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L'irrationnel (Fiche de révision)

 

Irrationnel: ce qui ne résulte pas d'une activité consciente fondée sur la faculté de raisonner ou guidée par la faculté de bien juger (cf. un désir, une passion, une croyance irrationnels). Irrationnel: ce qui ne peut être expliqué par la raison (ex. un miracle).

On peut distinguer :

La raison constituante, c.-à-d. la raison en tant que puissance dynamique toujours en évolution et en développement.

La raison constituée, c.-à.d. la raison en tant qu’elle se cristallise et se fige à une époque donnée dans un code public de règles constituées et de vérités reconnues. Ainsi ce qui peut apparaître irrationnel pour une raison constituée ne l'est pas toujours pour la raison constituante (cf. par ex. les nombres irrationnels, les géométries non-euclidiennes, etc.).

«Tout ce qui est réel est rationnel» (Hegel) : pour la raison l’irrationnel n’est que le provisoirement inexpliqué. Il existe un irrationnel absolu: pour la conscience religieuse Dieu peut être posé comme ce qui est par nature inaccessible à la raison, étant au-delà toute pensée (cf. la théologie négative du pseudo-Denys l’Aréopagite).

• Le problème essentiel qui se pose ici est d'arriver à dégager l'irrationnel dans sa réalité et sa pleine positivité, alors que les philosophies rationalistes (celle de Hegel, par exemple) avaient tenté de voir en lui un aspect très superficiel des choses (Hegel, § 3, 4, 5). L'irrationnel est un irréductible (§ 6), une limite permanente à l'intelligibilité (§ 7), ou bien ce qui n'est pas guidé par la raison (§ 8). En tant que tel, il est la trame même du réel. • La raison désigne la faculté de bien juger, et l'irrationnel, ce qui est contraire à la raison et à ses normes (§ 1). • C'est essentiellement à Descartes (§ 2) que nous devons la première grande réflexion sur la pensée rationnelle (Cf. le «bon sens» du "Discours de la Méthode"). • Hegel, bien plus encore que Descartes, a développé un rationalisme intégral (§ 3). Dans sa philosophie, l'irrationnel disparaît en tant que réalité positive, car la raison absorbe tout (§ 4). Cette réflexion rationaliste ne manque pas de grandeur (§ 5). • Malgré la négation rationaliste, l'irrationnel existe bel et bien (§ 6). Il représente une limite permanente à l'intelligibilité que nous trouvons dans le réel. L'irrationnel, c'est alors l'absurde (§ 7). L'irrationnel désigne aussi ce qui, en nous, ne relève pas d'une activité consciente (§ 8). • Il faut donc relativiser la raison (§ 9) et rétablir la valeur et le sens de la folie (§ 10). • Le vrai rationalisme est prudent et modeste (Conclusion).

I — La raison et l'irrationnel

Si la raison désigne une fonction de pensée juste et synthétique, la faculté de bien enchaîner ses jugements, l'irrationnel peut être défini de prime abord comme ce qui est contraire à la raison et à ses normes, ce qui est étranger à la raison et ne peut être appréhendé par elle. Aussi, pour comprendre le sens et la réalité de l'irrationnel, allons-nous faire un détour par la notion de raison, cette faculté de bien juger que la philosophie occidentale a, depuis les Grecs, mise au centre de sa réflexion. La raison est, en effet, le pilier de notre système de pensée.

II — Le «bon sens» ou raison

Dans la philosophie moderne, c'est essentiellement à Descartes que nous devons la première grande réflexion sur la pensée rationnelle. On a coutume de faire remonter au Discours de la Méthode le commencement d'une ère de la raison. Que signifie, chez Descartes, ce mot de raison ? Il désigne la faculté de bien juger et de discerner le vrai du faux. Au début du "Discours de la Méthode", Descartes affirme, en effet, que nous possédons tous la raison, cette faculté de bien juger. Elle est la seule chose qui nous rend homme : tout être humain peut se définir par elle car elle est tout entière en chacun. Ainsi, par la raison ou «bon sens», sommes-nous tous égaux. Toute la différence entre les hommes tient à la méthode, et non point à la raison. « Le bon sens est la chose du monde la mieux partagée : car chacun pense en être si bien pourvu que ceux mêmes qui sont les plus difficiles à contenter en tout autre chose n'ont point coutume d'en désirer plus qu'ils n'en ont. En quoi il n'est pas vraisemblable que tous se trompent; mais plutôt cela témoigne que la puissance de bien juger et distinguer le vrai d'avec le faux, qui est proprement ce que l'on nomme le bon sens ou la raison, est naturellement égale en tous les hommes.» (Descartes, "Discours de la Méthode")

