Maine de Biran: Affection
Affection
• « Nous comprenons sous le titre général d’affections tous ces modes simples et absolus du plaisir et de la douleur, qui constituent une vie purement sensitive ou animale hors de toute participation du moi » (E, 277). Le résultat de l’analyse des facultés de l’être sentant et pensant conduit progressivement Biran à distinguer chez le sujet sentant et pensant quatre « classes de modifications » essentiellement différentes et quatre « systèmes » qui leur correspondent, affectif sensitif perceptif, aperceptif. Le système affectif ou sensitif simple « comprend toutes les affections internes ou externes de la sensibilité sans le secours de la volonté ou la participation active du moi ». (A, 138)
•• Biran découvre « une classe entière de facultés passives exclusivement subordonnées aux impressions ou qui ne se développent qu’avec elles et que par elles » (E, 277-278). Il y a une vie affective en deçà de toute conscience et qui reste insaisissable par la conscience. La sensibilité passive est en effet « hors de toute relation au moi et de toute relation connue à des existences étrangères » (E, 277). L’on peut donc vivre et être affecté « sans connaître sa vie propre » (E, 279). C’est pourquoi la vie affective est aussi chez l’homme de l’ordre de l’impersonnel et de l’irreprésentable, les affections se trouvant, « par leur nature hors du système de la connaissance » (E, 279). Les affections forment la trame d’une vie qui « opère en nous sans nous » et dont il ne peut y avoir « qu’un sentiment vague », « sorte d’existence intérieure que nous pourrions appeler impersonnelle puisqu’il n’y a point encore de personne ou de moi capable S’apercevoir et de connaître ». (E, 288) Cette vie affective donne toutefois la tonalité de base de notre existence. Qu’est-ce que notre tempérament si ce n’est en effet l’enchaînement des affections variables qui s’impose à nous comme un « destin » (E, 291) ? Comme « tout retour nous est interdit » sur ces affections, nous voici placés devant « la partie de notre être sur laquelle nous nous sommes le plus totalement aveuglés » (E, 291). Maine de Biran disait déjà dans le Mémoire sur la décomposition de la pensée : « Cette physionomie n’a point de miroir qui puisse la réfléchir à ses propres yeux, ou la mettre en relief hors d’elle-même » (D, 29) Il dira encore dans les Rapports du physique et du moral de ïhomme que l’âme sensitive « n’a point de prise pour se saisir sous aucune de ses formes variables et disparaît à l’instant même que le moi veut l’approfondir, comme Eurydice qu’un coup d’œil rejette parmi les ombres » (RPM, 128). De‘ cette situation « vient l'impossibilité où chacun se trouve de connaître à fond ce qu'est un de ses semblables comme vivant et sentant et de manifester ce qu 'il est en lui-mème » (D, 29).
••• La description de la vie affective nous met-elle sur la voie d’un inconscient psychologique ? Comme l’affection pure est hors de la conscience, il n’y a évidemment pas d’inconscient psychologique : la conscience est toute la psychologie. Par contre la vie affective nous met sur la voie d’un inconscient organique. La vie psychologique est sans cesse traversée par « l’étrangeté » de ces affections obscures (répugnances, attraits, sympathies, bizarreries etc.) qui, bien qu’elles soient formées hors du moi et se « trouvent par là même hors de la chaîne de notre existence aperçue », influent sur « l’état actuel de l’être sensible et intelligent » (E, 305). Cependant, les traces plus ou moins vives que ces affections ont laissées dans la vie organique sont étrangères à toute conscience et à tout souvenir conscient : elles ne « peuvent s’y réunir (qu’) accidentellement en vertu de quelque association fortuite » comme le montrent les rêves. Les états de délire, de manie, de mélancolie etc. manifestent au dernier degré la persistance opiniâtre de ces traces et leur enchaînement spontané. Dans la sphère de l’inconscient sensible et vital, les affections pures ne sont ni la personne, ni le moi, ni la pensée. Elles sont la vie sentante, impersonnelle et aveugle, où on ne trouve ni temps, ni souvenir, ni mémoire, bref la vie, insensible au moi, de l’organique.
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