Maine de Biran: Conscience
Conscience
• La conscience naît de la mise en rapport ou en relation d’effort de la volonté et du corps propre : « le fait relatif de conscience » est « l’effort qui réunit indivisiblement matière et forme » (D, 74) ; « La vie de relation ou de conscience a son principe dans l’effort voulu » (E, 277). Qu’ajoute cependant le terme de conscience à l’idée stricte de rapport ou de relation d’effort ? Dès lors que le rapport subjectif est constitué, que le sujet est compos sui, il est aussi cum scientia. Le sujet existe et se sait exister dans le même moment : « Dans le moi la science et l’existence sont identiques » (C3, 218). La conscience signale alors l’évidence et la certitude de la présence du sujet à lui-même qui « n’existe pour lui-même qu’en tant qu’il se connaît » (C3, 218). Le sujet a, par évidence totale, une science immédiate de lui-même comme existant, pensant, moi, personne libre. La conscience n’est autre que cette « lumière propre et intérieure », cette évidence supérieure, qui est au même titre conscience de soi (conscium sui), connaissance de soi (RPM, 108), existence, pensée. « La conscience du moi constitue le fond de tout ce que nous pouvons appeler une pensée [...] : exister (pour soi-même), s’apercevoir ou connaître qu’on existe, penser, voilà autant de synonymes qui peuvent être substitués l’un à l’autre sans rien changer au fond des idées » (RSP, 89).
•• Dans la relation d’effort, le sujet se sait exister : la conscience est existence : « Avoir conscience de soi c’est exister pour soi, mais être une chose ou une substance en soi, n’est pas exister pour soi-même, ou se sentir exister ». Dans la relation d’effort, le sujet se sait immédiatement sujet individuel : la conscience est individualité : « La pensée primitive n’est autre que la conscience de l’individualité personnelle et exprimée par le mot je » (DEA, 13). Dans cette même relation d’effort, le sujet se sait être une personne libre ou un moi. La conscience est le moi ou la personne : dès que l’effort est « voulu et senti alors l’homme est une personne, il peut dire moi et le sentiment de son égoïté n’est autre que celui de sa liberté de mouvoir et d’agir ». (DEA, 131). Le sujet sait encore qu’être pensant et être libre signifient la même chose libre. La conscience est pensée ou activité libre : « L’homme sujet pensant, actif ou libre par cela quil pense, sait très certainement (certissima scientia et clamante conscientia) qu’il a en lui ou plutôt qu’il est lui-même une force qui se porte d’elle-même à l’action sans y être contrainte... » (DEA, 75) Même l’âme est une notion qui ne peut s’étendre plus loin que ce sentiment d’évidence intérieure, que ce savoir immédiat de soi comme sujet pensant-existant-libre-individu-moi : « L’âme ignore sa nature ou son essence comme objet ou comme noumène ; et qu’est-ce qu’il nous est donné de connaître sous ce rapport ? Mais loin qu’elle s’ignore comme moi, comme sujet pensant primitif de conscience, c’est au contraire l’aperception la plus claire, la connaissance la plus évidente qu’elle peut avoir et sans laquelle même rien ne peut être perçu ou connu au dehors » (RPM, 52). La conscience est l’horizon même du sujet, sa sphère de savoir et de certitude, sa réalité existentielle irréfutable, son appropriation intime.
••• « En sortant de la conscience, [...] il n’y a plus de science propre de l’être pensant et de ses facultés » (D, 35). On ne saurait annuler cette réalité première en la transportant dans la physiologie ou la théologie. La science physiologique finit là où commence la conscience (RPM, 116) ; la théologie commence là où la conscience finit. Il faut donc doublement renverser l’ordre commun : le fait de conscience devance toute science objective et toute religion, comme le relatif précède l’absolu, l’existence l’essence, la liberté la nécessité ou la grâce. Tous ceux qui substantialisent les propriétés conscientes de l’homme ou considèrent qu’il n’est pas essentiel « à ce principe actif et intelligent de se connaître ou d’avoir conscience de ses propres opérations pour être et pour agir » (RPM, 30) font fausse route. Tous ceux qui pensent que l’absolu est donné avant la conscience aussi : « Nous reconnaissons dès à présent que toutes les questions élevées sur la substance même de l’âme ou l’essence du sujet sont insolubles » (E, 608). En réalité, la conscience est avant toute science et toute philosophie. Elle est l’horizon unique et indépassable de la vie humaine, le point de départ de toute connaissance philosophique ou scientifique. Etre homme, c’est vivre dans l’élément de la conscience qui n’est ni pure corporéité, ni pure spiritualité, c’est être soi uniquement dans cet élément et c’est donc aussi subir toutes les variations internes à ce rapport. La pure conscience de soi qui naît dans la relation de la volonté au corps peut se détendre et même disparaître, après avoir passé par mille nuances déclinantes, dans les états d’exaltation du corps ou dans les états d’extase mystique. Le sujet y devient extérieur et étranger à lui (alienus), confondu à la vie du corps ou fusionné à Dieu.
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