L'EXISTENCE D'AUTRUI EN QUESTION: LE SOLIPSISME
L'EXISTENCE D'AUTRUI EN QUESTION: Le solipsisme et la connaissance d'autrui par analogie
Autrui, c'est à la fois l'autre et les autres, mais c'est toujours en même temps mon semblable et un être qui n'est pas moi. Le problème d'autrui est celui de la reconnaissance d'une essence commune à travers des différences. Alter = autre, différent. Ego = même, identique.
Chacun est seul avec lui-même
Solipsisme = Thèse, attitude selon laquelle rien d’autre n’existe assurément que moi et mes représentations, tout autre chose étant au mieux douteuse. Le solipsiste croit qu’il est le seul existant indubitable. Seul le soi est et le soi est seul. Insularité de la conscience.
Avec la découverte du « cogito » (« JE pense donc JE suis » ou « Je suis, J’existe »), Descartes possède une certitude indubitable = il est; son être, c’est sa pensée. Du doute méthodique et hyperbolique ne subsiste qu’une certitude celle de ma conscience et de ma pensée. Doutant du monde mais certain de sa seule pensée, Descartes adopte provisoirement l’attitude du « solipsisme », qui représente la pointe extrême, autistique de l’idéalisme ! = il n’est pas pour moi d’autre être que ma propre pensée. Contrairement à la vérité sur moi-même (immédiatement certaine), ma relation à autrui n’est pas première et directe. La pensée étant ce qu’il y a de plus intérieur et secret, comment accéder à cette humanité extérieure à moi ? Descartes se demande comment savoir si les passants que je vois par la fenêtre ne sont pas de des pantins articulés cachés sous des manteaux et des chapeaux! Je ne suis, au fond, assuré que de la propre existence de ma conscience. Tout le reste est plus qu'incertain, soumis au « doute ». Le monde des consciences ressemble à un monde atomisé dans lequel personne n’est pour personne et où chacun est un être certain de son existence, mais incapable de savoir certainement si une autre conscience existe! Ce qu'il faut retenir de cette expérience du cogito, c'est l'isolement radical de la conscience : chacun d'entre nous est radicalement séparé du vécu d'autrui, qu'il ne peut jamais connaître directement. Il y a entre nous un mur infranchissable, qui est celui de notre subjectivité, et à l'intérieur de cette subjectivité, de notre sensibilité : la peine de l'autre, je peux la lire sur son visage et, à partir de ce spectacle qu'il est pour moi, en me remémorant mes propres souffrances, je peux tenter de m'imaginer ce qu'il ressent, mais je ne peux pas avoir un accès immédiat à ce que l'autre ressent vraiment, je ne peux pas vérifier, en le sentant moi-même, que ce qu'il m'en dit est vrai.
Le langage courant pourrait, sur ce point, nous induire en erreur, lorsqu'il évoque l'empathie qui lie les individus. Les mots « sympathie » et « compassion » expriment l'idée d'un partage de souffrance ou de sensibilité. Et s'il est vrai que voir souffrir quelqu'un nous conduit à ressentir, nous aussi, une sorte de souffrance, il n'en est pas moins vrai que la souffrance que j'éprouve dans la pitié ou la compassion et celle que l'autre éprouve ne sont pas deux souffrances identiques. Souffrir de voir souffrir quelqu'un n'est pas, en effet, souffrir de sa souffrance. Si je souffre en le regardant, c'est parce que le spectacle de sa douleur évoque en moi le souvenir de mes souffrances passées. Je suis donc éloigné de deux façons de sa souffrance : je souffre d'une souffrance qui est mienne et qui de surcroît est passée. La conscience est comme enfermée en elle-même, sans ouverture sur le dehors comme sans portes, ni fenêtres. Le solipsiste est-il un « fou enfermé dans un blockhaus imprenable » (Schopenhauer)? Le moi peut-il sortir de lui-même ? Le solipsisme ne serait-il pas à la philosophie, ce que l’autisme est à la médecine ? La certitude de ma subjectivité est à la fois un refuge et une… prison…
B. Je juge des autres à partir de moi-même
La perception et la compréhension des hommes en tant que tels ne peuvent se faire que par un jugement déductif de l’entendement, et non par la seule vision des yeux.
Poser en face de soi une autre conscience de soi, c’est supposer qu’il y a en dehors de soi quelque chose d’autre que soi, qui est comme soi. La conception que l’on se fait d’une autre conscience. C’est par analogie avec cet être primitivement découvert qu’est notre conscience que nous envisageons autrui comme une autre conscience de soi. Ce qui se prouve, comme ce qui s’éprouve, est universel parce qu’autrui est un autre moi-même.
Mais, se faisant ne perd-on pas l’altérité de l’alter-ego pour n’y voir que sa « mêmeté », son identité. Avec cette thèse intellectualiste de la connaissance d’autrui par analogie, l’autre est plus ego qu’alter. Faire de l’autre un objet de jugement, n’est-ce pas prendre le risque de perdre sa spécificité, sa qualité de sujet?
B2. L’irréductible altérité d’autrui (critique de la connaissance d’autrui par analogie + csq du solipsisme).