III — Le rationalisme intégral de Hegel

Si Descartes se place dans la lignée des philosophes rationalistes (être rationaliste, c'est affirmer que les seules connaissances valables proviennent de la raison), c'est certainement avec Hegel, au xixe siècle, que le rationalisme devient intégral : la raison trouve dans cette philosophie son point d'aboutissement exemplaire. Dans la réflexion de Hegel, tout est intégralement rationnel et explicable : la raison gouverne en effet le monde. Hegel entend par raison, non point une faculté individuelle et subjective, mais la forme de l'Esprit absolu auquel nous participons. Cette unité spirituelle qu'est la raison apporte aux choses une intelligibilité absolue. Elle donne sens au réel et à l'histoire. Le domaine de la raison divine et absolue, de l'Esprit modelant les choses, s'étend, en effet, partout. La raison est présente dans l'histoire universelle et dans la formation progressive de l'Esprit. Elle représente l'ordre même des choses, et tout ce qui existe est une révélation de la raison. «La seule idée qu'apporte la philosophie est la simple idée de la Raison, l'idée que la Raison gouverne le monde et que, par conséquent, l'histoire universelle s'est, elle aussi, déroulée rationnellement. Cette conviction, cette idée est une présomption par rapport à l'histoire en tant que telle. Ce n'en est pas une pour la philosophie. Il y est démontré par la connaissance spéculative que la Raison... est sa substance, la puissance infinie, la matière infinie de toute vie naturelle ou spirituelle.» (Hegel, "La raison dans l'histoire")

IV — Quand disparaît l'irrationnel

Dès lors, l'irrationnel disparaît. Si nous convenons de définir l'irrationnel comme ce qui est contraire à la raison et à ses normes, ce qui est étranger à la raison et ne peut être appréhendé par elle, il faut bien convenir qu'il n'existe pas d'irrationnel au sens réel du terme dans la philosophie de Hegel : en effet tout peut être expliqué rationnellement. Tout peut être compris par la Raison. Le monde est ordonné selon la Raison divine à laquelle il nous est donné de participer (n'oublions pas que Hegel est panthéiste, qu'il identifie Dieu et la totalité des choses). Dans la mesure où le devenir obéit à une rationalité intégrale, la philosophie n'est rien d'autre que la découverte du rationnel qui est aussi le réel. Ainsi, c'est à la superficie seulement que règne le jeu des hasards irrationnels, nous déclare Hegel. L'irrationnel perd en somme toute existence et constitue l'écume fantasmatique du réel. Dans la "Préface des Principes de la philosophie du droit", Hegel énonce la célèbre formule de l'idéalisme rationaliste : ce qui est rationnel est réel. Ce qui est réel est rationnel. Seul existe ce qui est conforme aux lois de l'Esprit.

V — Grandeur du rationalisme hégélien

Le mérite de la philosophie hégélienne est certainement d'avoir amorcé un mouvement de la raison vers l'Autre de la raison. Ce que Hegel a tenté de comprendre et d'expliquer totalement c'est, en particulier, la violence et l'irrationnel de l'histoire. Il a voulu, d'un seul et même mouvement, embrasser ce qui est conforme à la raison et ce qui paraît fondamentalement étranger à son exercice, à son devenir et à son développement. Cette conception n'est pas sans grandeur. Quand l'histoire charrie ses scories, ses désordres et des incohérences, il faut tenter de saisir l'ordre de la raison derrière l'apparent chaos. Hegel s'est certainement efforcé d'élargir la raison. Désormais, plus rien n'est étranger à elle. « Hegel est à l'origine de tout ce qui s'est fait de grand en philosophie depuis un siècle... Il inaugure la tentative pour explorer l'irrationnel et l'intégrer à une raison élargie qui reste la tâche du siècle.» (Merleau-Ponty, "Sens et non-sens", Nagel) «Sous les ordres de Hegel, la Raison part en croisade. Elle peut tout convertir à sa foi. Rien ne lui doit rester étranger. Avant Hegel, elle faisait des concessions à l'irrationnel : elle capitulait devant des mystères, devant des mythes, elle abandonnait une part du terrain au mysticisme... Plus développée, devenue consciemment dialectique, la raison se montre capable de comprendre ce qui restait opaque à l'entendement.» (J. d'Hondt, "Hegel". Textes et débats, Le livre de poche, 1984)

