LOTI (PIERRE)
LOTI (PIERRE)
Julien Viaud naît le 14 janvier 1850 à Rochefort. Son père, modeste employé de mairie, a fait un « beau » mariage sa belle-famille, issue d'une lignée de marins, est riche. Le frère aîné de Julien, qui a douze ans de plus que lui, s'engage en 1859 pour servir dans la marine comme chirurgien et part pour Tahiti, puis l'Indochine. En avril 1865, il meurt de fièvre tropicale sur le bateau qui le rapatrie. À cela s'ajoute, à la suite de mauvais placements, la ruine familiale et l'emprisonnement de Viaud père pour vol dans la caisse de la mairie de Rochefort. Au cours de son procès, il pourra démontrer son innocence, mais la mairie refusera de lui rendre son poste. Ces événements marquent l'adolescent. Voulant devenir marin, il trouve, bien que mauvais élève, la volonté nécessaire pour réussir son entrée à l'École navale et surmonter, à force d'obstination, sa frêle constitution. Fin 1869, lors de sa première croisière, avec des escales en Méditerranée et en Amérique, il apprend la mort de son père. Désormais, il sera le seul soutien financier de sa famille, mère, tante, sœur, grand-tante... Après la guerre de 1870, au cours de laquelle il patrouille dans la Baltique, il part pour Tahiti. Là, une vahiné avec laquelle il entretient une relation passionnée le baptise Loti, du nom d'une fleur polynésienne ; cette histoire d'amour deviendra Le Mariage de Loti. En 1873, nouvelle affectation au Sénégal ; il y est amoureux d'une Créole qui l'éconduit et se console dans les bras d'une indigène : cela donnera Le Roman d'un spahi. Affecté au bataillon de Joinville, cet ancien malingre, qui a le culte du corps, s'y déguise en Hercule de foire ; il se lie d'amitié, lors de ses sorties parisiennes, avec Sarah Bernhardt qui le surnomme affectueusement « Pierrot le fou ». En 1876, il part pour Salonique, ville turque. Il s'y éprend d'une jeune Circassienne, enfermée dans un harem, qu'il rencontre grâce à la complicité d'un batelier amoureux de lui, car Loti mélange amitiés masculines et amours féminines. Cette brûlante histoire d'amour, il la transposera dans Aziyadé. Tenté de déserter pour s'installer en Turquie après avoir enlevé Aziyadé, il finit par obéir à son devoir et revient à Rochefort auprès de « ses chères vieilles », au doigt l'anneau offert par Aziyadé et qu'il n'enlèvera jamais. Il s'ennuie, meuble sa chambre dans le style turc et vit une passion tumultueuse avec un marin alcoolique, jusqu'à son affectation à Lorient. Aziyadé paraît en 1879 et fait un triomphe. Désormais Loti va alterner les missions et les lancements de ses romans, se réfugiant sur les bateaux de la Marine nationale quand les mondanités lui pèsent trop. Une aventure amoureuse avec une paysanne des Balkans lui inspire Fleurs d'ennui. Le capitaine de corvette Julien Viaud-Loti a les amours rentables. Affecté à Brest, il tombe amoureux de la sœur d'un marin qui sert sous ses ordres. Il veut l'épouser mais elle refuse, car elle est déjà fiancée à un marin pêcheur ; elle aussi sera l'inspiratrice d'un roman, le plus célèbre de Loti : Pêcheur d'Islande. Lors d'une campagne au Tonkin en 1883, Loti, qui double sa solde avec des appointements versés par Le Figaro pour couvrir la guerre, y dénonce les massacres auxquels se livrent les marins français sur les indigènes. Scandale ! Il est rappelé en France et mobilise toutes ses relations pour ne pas être radié de la marine. D'abord muté à Rochefort à des tâches administratives, il est ensuite, en 1885, envoyé au Japon. Bien sûr il a là-bas une aventure qui fournira l'argument de Madame Chrysanthème. Il est de retour pour assister au triomphe en librairie de Pêcheur d'Islande. Pour avoir des enfants, il demande à ses amies de lui trouver une femme riche, comme lui de religion protestante, et de taille inférieure à la sienne ! Le mariage a lieu le 21 octobre 1886 avec une héritière bordelaise. Pour la circonstance, le marié s'est teint la moustache et a mis des talonnettes. Sept mois après la cérémonie, l'épouse, enceinte, chute dans des escaliers. Fausse couche. Loti, inconsolable, s'enfuit en Turquie, où il apprend la