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Maine de Biran: Croyance

Croyance

• Croire est cet « acte primitif de l’esprit » (RSP, 74) qui attribue immédiatement à tout ce que nous pouvons apercevoir ou percevoir une existence absolue (être, substance, ou cause). Comme nous n’apercevons pas cette existence absolue en elle-même, que nous ne la percevons pas, que nous n’en avons aucune conscience ni aucune expérience d’aucune sorte, elle est nommée « croyance ».

•• Dans les Rapports des sciences naturelles avec la psychologie, probablement écrits entre 1813 et 1816, Biran prend en considération la croyance invincible de « tout homme dirigé par le simple bon sens » que les choses existent absolument hors de nous. Il remarque encore que « toutes les doctrines en général, tant celle de métaphysique que de psychologie expérimentale, prennent pour point de départ la réalité absolue de quelque être, substance ou cause » (RSP, 53) et ressent le besoin d’intégrer cette dimension objective à sa psychologie. Sa discussion du 7 juillet 1813 avec Degérando et Ampère l’avait déjà convaincu de la nécessité de « donner un fondement suffisant à l’existence des êtres, des causes et des substances hors de nous » (RSP, 221). Toute la difficulté de l’ontologie que Biran veut adjoindre ici à la psychologie est d’éviter l’idéalisme qui proclame l’unique réalité du moi sans tomber dans le scepticisme qui a beau jeu d’opposer à l’idéalisme sa contradiction avec « les données réelles de l’existence ». Comment justifier psychologiquement, à partir de la sphère intime, ces notions qui posent un absolu hors de nous et que tout le monde accepte : être, cause, substance, force, etc. ? Pour ne pas ruiner le fondement même de sa philosophie, Biran doit faire de l’ontologie une conséquence de la psychologie, ce qui revient aussi à faire de la croyance un principe séparé de la connaissance intime mais induit de cette connaissance : ce « principe de croyance ou d’induction première [...] force l’âme à transporter au dehors ce qu’elle conçoit primitivement en elle ou d’elle-même » (RSP, 142). Les croyances dont l’esprit humain ne peut se passer, les notions par lesquelles il leste le monde d’une densité ontologique, ne sont donc rien de plus que « les résultats primitifs et nécessaires des lois constitutives de l’esprit humain » (RSP, 68). Chaque sujet induit de son propre sentiment d’être force, cause libre, subsistant dans l’effort, consistant dans son corps, existant etc. les notions absolues d’être, de cause, de substance, d’existence etc. Ces croyances ne sont pas des connaissances : elles ne représentent rien, ne nous font rien connaître mais forment l’horizon objectai de la subjectivité. Elles dessinent pour nous et par nous ce « monde extérieur » distinct de nous qui doit être progressivement rempli par la connaissance.

••• Ce principe d’induction qui nous commande de croire à des substances et à des causes hors de nous et qui « se lie immédiatement au fait primitif de notre existence individuelle » (RSP, 164) explique que l’on ait pu confondre connaissance et croyance, relatif et absolu, ou que l’on ait cherché à dériver la métaphysique de l’ordre absolu. En voulant étendre « les principes des croyances hors des limites où la nature les a circonscrits » (RSP, 73) la métaphysique d’un Descartes ou d’un Leibniz installe la croyance à la racine de la connaissance. Mais aucune connaissance ne peut dériver de la croyance car la croyance n’est pas elle-même une connaissance, elle n’est pas elle-même une idée. « Cet absolu en tant que tel, dont il y a croyance sans idée, ne saurait être l’origine d’aucune connaissance ou idée » (RSP, 76). En tentant « une dérivation impossible » de la connaissance à partir de la croyance, la métaphysique a en réalité inventé des problèmes tout à fait insolubles. Car l’ordre de l’absolu ne saurait en aucune façon être le commencement de la connaissance : il est cet acte propre à l’esprit par lequel est tracé son horizon mondain et objectai, sorte de sphère vide et extérieure d’existentialité à laquelle ne correspond nulle idée, nulle représentation, nulle connaissance mais qui supporte virtuellement, à partir du sujet, toutes les lignes actuelles de la connaissance intérieure ou extérieure. L’ontologie n’est rien sans la psychologie parce que la seule existence aperçue, la seule source de connaissance est le moi. Mais la psychologie a besoin d’une ontologie limitée (la croyance) par laquelle le corrélât d’un monde s’esquisse de l’intérieur du sujet et leste sa connaissance d’une densité d'être. Elle la trouve dans le sujet, dans cette loi de l’esprit qui impose au sujet connaissant de supposer avant lui (antécédence) un premier principe inconditionné (prius natura) ou une ratio essendi qui précèdent toute connaissance acquise. N’imaginons pas toutefois que nous tenons là des « données primitives in abstracto » : de telles croyances résultent simultanément du fait concret de l’existence individuelle, de la séparation par abstraction des deux éléments qui le composent et de la tendance de l'esprit à réaliser ces termes. Les deux objets de la croyance sont donc la volonté réalisée en âme-substance (ou en cause absolue, force absolue, substance active, noumène intérieur) et le corps réalisé en substance-matière (ou en substance absolument passive, nature en soi, noumène extérieur) (RSP, 70-71).

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