VI — Mais l'irrationnel est un irréductible

Cette tentative rationaliste nous paraît cependant vouée à l'échec. Hegel a, en effet, tenté d'intégrer dans le mouvement de la raison toutes les contradictions de l'existence, toutes les antinomies de l'histoire et de la vie. Néanmoins. tout se passe comme s'il existait en définitive — en particulier dans le domaine de l'histoire — une sorte de résidu irréductible, une trame étrangère à la pure clarté de l'esprit et de la raison, une réalité non intégrable. On ne saurait intégrer dans le mouvement de la rationalité toutes les souffrances et tous les désordres historiques. L'irrationnel existe bel et bien. La science elle-même a renoncé à la rationalité totale ainsi qu'on le constate dans les limites du formalisme logique et dans la mécanique quantique.

VII — L'irrationnel, limite permanente à l'intelligibilité

Pour une philosophie rationaliste, l'irrationnel n'est que provisoire : à la limite, il représente seulement ce qui n'est pas encore connu. Bien au contraire, il nous semble possible de concevoir l'irrationnel comme ce qui est fondamentalement étranger et contraire à la raison. L'irrationnel désigne alors ce qui est autre que la raison, et ce de manière absolue. Il existe deux formes fondamentales d'irrationnel : cette limite permanente à l'intelligibilité que nous trouvons dans le réel (1) et ce qui n'est pas vraiment guidé par la raison et par les aspects conscients de notre moi (2). Examinons d'abord l'irrationnel au premier sens du terme : ici il nous faut bien en revenir, avec la philosophie dite existentielle, à l'absurde, à ce tissu dépourvu de sens, de toute notre existence. Car l'existence, par définition, ne s'intègre pas, ne s'explique pas, elle échappe à toutes les raisons et à toutes les notions. Elle n'est pas du domaine des explications, mais elle surgit sans raison, sans cause et sans nécessité : elle est un irrationnel, un fait brut que nulle déduction ou explication ne saurait justifier. Ici, il faut citer Sartre, avec les analyses de la "Nausée" (l'existence est alors décrite comme ce qui est absurde et ne peut se déduire), mais aussi Soeren Kierkegaard (1813-1855), le père de l'existentialisme, qui a montré, dans le "Post-Scriptum aux miettes philosophiques" (1850), qu'il est impossible de dissoudre l'existence dans le déploiement de la raison universelle. Mais sans doute pourrions-nous également nous référer à Pascal qui a si bien donné à voir l'irrationnel de l'existence humaine. « Tout existant naît sans raison, se prolonge par faiblesse, meurt par rencontre.» (Sartre, "La Nausée", NRF, 1938)

VIII — L'irrationnel de l'esprit humain

Mais l'irrationnel ne désigne pas seulement cette trame absurde de l'existence humaine, il exprime, en un deuxième sens, ce qui, en nous, n'est pas le produit d'une activité consciente. Ici l'irrationnel n'est rien d'autre que la vie de l'esprit sous sa forme la plus spontanée. Pensons aux puissances souterraines et crépusculaires du rêve, de l'inconscient ou du désir, qui ne dérivent pas d'une activité rationnelle, mais forment au contraire la nappe abyssale de notre psyché. Ainsi, l'irrationnel surgit dans la plongée analytique. Bien que l'analyse de l'inconscient ait pour but de faire surgir des relations rationnelles entre les désirs refoulés et les actes qu'ils provoquent, il existe dans la nature même de ces désirs un irrationnel irréductible. De même, le surréalisme nous fait saisir cette mer de l'irrationnel, au plus profond de nous-mêmes. «Surréalisme, n.m. Dictée de la pensée en l'absence de tout contrôle exercé par la raison, en dehors de toute préoccupation esthétique ou morale.» (A. Breton, "Manifeste du surréalisme", J.-J. Pauvert, éditeur)