mort d'Aziyadé. En mars 1899, un fils lui naît enfin. Il repart à Constantinople, invité par le sultan. C'est là qu'il apprend, en mai 1891, son élection à l'Académie française, contre Émile Zola. Il a 41 ans. Affecté à Hendaye, il découvre le Pays basque, ses contrebandiers et ses joueurs de pelote basque : cela donnera Ramuntcho (1898). Tombé amoureux de cette région, il décide d'y avoir des enfants, mais illégitimes, car il n'est pas question pour lui de rompre son mariage, et il trouve une Basque qui accepte d'en devenir la mère ; il aura d'elle trois fils, dont deux survivront et que son épouse légitime sera, par testament, chargée d'éduquer, si jamais il arrivait malheur à leur fantasque père ! Pendant la guerre des Boxers, il est affecté à Pékin (de son séjour il fait un livre reportage, Les Derniers Jours de Pékin) puis envoyé pendant trois ans en Turquie, comme ambassadeur, même s'il n'en a pas le titre ; l'aventure de trois jeunes femmes lui inspire Les Désenchantées. À son retour, son épouse se sépare de lui. Il n'en est guère affecté. En 1914, le gouvernement l'utilise pour tenter de négocier un revirement des dirigeants turcs, pro-allemands. En vain. En 1918, le vieux marin se sent las ; il se retire dans sa maison de Rochefort. En 1921, il est victime d'un premier infarctus et en reste physiquement diminué. En juin 1923, estimant que son état s'est amélioré, il veut, contre l'avis de ses médecins, se rendre à Hendaye. Il y arrive, épuisé, pour y mourir le 10 juin 1923, à l'âge de 73 ans. La France lui fait des funérailles nationales.
LOTI Pierre (pseud. de Louis Marie Julien Viaud). Ecrivain français. Né à Rochefort (Charente-Maritime) le 14 janvier 1850, mort à Hendaye ( Pyrénees-Atlantiques) le 10 juin 1923. Issu d’une ancienne famille protestante qui s’était réfugiée dans l’île d’Oléron au moment de la révocation de l’Êdit de Nantes, il fut gâté par sa mère et sa sœur aînée autant que par ses vieilles tantes, et reçut là toutes les caresses dont sa nature était avide. Dès son jeune âge, il peignit et fit de la musique. Mais, vivant près de l’océan, et comptant, parmi ses ancêtres, bon nombre de navigateurs, il était enclin, plus que tout autre, a répondre à l’appel du large. De bonne heure, donc, il brûla de se faire matelot, à seule fin de visiter les plus beaux pays du monde. Ayant reçu des rudiments d’éducation dans sa bonne ville de Rochefort (1865), il fut envoyé à Paris l’année suivante (1866) pour se préparer à l’Ecole Navale sur les bancs du Lycée Henri-IV. Coupé de sa famille, l’adolescent fut peu séduit par le tumulte de la capitale. Imaginatif à l’excès, il y étouffa et aspira à en sortir. Féru de Chateaubriand, il se consola en le relisant tout en tenant son journal. Par chance, il se vit bientôt admis au « Borda », vaisseau-école en rade de Brest (1867). Après avoir effectué un voyage d’étude tout le long des côtes de France, il fut nommé aspirant et embarqua sur le « Jean-Bart » (1869). Dès ce moment, il naviguera sans relâche du Japon à l’Océanie et du Tonkin à l’Arabie. En 1872, il visita Tahiti : s’étant vu donner là le surnom de Loti par les gracieuses servantes de la reine Pomaré (« loti » désigne une fleur du Pacifique), il l’adoptera bientôt comme pseudonyme littéraire. En 1873, il découvrit le Sénégal et autres pays de l’Afrique. Devenu enseigne en 1876, il fut affecté, a Toulon, au navire « La Couronne » et envoyé à Salonique. Il restera dans les eaux turques durant dix-huit mois. De retour en France en novembre 1877, il put alors séjourner à Lorient assez longtemps pour céder à ce démon de l’écriture dont il était possédé depuis son jeune âge. C’est dire qu’il ne débuta dans les lettres que vers la trentaine. En 1879 il publia, en effet, Aziyadé , petit chef-d’œuvre qui passa inaperçu. Mais il prit sa revanche peu après en donnant Rarahu, idylle polynésienne qu’il devait appeler par la suite Le Mariage de Loti (1880). Fort du succès considérable qu’il venait ainsi d’obtenir, l’auteur fit paraître alors Le Roman d'un spahi (1881), Fleurs d’ennui (1882), Mon frère Yves (1883), Les Trois Dames de la Kasbah (1884), Pêcheur d’Islande (1886), Madame Chrysanthème (1887), Au Maroc (1889), Fantôme d’Orient (1891), sorte de suite d’Aziyadé. En mai 1891, s’étant acquis avec ses livres une grande réputation, Pierre Loti se vit élire à l’Académie Française en remplacement d’Octave Feuillet. Rappelons qu’ayant été élu contre Émile Zola, il fut durement pris à partie par les disciples de ce dernier. Sans rien relâcher de sa conscience habituelle, l'auteur fit paraître ensuite trois ouvrages d’un ton assez différent : Matelot (1893), Le Désert (1895), et Ramuntcho (1897). Cependant Loti était lieutenant de vaisseau et tenait à le rester. Malheureusement, les choses allaient se gâter : en 1898, il avait fait paraître dans un journal certaine relation de bataille qui déplut fort au ministère. Il fut donc mis à la retraite. Mais s’étant pourvu devant le Conseil d’Etat, il obtint finalement gain de cause : rappelé en activité l’année suivante, il fut alors promu capitaine de frégate (1899). Quelques mois plus tard, à la suite des troubles de Chine (1900), il servit dans l’escadre envoyée par la France en Extrême-Orient. De ces nouveaux voyages, il rapportera la matière de plusieurs livres : Les Derniers Jours de Pékin (1902), L’Inde sous les Anglais 0903), Vers Ispahan (1904), Les Désenchantées (1906). Promu capitaine de vaisseau en 1900 et atteint par la limite d’âge quatre ans plus tard, il dut prendre sa retraite en 1910. Ayant donné, peu avant, La Mort de Philae (1909), il lit paraître ensuite Le Pèlerin d’Angkor (1912) et La Turquie agonisante (1913). Quand éclata la guerre de 1914, il tint à reprendre du service, et s’y maintint jusqu’à la fin des hostilités. S’étant éteint dans la maison qu’il possédait à Hendaye, il eut des obsèques nationales et fut enterré à Saint-Pierre (île d’Oléron), dans le jardin où s’était écoulée son enfance. Peu avant sa mort il avait fait paraître, en collaboration avec son fils, Suprêmes Visions d’Orient (1921). Disons tout de suite que le public s’est toujours plu à simplifier à l’excès la figure de Pierre Loti. Au vrai, l’on connaît peu d’esprits plus mobiles que le sien. Sujet à l’inquiétude, il oscillait sans cesse et se voyait en contradiction avec lui-même. Incapable de se fixer, il se sentait en exil dans toute contrée qu’il visitait. Il se trouve pourtant quelque chose qui ramène à l’unité les fluctuations de son esprit : le désenchantement. Si, par ce trait, il nous rappelle Chateaubriand, il faut bien voir néanmoins que cette ressemblance demeure toute superficielle. Au contraire, en effet, de l’auteur d’Atala , Loti eut fort peu à souffrir des vicissitudes du sort. S’étant cru de bonne heure la vocation d’écrivain, il put la suivre sans entraves en courant les mers et en découvrant les pays les plus fastueux. Possédant le goût de la créature autant que celui des objets, il eut tout loisir d’en jouir jusqu’à l’exhaustion. S’étant acquis la gloire la plus haute dès l’âge de trente-six ans, il ne la vit jamais subir la moindre éclipse. Symbole même de la réussite, il fut un homme comblé au-delà de toute mesure. Est-ce à dire que son fameux désenchantement dérive de cet état qu’on nomme la satiété ? C’est trop simple : disons plutôt qu’il lui est congénital. Faute d’avoir su garder la foi de ses ancêtres («J’ai essayé de rester chrétien et je ne l’ai pas pu »), il s’est laissé envahir par un panthéisme dont la forme dominante était la hantise de la mort. Bien qu’il fût loin d’avoir la tête philosophique, il s’effrayait de voir combien l’homme est peu de chose en regard de l’univers — sous l’action dévorante du Temps. Il semble qu’il ait trouvé dans la pratique des lettres un remède à son obsession. Certes, ce remède ne fut jamais qu’un palliatif. Mais il faut croire que, tel quel, il avait bien quelque vertu à en juger par l’œuvre assez considérable que Loti nous a laissée. Elle comprend, outre les ouvrages cités, un Journal intime, lequel, d’ailleurs, est encore inédit à l’heure présente et forme, selon Loti lui-même, la matière de deux cents volumes. Ajoutons sa Correspondance qu’on est loin d’avoir recueillie intégralement.
