L'indicible / L'ineffable (cours sur le langage)
L'ineffable.
Il est des réalités intraduisibles par le langage.
- Dans le domaine psychologique:
Le langage paraît en effet inapte à traduire dans toutes ses nuances ce que nous sentons. Il ne saurait évidemment faire partager la sensation elle-même : comme l'observait Leibniz, « nous ne saurions connaître le goût de l'ananas par la relation de nos voyageurs ».
- Dans les émotions, sentiments, passions de la vie affective, il existe bien des nuances individuelles que le langage ne traduit que fort imparfaitement: un « je-ne-sais-quoi » intraduisible, un « presque-rien » inexprimable. Les douleurs d'une extrême intensité sont-elles dicibles? « Les grandes douleurs sont muettes. » disait le vieux Sénèque (philosophe stoïcien, Ier siècle après J.C.). Les grandes joies le sont sans doute également. Les « je t'aime » que nous prononçons ont été cent fois, mille fois, prononcés et entendus par d’autres : « Tout est dit depuis huit mille ans qu'il y a des hommes et qui pensent » (La Bruyère). Les mots sont usés, élimés.
Pour Roland Barthes (1915-1980), il est impossible de transcrire de façon directe et absolue ses sentiments. « Écrire l'amour c'est affronter le gâchis du langage, cette région d'affolement où le langage est à la fois trop et trop peu » (R. Barthes, Fragments d'un discours amoureux, p. 115, éd. du Seuil, 1977).
- Dans le domaine religieux ou métaphysique: Qui reconnaît l'existence d'un être infini, reconnaît par là même l'impuissance de l'intelligence humaine à le comprendre pleinement et celle du langage humain à l'exprimer adéquatement. Dieu, c'est « l'ineffablement élevé » (Concile de Trente). « Les voies du Seigneur sont impénétrables », dit-on encore. Toute idée que l'on se fait de la divinité se voit démasquée dans son inadéquation à délimiter ce qui est sans limite. Dieu est l'indicible sur lequel rien ne peut être affirmé (théologie négative). Le silence serait l'expression normale de l'inconditionné. Sainte Thérèse d’Avila (religieuse mystique espagnol du XIVe) : la méditation et au silence intérieur, conditions préalables à un retour au plus profond de l'être, là où Dieu parle en secret à l'âme.
TRANSITION = L'ineffable est flou, imprécis et obscur. Seul, le mot détermine, structure et forme la pensée. Ne pense-t-on pas en mots comme on paie en euros ou en dollars? Le mot n'est-il pas l'unité même de la pensée comme le point mathématique est l'unité, l'élément même de la géométrie? Consubstantialité entre langage et pensée (=> Thèse de Hegel).