IX — Relativiser la raison

Il faut donc relativiser la raison. Le concept d'une ratio toute puissante, exerçant son contrôle sur la totalité du réel, nous paraît un concept caduc. Jadis pivot du monde, considérée comme absolue et immuable, la ratio fait de nos jours aveu de modestie et surtout de relativité. Elle est historique, relative, changeante, et ne saurait nous donner la clef de la totalité du réel. La raison est un centre actif nouant un dialogue avec les choses sans pour cela les régenter. « La philosophie traditionnelle d'une raison absolue et immuable n'est qu'une philosophie. C'est une philosophie périmée.» (Bachelard, "La philosophie du non", PUF, 1940)

X — «Homo demens» : l'homme fou

Dès lors, peut se révéler à nous la face longtemps cachée de l'homme, sa face de démesure et de folie. Si la raison cesse d'être un absolu, alors l'homme peut être conçu comme fou et sage à la fois. Ainsi le thème de la folie humaine, sujet de méditation d'un Montaigne ou d'un Pascal, reprend son sens. L'originalité profonde de l'homme est d'être un animal doué de déraison et de folie. La folie, conçue comme absence d'ordre et de raison organisatrice, est constitutive de l'existence humaine. « On ne peut plus opposer substantiellement, abstraitement, raison et folie. Il nous faut, au contraire, surimposer au visage sérieux, travailleur, appliqué d'homo sapiens le visage... d'homo demens. L'homme est fou-sage.» (E. Morin, "Le paradigme perdu : la nature humaine", Le Seuil, 1973)

Conclusion

Le vrai rationalisme de notre temps est prudent et modeste. Il est davantage caractérisé par des hypothèses que par des dogmes, il semble avoir compris qu'on ne pouvait séparer la raison et l'irrationnel.

SUJETS DE BACCALAURÉAT

L'irrationnel est-il nécessairement absurde? (Clermont-Ferrand, A, 77) La raison peut-elle reconnaître sens et valeur à la folie? (Rouen, A, 77) Faut-il se désintéresser de l'irrationnel? (Amérique du Sud, A, septembre 1985). Faut-il laisser une place à l'irrationnel dans la conduite de la vie? (Sujet national, A, septembre 1987).

   

La raison se définit par une double exigence, d'ordre et de mesure, à laquelle échappent l'irrationnel d'une part, le déraisonnable d'autre part. C'est donc à partir de l'exigence d'ordre de la raison qu'il faut essayer de saisir l'irrationnel (cf. Bossuet: «L'ordre est ami de la raison et son propre objet»).

I. DÉFINITIONS

- A - Les principes de la raison. Les démarches de la raison obéissent à certains principes que l'on peut, avec Kant, ranger en trois groupes : 1) des principes logiques qui énoncent les règles de l'accord de la pensée avec elle même (principes d'identité ou de non-contradiction ou du tiers exclu); 2) des principes constitutifs qui interviennent dans la constitution de toute connaissance et qui définissent l'entendement (substance et causalité essentiellement) ; 3) des principes régulateurs (finalité notamment) qui servent de règle à la connaissance mais n'ont pas de valeur objective; ils relèvent de la raison au sens restreint du terme.

- B - Les degrés de l'irrationnel. Nous sommes ainsi faits que nous ne pouvons manquer de nous interroger sur la fin de toute chose et nous avons tendance à croire que «la nature ne fait rien en vain» (Aristote). Mais la science, qui est l'œuvre de la raison, n'en écarte pas moins la considération des causes finales, ce qui signifie que l'irrationnel ainsi défini ne trouble pas vraiment la raison. - En revanche, la disparition pure et simple d'une substance (et non sa transformation) ou la production d'un phénomène sans cause nous paraîtrait relever du miracle, c'est-à-dire appartenir à un ordre étranger à la raison. - Enfin l'illogique est ce qui choque le plus la raison au point que la contradiction nous paraît signifier la nullité d'une pensée, et l'incohérence sa faiblesse. On considère ordinairement comme fou ou, du moins, comme faible d'esprit, celui dont la pensée n'obéit pas aux règles de la logique.

- C - Apparence et réalité de l'irrationnel. Lévy-Bruhl avait bien parlé d'une mentalité pré-logique des «primitifs», mais cette notion était mal établie et il faut bien reconnaître qu'une pensée qui n'obéirait pas au principe de non-contradiction serait pour nous incompréhensible. En revanche, tout ce dont nous ne pouvons rendre raison n'est pas pour autant irrationnel, dans la mesure où notre impuissance à expliquer peut n'être que provisoire : c'est ainsi que l'impossibilité où nous sommes de déterminer la trajectoire d'un corpuscule élémentaire (principe d'incertitude d'Heisenberg) ne signifie pas que celle-ci soit absolument indéterminée. L'irrationnel authentique, ici, ne pourrait être que ce qui est radicalement et définitivement incompréhensible. La raison rencontre-t-elle un tel irrationnel?

