l’occasion à l’enfant d’avoir des sensations ou des affections pour l’éduquer. On a voulu se persuader qu’il faut mener les enfants « par l’attrait du plaisir et faire marcher toujours en avant les sensations et les images » (E, 354, note). Une telle méthode paraît en contradiction avec les principes fondamentaux de la psychologie. Comment la sensibilité et l’imagination pourraient-elles être la source unique de nos facultés actives, seules facultés éducables ? Le sensualisme ne semble pas s’être pénétré de la difficulté de cette question. Pour cette raison, il est manifeste que le sensualisme ne propose pas véritablement de « méthode d’éducation ». Pour lui, la sensation est l’unique principe du développement de nos facultés comme s’il suffisait « de multiplier les causes de sensations » pour voir se perfectionner les facultés activés. L’absence de toute activité intellectuelle dans une telle éducation condamne définitivement la méthode sensualiste aux yeux d’une psychologie réelle. « Pour bien juger des esprits [...], il faut avoir moins égard à ce qu’ils savent qu’à la manière dont ils le savent » (E, 86). Il faut toujours revenir à l’activité et non s’en tenir aux résultats : on évitera ainsi le « brillant de l’imagination » qui fait une « vaine science », et l’accumulation de mémoire qui fait une « science livresque ». Exercer l’activité, et donc les facultés actives d’attention, de jugement, de réflexion, voilà tout ce que peut se proposer l’éducation. La connaissance approfondie de l’ordre et du rapport de développement des facultés passives et actives, leur équilibre, et le cas échéant, voire le plus fréquent, leur disjonction, leur dérèglement réciproque enseigne en effet que les seules facultés actives ont besoin d’être cultivées tandis que les facultés passives, se développant spontanément, ont plutôt besoin d’être réprimées dans la première éducation (E, 90-91). Pas plus que la « culture exclusive de la mémoire ou de l’imagination » (E, 87) ne conduit à l’éducation, elle ne peut donner une morale. A défaut d’aller construire en nous une maîtrise de ce que nous sommes, nous allons trop souvent chercher « hors de nous » « les causes de certaines modifications qui altèrent souvent notre humeur, nos idées, nos jugements » (E, 98). Nous prétextons le désordre du monde quand il ne tient qu’à nous d'ordonner notre esprit par une action morale bien établie. En matière de morale, le stoïcisme est bien plus convaincant que le sensualisme. Il n’y a en effet pas d’autre morale que « l’empire sur soi » (E, 95) source de toutes les grandes qualités d’âme, et ce qui manque au sensualisme, c’est au fond une philosophie de la volonté. La culture de la volonté porte en elle « le grand art de bien vivre, de bien agir, de bien penser » en quoi consiste la morale. Cette culture permet aux facultés actives d’étendre leur emprise (« jusqu’à un terme illimité ») sur les affections et de produire cette alliance heureuse de la vie sensible et de la vie intellectuelle : « Sans doute la volonté n’a absolument aucun empire sur les affections, ni même aucune influence directe sur ses sentiments moraux mais elle en a un sur les idées et les images de l’esprit en tant surtout qu’elles sont liées à des signes institués ; et ces images peuvent à leur tour réveiller les affections et les sentiments à qui elles sont associées par la nature ou les habitudes. De là, la possibilité d’exciter certaines affections de l’âme sensitive, et par suite certaines révolutions sur les organes de la vie intérieure, par un certain régime intellectuel, une certaine direction imprimée à la volonté ou à l’entendement, comme d’influer sur ces facultés par un certain régime soit physiologique, soit moral. Nous rendre sereins et contents de nous-mêmes ou de nos propres actes — c’est tout... » (RPM, 148)

••• Éducation et moralité sont la pierre de touche de la validité des doctrines psychologiques. « Si toute doctrine psychologique, dont l’application morale est nulle ou dangereuse, doit être par là même réputée comme fausse, toute méthode d’éducation qui ne s’appuie pas à son tour sur des principes constitutifs de notre nature et de l’ordre réel de la subordination de nos facultés, ne peut être que vicieuse ou incomplète » (E, 94). Dans une philosophie de l’activité, la seule éducation possible est celle qui nous approprie le plus à notre pouvoir actif, la seule morale possible est celle qui nous fait dominer le mieux notre vie double, sentante et pensante. Il n’y a pas d’autre alternative et d’autre horizon pour nous que la liberté au sein de cette vie.

Liens utiles