Lucrèce: Comment l’univers s'est-il créé ?
Dans son poème "De la nature" composé de six chants, Lucrèce expose les principes de la physique et de la morale épicuriennes. Dans le deuxième chant, il explique comment l'univers a pu se former et énonce la célèbre théorie de la déclinaison des atomes, le clinamen.
Problématique
L'explication de l'origine du monde ne peut être abandonnée à la seule religion. La raison humaine est capable de forger des arguments susceptibles de convaincre tout être raisonnable et d'assurer la sérénité sur l'avenir de l'humanité. L'univers a son origine en lui-même et nul dieu n'est nécessaire pour expliquer sa formation.
Enjeux
Si l'univers était parfaitement déterminé à son commencement, des êtres libres n'auraient jamais pu exister. La notion de clinamen rend possible l'existence non seulement d'êtres composés d'une multiplicité d'atomes, mais aussi de la liberté des êtres vivants. Cette conception ne va pas sans poser de problèmes concernant le concept de causalité. En effet, il faut bien une cause pour qu'un atome dévie de sa route, mais cette cause n'est en rien déterminée, elle est une des possibilités de la matière.
Comment l’univers s'est-il créé ?
À ce propos, il est encore un fait que nous désirons te faire connaître : dans la chute en ligne droite qui emporte les atomes à travers le vide, en vertu de leur poids propre, ceux-ci, à un moment indéterminé, en un endroit indéterminé, s'écartent tant soit peu de la verticale, juste assez pour qu'on puisse dire que leur mouvement se trouve modifié. Sans cette déclinaison, tous, comme des gouttes de pluie, tomberaient de haut en bas à travers les profondeurs du vide ; entre eux nulle collision n'aurait pu naître, nul choc se produire ; et jamais la nature n'eût rien créé. Que si l'on va croire que les atomes les plus lourds peuvent, grâce à la vitesse plus grande qui les emporterait verticalement à travers le vide, tomber d'en haut sur les plus légers, et produire ainsi des chocs capables de provoquer des mouvements créateurs, on s'écarte et se fourvoie bien loin de la vérité. Sans doute tous les corps qui tombent à travers l'eau ou le fluide rare de l'air doivent accélérer leur chute à proportion de leur pesanteur ; car les éléments de l'eau et la nature de l'air subtil ne peuvent retarder également tous les corps, et cèdent plus vite à la pression victorieuse des plus pesants. Mais pour le vide, en aucun lieu, en aucun temps il ne saurait se trouver sous aucun corps, sans continuer de lui céder, comme l'exige sa nature. Aussi tous les atomes, emportés à travers le vide inerte, doivent se mouvoir avec une égale vitesse malgré l'inégalité de leur poids. Les plus lourds ne pourront donc jamais tomber d'en haut sur les plus légers, ni provoquer par eux-mêmes les chocs d'où résultent les mouvements divers au moyen desquels la nature accomplit son oeuvre. Aussi est-il nécessaire, je le répète, que les atomes dévient légèrement - mais le moins possible, sans quoi nous paraîtrions admettre des mouvements obliques, ce que démentirait l'expérience. Car, c'est un fait clair aux regards, manifeste, que les corps pesants, lorsqu'ils tombent en chute libre, ne peuvent adopter d'eux-mêmes une direction oblique de mouvement pour autant que l'œil permette d'en juger.
- clinamen : déclinaison des atomes qui, sans cela, ne cesseraient de tomber dans le monde infini sans possibilité de s'organiser pour former des mondes.
- vide: le monde est constitué de vide et de corps. Le vide n'est pas mesurable. Le vide est la condition nécessaire de l'existence de la matière, car l'hypothèse du plein est absurde si on se réfère à la sensation qui ne nous montre l'existence d'un objet que par ce qui le distingue, c'est-à-dire en raison d'une limite qui à la fois sépare et unifie. Cela ne signifie pas que le vide précède la matière mais les corps ne peuvent exister que s'ils se déploient dans l'espace.
- Atome : la plus petite partie de la matière qui ne peut faire l'objet d'une division et qui est invisible. Fondement du matérialisme d’Épicure.
- Démocrite : (460-370 av.J.-C.) Le texte critique la conception démocritéenne des atomes. Il n'est pas nécessaire que les atomes soient déterminés par une cause pour s'assembler. Epicure récuse toute forme de nécessité et ainsi sauve la liberté.