L'exploitation du travail des enfants fait enfin l'objet d'une prise de conscience internationale
L'exploitation du travail des enfants fait enfin l'objet d'une prise de conscience internationale
De tout temps, les enfants ont travaillé, dans le monde entier: que ce soit dans l'agriculture, dans l'artisanat, dans l'industrie naissante en Europe au XIXe siècle, et jusqu'à présent. Ces dernières années, l'exploitation des enfants est devenue objet de scandale. L'opinion mondiale s'en alarme, comme l'a amplement démontré le congrès organisé sur ce thème à Oslo, à la fin de 1997, par l'UNICEF (Fonds des Nations unies pour l'enfance), le BIT (Bureau international du travail) et le gouvernement norvégien.
Pourquoi une telle prise de conscience survient-elle aujourd'hui? Parce que, sans aucun doute, jamais les enfants n'ont autant travaillé qu'aujourd'hui, dans des conditions aussi inhumaines et que, parallèlement, la notion de droits de l'enfant a fait des progrès considérables. Depuis 1990, la Convention internationale sur les droits de l'enfant est en vigueur (elle était ratifiée à la fin de 1997 par tous les pays du monde sauf deux, les États-Unis et la Somalie). Ce texte interdit formellement l'exploitation des enfants qui mine leur développement physique et psychique.
Combien le monde compte-t-il d'enfants au travail? Il est difficile de répondre à cette question: ce travail est en effet en grande partie clandestin et, lorsqu'il ne l'est pas, il fait l'objet d'une intense sous-déclaration; enfin les statistiques, quand elles existent, ne comptabilisent que les enfants âgés de plus de dix ans. Or une quantité d'enfants travaillent bien avant cet âge, parfois même dès cinq ans.
250 millions d'enfants au travail
Malgré ces incertitudes, il est possible d'avancer quelques ordres de grandeur: le nombre des enfants au travail, âgés de 5 à 14 ans, se situerait dans le monde aux environs de 250 millions, selon les estimations concordantes du BIT et de l'UNICEF. Mais ces enfants, où sont-ils? Contrairement à une notion répandue, ils ne se recrutent pas exclusivement dans le tiers monde, loin s'en faut. L'Union européenne en compterait à elle seule quelque deux millions, notamment au Royaume-Uni, mais surtout dans l'Europe du Sud: Portugal, Espagne, Italie, Grèce. Cela concerne de nombreux types d'activités, notamment l'industrie du cuir, le textile, la construction, la réparation automobile, la restauration, etc.
Aux États-Unis, l'exploitation des enfants est largement pratiquée, notamment parmi la population immigrée, en particulier latino-américaine, et surtout dans l'agriculture. Les exploitations agricoles proches de la frontière mexicaine, mais aussi les grandes fermes du nord du pays, emploient un nombre non négligeable d'adolescents, qui augmente au fil des années de l'aveu même des autorités qui tentent de réprimer ce fléau.
Enfin, l'Europe de l'Est voit le développement massif du phénomène, en raison de la paupérisation croissante des familles, de leur déstructuration, de la désocialisation des jeunes et de l'offre sauvage de travail dans l'économie "noire" ou "grise", c'est-à-dire informelle.
C'est bien entendu dans le tiers monde que le phénomène est le plus massif: dans les pays en développement, un enfant sur quatre en moyenne est au travail. L'Asie, à elle seule, regroupe la moitié des enfants exploités du monde. Mais l'Afrique n'est pas en reste: un enfant sur trois y travaille, et l'Amérique latine non plus, où la proportion atteint un sur cinq.