- Critique 1 de la connaissance d’autrui par analogie: Si c’est dans son rapport à elle-même que la conscience s’éprouve comme une certitude, qu’en est-il du rapport à l’autre? Qu’en est-il du rapport entre les consciences? A m’enfermer dans le cogito (au risque du solipsisme), comment puis-je communiquer avec les autres consciences? Le seul rapport qu’il me soit permis d’avoir avec autrui c’est l’analogie. Du fonctionnement de ma conscience, j’induis le fonctionnement de la conscience d’autrui. C’est à partir de moi-même que je comprends l’autre. Mais dès lors ce qui disparaît c’est la certitude de la vérité. En effet, dans la mesure où je n’ai pas accès à l’intériorité d’autrui autrement que sur le mode de l’analogie, je n’ai aucun moyen de contrôler ce qu’il me dit. Il peut tout aussi bien dire la vérité que mentir. Le rapport avec autrui repose donc sur un acte de foi.
- Critique 2: Pourtant la similitude d’autrui n’est qu’une supposition. En tant que l’expérience de la conscience de soi d’autrui n’est par définition refusée, je ne saurais jamais en connaître la nature. L’autre homme est donc absolument inaccessible. L’altérité de l’autre est radicale = autrui n’est pas comme le même que moi, à côté de moi. Nous sommes deux et non pas deux fois le même. Autrui n’est pas mon clone. Mais comme deux autres = autrui est si différent de moi, que nous ne pouvons pas nous connaître, même si nous pouvons nous reconnaître. Dans la totalité des choses que je peux atteindre, autrui est comme une exception = tout peut se réduire à la connaissance que j’en ai, tout m’appartient, sauf autrui. Il est une personne hors de mon monde qui exige respect. Autrui vit et agit de manière imprévisible. Il y a en lui une intériorité inaccessible qui rend cet inconnu à la fois fascinant et inquiétant. Je perçois autrui à travers son comportement, mais je ne perçois que son comportement. Le deuil ou la colère d’autrui n’a pas le même sens pour lui que pour moi. Sa souffrance est unique et renvoie à son propre monde. Celle-ci me demeure toujours extérieure. Son épreuve lui reste strictement personnelle. Je souffre autant que lui, plus peut- être, mais toujours autrement que lui ; je ne suis jamais tout à fait « avec » lui. Car, je ne peux, au final, jamais me mettre « à sa place ».
- Critique 3: Le raisonnement analogique (nous concluons qu'autrui quand il a telle attitude éprouve le même état d'âme que nous éprouvons quand nous avons la même attitude) est évidemment trompeur. Aussi la psychologie expérimentale a-t-elle cherché à fonder une interprétation plus objective du comportement (méthode des tests). - Cependant l'interprétation ne fournit jamais qu'une connaissance artificielle et superficielle. Aucun être en effet ne se montre tout entier dans ce qu'il dit et ce qu'il fait. Il peut avoir « ses idées de derrière la tête » (Pascal) ou son « arrière-boutique » (Montaigne), dont rien n'apparaît à l'extérieur. Nous sommes toujours confrontés à une part de mystère devant sa personne. Nous ne pouvons que nous fier à ce qu'il nous dit, ou bien interpréter ses propos et les expressions de son visage. Mais nous ne pouvons en aucune manière accéder à sa pensée profonde, et ses sentiments véritables peuvent nous échapper. Aussi, c'est bien son intériorité qui se dérobe à nous et qui empêche ainsi la connaissance totale que l'on pourrait avoir de lui.
Mon désir de communication avec autrui, parfois mon désir de transparence, se heurtent à la radicale solitude de ma subjectivité. Mon âme est bien à moi, mais j’y suis enfermé. Les autres ne peuvent violer ma conscience, mais je ne puis leur en ouvrir l’accès. Chaque conscience est un monde clos, une intériorité privée, à laquelle les autres n'ont pas accès. Seule la subjectivité est une existence véritable, mais elle est, par essence, incommunicable. Je suis tout seul et comme muré en moi-même - moins solitaire qu’isolé. Mon jardin secret est une prison. L’univers des autres m’est aussi exactement interdit que le mien leur est fermé. Incommunicabilité des consciences. On emploie tous les mêmes mots, mais chacun y met un sens différent, selon son vécu (expérience), son ressenti (sensibilité).
Idem pour l’expérience de la mort. On meurt comme on est né, tout seul. Chacun est emfermé dans son sac de peau. Chacun est un soi solitaire.
Idem pour la souffrance. On souffre seul. La souffrance ne se partage pas. Les autres peuvent tout au plus l’adoucir. « Sois sage, ô ma Douleur, et tiens-toi plus tranquille. » (Baudelaire). Ma conscience est pensée, elle est le vécu et la pensée de ce vécu. Elle n'est pas la pensée et le vécu de l'autre. Impossible de se confondre avec l'autre, ni au niveau corporel, nos corps étant de claires individualités, ni au niveau de la conscience. Lorsque l'autre souffre, je ne souffre pas de sa souffrance, même si je compatis. La séparation des consciences, la clôture des subjectivités sur elles-mêmes semblent bien des données incontournables.
Et peut-être que toute jouissance est… solitaire. Amour = 2 solitaires qui se rencontrent. Amitié = 2 solitudes qui se rencontrent.
=> Enfermé dans la souffrance, isolé dans le plaisir, solitaire dans la mort, réduit à chercher des indices ou des correspondances dont l’exactitude n’est jamais vérifiable, l’homme est condamné, par sa condition même, à ne jamais satisfaire un désir de communication auquel pourtant il ne saurait renoncer.
« On ne connaît jamais un être, dit un personnage de Malraux (« La Condition Humaine »), mais on cesse parfois de sentir qu'on l'ignore ». Il n'y a peut-être pas de connaissance d'autrui. Connaître c'est déterminer un objet et il n'y pas de vraie connaissance de l'homme si l'homme est un être libre et non une chose. L’être d’autrui m’échappe.
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