II. LE RATIONALISME ET SES LIMITES

- A - Le rationalisme dogmatique. Constructions rationnelles par excellence, les mathématiques ont toujours donné à la philosophie l'espoir de tout comprendre par les seules forces de la raison. Si l'on admet, en effet, avec Platon, que le monde sensible n'est qu'un reflet du monde intelligible ou, avec Descartes, que Dieu a mis dans la raison humaine des «semences de vérité» qui doivent lui permettre de comprendre toute chose, il ne peut y avoir d'irrationnel véritable. Plus proche de nous, le scientisme affirmait aussi que la science était capable, à plus ou moins longue échéance, de rendre raison de tous les phénomènes, la notion d'irrationnel n'étant que le témoignage de notre ignorance provisoire (cf. Durkheim : «il n'y a rien dans le réel que l'on soit fondé à considérer comme radicalement réfractaire à la raison humaine»).

- B - Le rationalisme critique. Mais les mathématiciens étudient des nombres «irrationnels» et Descartes lui-même, parlant de Dieu, avouait qu'«il est de la nature de l'infini que moi qui suis un être fini et borné ne le puisse comprendre» ("Troisième Méditation"). Le criticisme de Kant est précisément un effort pour définir les limites à l'intérieur desquelles on peut se fier à la raison et il aboutit à distinguer le monde des choses en soi ou «noumènes», qui nous est inconnaissable, du monde des phénomènes où la raison se retrouve parce qu'elle le détermine selon ses propres lois. C'est dire que toute connaissance est rationnelle mais que l'être même échappe à la raison. En montrant, d'autre part, que l'existence s'éprouve mais ne se prouve pas, Kant ouvrait la voie aux thèmes existentialistes de l'irrationalité de l'existence (Cf. Alain: «Aucune raison ne peut donner l'existence, aucune existence ne peut donner ses raisons»).

- C - La raison et la foi. La raison s'exerce donc sur des données qu'elle ne produit pas (l'existence, les natures, les passions, etc.) et il est raisonnable de penser, si l'on n'admet pas l'hypothèse d'une harmonie préétablie entre le réel et la raison, qu'elle ne s'y retrouvera jamais pleinement. Mais, de plus, la raison ne peut même pas rendre raison d'elle-même et n'a de valeur que par la confiance qu'on lui accorde. Le scepticisme, en ce sens, est irréfutable, puisque toute raison que je donnerai de me fier à la raison suppose déjà que je me fie à elle par une décision irrationnelle. Le rationalisme apparaît ainsi comme un acte de foi. Mais peut-être faut-il dire que l'irrationalisme témoigne d'une «mauvaise foi» dans la mesure où il est négation de la condition même de l'homme, être doué de raison, (cf. Saint Augustin: « Que la foi doive précéder la raison, cela même est un enseignement de la raison »).

CONCLUSION Il est possible que l'irrationnel soit le fond de la nature des choses et la loi, si l'on peut dire, de leur existence, mais l'homme est au monde et ne s'y retrouve que grâce à sa raison. S'il est vrai que celle-ci, selon la formule de Comte, «n'a que de la lumière», il est vrai aussi que, sans elle, l'homme est aveugle.

ÇA PEUT TOUJOURS SERVIR

En littérature : la tradition littéraire du merveilleux, les œuvres des mystiques (sainte Thérèse d'Avilla, saint Jean de la Croix, etc.) ; Sade, Les 120 journées ; D. Diderot, Le Neveu de Rameau; le surréalisme, notamment A. Artaud (Voyage au pays des Tarahumaras, Van Gogh ou le suicidé de la société, etc.) ; Gogol, Journal d’un fou.

Peinture : Goya, Le préau des fous ; Van Gogh, l’art brut.

Cinéma : I. Bergman, L'heure du loup, Personna, 1966 ; E. Von Stroheim, Les Rapaces (Greed), 1924; Milos Forman, Vol au-dessus d’un nid de coucou, 1975 ; S. Kubrick, Shining, 1980 ; K. Loach, Family life.

Indications de lecture

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