Ces enfants au travail, que font-ils? La réponse est simple: ils font tout; presque aucun type d'activité n'échappe au phénomène. -
Travail domestique
Il s'agit de la forme la plus cachée, la plus invisible du travail des enfants, celle qui s'exerce à l'abri des murs d'une maison, dans une famille où l'enfant a été "placé" comme petit domestique, où il devient le plus souvent un véritable esclave et ce, parfois, dès l'âge de cinq ans. Horaires presque illimités, malnutrition, violences - y compris sexuelles -, isolement extrême, absence totale de scolarisation, surcharge de tâches écrasantes sont le lot de ces enfants. Le tout à l'abri des regards extérieurs et, bien entendu, hors de tout contrôle. -
Servitude ou travail forcé
En Asie du Sud surtout, de nombreux enfants, dès l'âge de huit, neuf ans, sont remis en gage par leurs parents à un employeur en échange d'une somme modique. Il arrive que des familles entières, sous couvert de dettes parfois contractées des décennies plus tôt, soient réduites en quasi-esclavage. Il s'agit d'une véritable captivité que l'on rencontre notamment en Inde, au Pakistan, au Népal.
Des formes contemporaines d'esclavage existent cependant aussi au Myanmar (Birmanie), au Brésil ou encore en Mauritanie. -
Exploitation sexuelle
L'existence de cette pratique dans le monde entier, mais surtout dans certains pays d'Asie (Philippines, Thaïlande, Inde, Cambodge), d'Amérique latine (Brésil) et d'Afrique, est depuis peu apparue au grand jour. Il s'agit sans aucun doute de la forme la plus inhumaine et la plus désastreuse d'exploitation, car ses effets physiques et psychiques se prolongent le plus souvent au cours de toute la vie. -
Industrie et artisanat
Les conditions de travail des enfants dans l'industrie et l'artisanat sont le plus souvent extrêmement dangereuses: travail sur le verre à des températures extrêmes (Inde), exploitations minières (Afrique du Sud, Côte d'Ivoire, Congo [ex-Zaïre], Colombie), artisanat du tapis (Inde, Pakistan, Maroc), chaudronnerie, etc.
L'insécurité dans les conditions de travail, les violences sont la règle, de même que les maladies professionnelles et les accidents. -
Agriculture
Dans certains pays en développement, les enfants représentent près d'un tiers de la main-d'oeuvre agricole. Au Bangladesh, sur les 6,1 millions d'enfants économiquement actifs, 82 % travaillent dans l'agriculture. Agriculture de type "industriel" (cultures de rente telles que le sisal, le café, le thé, le coton) ou de type familial: dans les deux cas, le travail des enfants y est non contrôlé, abusif, souvent dangereux (exposition aux pesticides et aux engrais chimiques). -
Métiers de la rue
Dans tout le tiers monde, la rue est devenue un lieu de travail pour les enfants, qu'ils y mendient, qu'ils y vendent à la sauvette toutes sortes de marchandises, qu'ils trient les ordures...
Souvent, ils y sont menacés par des groupes d'adultes qui les voient soit comme des rivaux, soit comme des auxiliaires potentiels, exploités et parfois entraînés de force dans des activités criminelles (trafic de drogue, prostitution). Ces enfants de la rue, en outre, sont la cible des milices urbaines recrutées pour "nettoyer" les faubourgs des grandes villes: en moyenne, trois enfants de la rue sont tués chaque jour à Rio. -
Travail familial
C'est l'une des formes de travail des enfants les plus fréquentes: travaux domestiques ou ménagers au domicile des parents. Il arrive certes qu'il s'agisse d'une forme "douce" de travail, mais l'exploitation n'est jamais loin, surtout lorsqu'il s'agit des filles: quête du bois, de l'eau, soins aux autres enfants plus jeunes, charges et responsabilités excessives, absence de scolarisation
De multiples causes
Les causes du travail des enfants sont multiples. La première est sans aucun doute la pauvreté, la précarité des conditions de vie. Certes, il s'agit d'une explication insuffisante: beaucoup de familles pauvres n'exploitent pas leurs enfants et de nombreux enfants travaillent dans les pays industrialisés. Mais bien souvent, surtout lorsque les parents sont au chômage, les revenus que rapportent leurs enfants sont essentiels. Pauvreté des familles, pauvreté des États aussi. Ces derniers ne consacrent que trop peu de ressources à l'éducation, payent les arriérés de leur dette, subissent de plein fouet les politiques d'ajustement structurel, doivent miser sur les cultures de rente pour se procurer des devises Les pays du tiers monde, comme les couches sociales les plus démunies des populations des pays du Nord, sont entraînés dans une spirale dont le travail des enfants est l'une des conséquences les plus manifestes.