♦ « Loti apportait quelque chose de tout à fait neuf : une poésie très personnelle, à la fois directe et extrêmement raffinée. Il ne séparait jamais l’expression des choses du subtil faisceau de sentiments qu’il éprouvait. Il a eu le don unique d’évoquer, de décrire et de définir en épanchant sa sensibilité. Ses moyens de séduction sont d’une variété rare. Leur action est d’autant plus vive qu’il se tient toujours à l’extrême pointe de la sensation. Il ne heurte pas, il s’insinue. Tout chez lui est d’essence subtile comme la musique... » Frédéric Mallet. ♦ « Son domaine propre est cette région indéterminée où la vibration suraiguë des nerfs fait de la jouissance une douleur et des larmes une volupté... Il possède un tel pouvoir de noter l’infiniment petit de ses émotions qu’il vous entraîne avec lui dans un monde d’exaltation continue... De tous les descriptifs de notre époque, Loti est celui dont le vocabulaire est le plus modeste, le plus borné aux termes quotidiens, le plus étranger à l’argot du métier, le plus sobre enfin de néologismes. Il a deviné avec un tact supérieur d’admirable ouvrier du style la limitation précise de cet outil qu’est notre prose.» Paul Bourget. ♦ « Dans son discours de réception à l’Académie Française, Loti s’est déclaré l’homme d’une seule manière littéraire et jugea qu’à un véritable écrivain ne convenait qu’un type de livre qu ’il répétait toujours. Ajoutant que ce livre unique fut pour lui son livre de bord, il observe que « ce vrai journal de marin n ’atteint toute sa perfection que lorsqu’il se développe sur la mer ou sur cette figure terrestre de la mer qu’est le désert ». Loti occupera dans notre univers littéraire une place aussi calme, aussi pleine, aussi belle que son tombeau dans la campagne d’Oléron. Le léger oubli qui s’était fait autour de lui après sa mort le préparait à la gloire où il entre aujourd'hui. » Albert Thibaudet.
Romancier, né à Rochefort. Sa mère l’élève douillettement - comme une petite fleur de serre chaude, dit-il - ; mais il rie rêve déjà que perpétuels déracinements : fidèle à ses ancêtres, il sera voyageur et marin. À peine aspirant officier de marine, il a déjà poussé jusqu’en Polynésie. C’est d’ailleurs à Tahiti qu’une native lui donne ce sobriquet de « Loti » (dont il fera son pseudonyme), qui désigne une plante des îles. Dès lors, chaque escale sera jalonnée d’un livre - de souvenirs transposés, le plus souvent ; exquises fleurs exotiques, qu’il rapporte en France à un public enthousiaste. De Turquie, Aziyadé (1879) ; de Tahiti, Rarahu (repris en 1882 sous un titre plus explicite, Le Mariage de Loti) ; de Bretagne, Mon frère Yves (1883), et encore Pêcheur d’Islande (1886) ; du Japon, Madame Chrysanthème (1887), etc. Loti a tenu ses contemporains sous le charme par la musique douce et les rythmes souples de sa phrase, où il s’abandonne et se confie à chacun de ses lecteurs, avec quelque complaisante mélancolie.