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Maine de Biran: Effort

Effort

• L’effort est la relation causale entre la force hyperorganique et la résistance organique d’où surgit le sentiment personnel d'exister. Relation : « Le mode relatif d’effort [...] s’effectuant librement comprend le sentiment intime d’une force vivante, lié à celui d’une résistance organique » (D, 362). Existence personnelle'. « Dès qu’il y a déploiement de l’effort, il y un sujet et un terme de dépliement constitués l’un par rapport à l’autre [...] Sans lui tout est passif et absolu [...] Avec lui tout se rapporte à une personne qui veut, agit » et qui conçoit toute existence sur le « modèle de la sienne propre » (D, 138).

•• Dans sa correspondance avec Destutt de Tracy, Biran a bien mis en évidence que l’effort est essentiellement relation. Dire que la conscience est relation signifie qu’elle n’est jamais donnée comme un absolu ainsi que la métaphysique le croit. Il faut considérer « le moi dans la volonté une, ou la même, volonté qui n 'est point d'une manière absolue et abstraite de toute condition, mais seulement dans la relation à l’ensemble des parties qui lui obéissent, dans un effort essentiellement relatif, dont le terme, le corps résistant mais obéissant, et le sujet de la force (qui n’existe comme force consciente que dans la résistance à son action) sont inséparables et ne sont constitués que l’un par rapport à l’autre ». Biran ne cesse d’insister sur « la corrélation essentielle », « l’indivisibilité », la « combinaison intime », le « rapport de coexistence » etc. entre les deux éléments de l’effort. La relation causale constitutive de l’effort implique que la cause est sentie dans son effet organique, et que l’effet est senti dans sa cause hyperorganique, d’une manière indissociable. Mais cette relation causale peut encore être précisée : la volonté agit sur toutes les parties du système moteur sous son influence. Ces parties forment en même temps le terme d’application de sa puissance (résistance) et la limite de sa puissance (consistance). Tout ce qui est en dehors de cette relation ne consiste en rien pour le sujet et n’est pas aperçu comme acte : « Le sens de l’effort que nous pouvons appeler aussi le sens de l'aperception immédiate, à l’exercice spécial duquel nous rattachons le sentiment de causalité et d’individualité permanente, réside dans toutes les parties ' du système moteur, qui, directement influencées par la volonté, circonscrivent le domaine propre où s’exerce cette puissance. Tout ce qui s’opère en dedans de ces limites est immédiatement aperçu comme acte ou résultat d’acte voulu par le moi identique ; tout ce qui est en dehors, ne dépendant plus de la même puissance, ne s’approprie plus aussi au même mode d’aperception » (A, 124). L’effort étant ainsi défini, Biran distingue deux modes d’exercice de l’effort dans l’Essai : le premier, mode immanent et continu, est « l’effort non intentionné ». Il constitue « le durable du moi ou de la personne identique » indépendamment de toute impression externe ou interne et est présent « dès que la même force commence à se déployer sur la même inertie organique » (E, 322). La durée est la trame de cet effort « immanent » car elle est « la trace de l’effort fluant uniformément » (E, 323) ; en elle s’enracinent le souvenir et la mémoire. Nous sommes ici à la base de l’aperception et du sentiment de continuité de notre existence personnelle. Il y a en outre un mode ponctuel et actuel de l’effort qui vient s’ajouter à l’effort immanent constitutif du moi et qui s’inscrit dans cette durée par des actes intentionnels : la série successive des actes du moi intentionné est le temps : « Le rapport de succession de ces manières d’être variées, qui est ce que nous appelons le temps, a pour premier terme ou pour antécédent nécessaire un sentiment de durée uniforme qui n'admet elle-même aucune variété, et à laquelle se réfère tout temps réglé et déterminé » (E, 322). Continuité de la durée, discontinuité des actes intentionnés ou attentionnés sont les deux faces de l’effort.

••• Par sa philosophie de l’effort, Biran place au centre de sa démarche l’activité. Aucun des termes de la relation d’effort n’a de sens absolu en lui-même ; il n’en acquiert que par sa relation à l’autre terme. C’est donc une philosophie de l’activité et de la liberté, de la durée et de l’existence qui s’affirme contre une tradition philosophique qui aura privilégié la substance, l’essence et l’espace.

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