Les explications purement économiques ne suffisent cependant pas à rendre compte du phénomène. Sont aussi en jeu les lacunes des systèmes éducatifs: lorsque l'école coûte cher (frais de scolarité, livres, uniformes), qu'elle représente pour la famille un manque à gagner (l'enfant ne "rapporte" rien), que le cursus scolaire est inadapté à la vie de l'enfant, que les maîtres, démotivés, sont eux-mêmes mal formés et non payés , pourquoi une famille enverrait-elle ses enfants à l'école? Dans le tiers monde, 30 % des enfants qui commencent l'école primaire l'abandonnent en cours de route.
Le poids de certaines traditions entre aussi dans la genèse du phénomène: dans bien des sociétés, il est admis que les enfants des groupes "inférieurs" (les basses castes en Inde, ou encore les minorités ethniques, les immigrés) soient exclus de l'école et travaillent. Bien souvent aussi, il est admis que les filles forment une catégorie née pour l'exploitation: les deux tiers des 140 millions d'enfants qui ne vont pas à l'école dans le monde sont des filles.
Enfin, et ce n'est pas le moindre des facteurs en cause, les enfants, partout dans le monde, sont considérés comme faibles par nature, donc faciles à exploiter. Ils ne se syndiquent pas, ne se révoltent pas, n'ont pas la force d'exiger des salaires décents, surtout lorsqu'on les frappe. Le travail des enfants entre à l'évidence dans la logique imparable de la domination du plus faible par le plus fort.
Que faire? Longtemps les défenseurs de la cause des enfants ont hésité entre plusieurs positions contradictoires. Pour certains, le travail des enfants relève de l'interdiction pure et simple; pour d'autres, le remède ne peut être qu'une éradication progressive. En réalité, chacun s'accorde au moins sur le fait que les activités dangereuses, celles qui portent atteinte au développement des enfants et à leur intégrité physique ou mentale, comme l'exploitation sexuelle, doivent être immédiatement interdites. Cela fait consensus, mais il n'est guère aisé de le mettre en oeuvre.
Pour les autres activités, la notion d'éradication n'appelle pas non plus de solution miracle. Faut-il par exemple en venir au boycottage pur et simple des produits fabriqués par les enfants? A 90 %, ces derniers sont consommés sur place, et un boycottage mis en oeuvre dans le monde industrialisé serait sans grand effet. En outre, cette arme doit être maniée avec la plus grande prudence si l'on veut éviter que le remède soit pire que le mal. Ainsi, en 1992, le dépôt aux États-Unis par le sénateur Harkin d'une proposition de loi prévoyant l'interdiction d'importer sur le sol américain des vêtements fabriqués par des enfants a suffi pour que 50 000 enfants soient licenciés de leurs usines au Bangladesh et qu'un très grand nombre d'entre eux soient engagés dans des activités plus dangereuses encore, comme la prostitution. La prudence s'impose donc. Un accord a, depuis lors, été signé au Bangladesh pour que les enfants ainsi licenciés puissent recevoir une formation et une allocation mensuelle destinée à compenser leur manque à gagner.
Il faut donc, bien davantage, pousser à l'adoption de "codes de conduite" adaptés à chaque cas, par lesquels les pays et les employeurs s'engagent à ne pas recruter d'enfants au-dessous de quatorze ans, à les payer décemment, à leur ménager une scolarisation sur les lieux mêmes de leur travail, etc. De tels codes devraient bien évidemment faire l'objet de contrôles stricts et réguliers.
Enfin, c'est au niveau mondial que l'on aura le plus de chances d'influencer le comportement des entreprises. En particulier, il convient d'encourager très fortement l'adoption par l'OMC (Organisation mondiale du commerce) de la "clause sociale" fixant des normes minimales de comportement dans la vie de travail. Parmi ces normes figurerait l'interdiction progressive du travail des enfants.
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