LUCRÈCE : LE FINALISME RENVERSE LE RAPPORT DES CHOSES
LUCRÈCE : LE FINALISME RENVERSE LE RAPPORT DES CHOSES
Mais le finalisme peut-il être accepté par la science, laquelle s'est largement constituée, au XVIIe siècle, contre lui ? L'explication finaliste du vivant est-elle réellement explicative ? N'est-elle pas en réalité, dans la mesure où elle pose la fin comme cause de ce qui est, une inversion du rapport des choses, ainsi que le souligne ici Lucrèce ?
« La clairvoyance des yeux n’a pas été créée, comme tu pourrais croire, pour nous permettre de voir au loin ; ce n’est pas davantage pour nous permettre de marcher à grands pas que l’extrémité des jambes et des cuisses s’appuie et s’articule sur les pieds ; non plus que les bras que nous avons attachés à de solides épaules, les mains qui nous servent des deux côtés ne nous ont été données pour subvenir à nos besoins. Interpréter les faits de cette façon, c’est faire un raisonnement qui renverse le rapport des choses, c’est mettre partout la cause après l'effet. Aucun organe de notre corps, en effet, n'a été créé pour notre usage ; mais c'est l’organe qui crée l’usage. Ni la vision n'existait avant la naissance des yeux, ni la parole avant la création de la langue : c'est bien plutôt la naissance de la langue qui a précédé de loin celle de la parole ; les oreilles existaient bien avant l'audition du premier son ; bref, tous les organes, à mon avis, sont antérieurs à l’usage qu'on en a pu faire. Ils n'ont donc pu être créés en vue de nos besoins. »
Lucrèce, De la nature, IV, 822-839.
ordre des idées
1) Une thèse centrale : les organes n’ont pas été créés en vue d'une utilité, d'un usage, d'une fin. — Des exemples : les yeux, les jambes, les bras. 2) Justification de cette thèse : Le finalisme inverse le « rapport des choses » en faisant de l'effet la cause. —Reprise des exemples : la vue est l'effet des yeux, non leur cause ; même chose pour les autres organes, qui sont tous antérieurs à leur usage.
♦ « Les vers du sublime Lucrèce ne périront que le jour où le monde périra lui-même. » Ovide. ▼ « Je sais que Lucrèce, quoique peu châtié, est un très grand poète dans ses descriptions et dans sa morale; mais en philosophie, il me paraît, je l'avoue, fort au-dessous d'un portier de collège et d’un bedeau de paroisse. » Voltaire. ♦ « Au premier abord, les vers de Lucrèce semblent rudes et négligés : les détails techniques abondent; les paroles sont quelquefois languissantes et prosaïques. Mais qu’on le lise avec soin; on y sentira une expression pleine de vie, qui, non seulement anime de beaux épisodes et de riches descriptions, mais qui souvent s’introduit même dans l’argumentation la plus sèche et la couvre de fleurs inattendues. » Villemain. ♦ Lucrèce tord le vieux voile d’Isis trempé dans l’eau des ténèbres, et il en exprime, tantôt à flots, tantôt goutte à goutte, une poésie sombre. L’illimité est dans Lucrèce. Par moments passe un puissant vers spondaïque presque monstrueux et plein d’ombre : Circum se foliis ac frondibus involventes. Çà et là une vaste image de l’accouplement s’ébauche dans la forêt. Tum venus in sylvis jungebat corpora amantum, et la forêt, c’est la nature. Ces vers-là sont impossibles à Virgile. Lucrèce tourne le dos à l’humanité et regarde fixement l’Ênigme. Lucrèce, esprit qui cherche le fond, est placé entre cette réalité, l’atome, et cette impossibilité, le vide, tour à tour attiré par ces deux précipices, religieux quand il contemple l’atome, sceptique quand il aperçoit le vide; de là ses deux aspects, également profonds, soit qu’il nie, soit qu’il affirme. » Victor Hugo.
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