L'irrationnel (cours de philosophie)
Le rationalisme a toujours posé la prééminence absolue, « de jure » et « de facto » (en droit et en fait) de la Raison par rapport à toutes les autres formes d'activité psychique. C'est au nom de la Raison conçue, en Europe du moins, comme fondement nécessaire d'une morale, d'une politique, d'une philosophie générale, voire d'une théologie, sur le modèle de la raison mathématique more geometrico , que l'erreur et l'illusion, le rêve, la magie et la religion, la pensée « barbare », infantile ou délirante, l'Amour et le Sentiment, ont été en effet si longtemps tenus dans l'esclavage, considérés comme négatifs et indifférenciés, et en quelque sorte (comme dit la psychanalyse) « scotomisés » (tenus dans l'ombre, du grec « skotos »). Le schéma de cette exclusion a souvent été rappelé. C'est donc ce que l'on peut appeler ratiocentrisme ou mieux logocentrisme au sens où Raison se dit Logos en grec (qui signifie : ce qui rassemble, mais aussi la parole, le discours, et les intermédiaires du Raisonnement), ainsi que les « raisons d'être » (la ratio d'un élément est ce qui en rend raison). Or il se trouve que, là encore, la philosophie moderne est une contestation de ce primat de la Raison et du rationnel, et donc une réhabilitation de l'irrationnel.
— I — La raison métaphysique et l’irrationnel.
La Raison encore massive et sans structure telle qu'elle est dans la logique d'Aristote, d'autant plus triomphante qu'elle est plus simplificatrice a donc l'impression que le réel peut se plier à ses lois abstraites sans difficulté, fait preuve d'un logocentrisme absolu, et d'un impérialisme qui d'une part se fonde sur l'anthropocentrisme, et d'autre part le fonde à son tour. Elle exclut donc de la Philosophie traditionnelle, ses Autres, figures à peine différenciées du Mal, du Faux, du Dérisoire.
1 — Les autres de la Raison : l'irrationnel honteux (l'enfance, l'animal, le sauvage, le fou).
A — La Raison et l'infans (irrationnel = prérationnel). Si la Raison est Logos ou discours, ce qui est avant le langage est irrationnel. L'enfance l'in fans (de for, fari, parler) est celui qui ne parle pas et donc la limite extrême du domaine du Logos. L'enfant avant le langage est un être sans Raison parce qu'il est sans pensée. On favorise d'ailleurs la répudiation de cet irrationnel honteux, en considérant le bébé comme un « tube digestif », un objet (que dans l'ancien temps on suspendait au plafond). L'enfant baptisé entrait dans le « monde de l'adulte », mais il fallait attendre son premier costume semblable à celui du père, pour considérer comme accessible à la raison, le « petit homme ». Attitudes significatives et encore observables dans la société moderne.
B — La raison et l’animalité (a rationnel = irrationnel). L'animal est l'a rationnel, de négation et non de privation (Descartes, à la suite des scolastiques note que dans une pierre il y a négation de la vision, et non privation, car la pierre n'a jamais pu prétendre que la vision lui était due). La façon d'étudier la psychologie animale du début du siècle, si elle montre un réel progrès de la pensée par rapport à l'exclusion cartésienne de l'animal dans la pure extériorité de l'espace (l'animal est un robot, une machine) n'en reste pas moins tributaire d'une métaphysique. Comme si l'on pouvait attendre d'une telle étude des réponses spécifiques de l'animal, alors qu'il est clair : que le milieu ne propose jamais de telles situations (labyrinthe) ; qu'en conséquence, des «réactions catastrophiques » (Goldstein) apparaissent, c'est à dire des réactions non adaptées et non significatives de l'adaptation de l'animal à son milieu.