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L'être de la rêverie de Bachelard

La rêverie illustre l'existence de différents niveaux de conscience qu'il n'est pas facile de décrire autrement que par des métaphores qui appellent une compréhension intuitive.

Problématique

La rêverie est un état de conscience, une manière d'être spécifique qui se manifeste par une certaine tonalité ou qualité de l'être du rêveur. La rêverie est un mode d'être diffus car le rêveur plongé dans son monde imaginaire est dans un état de conscience plus vague que celui du penseur. Ce monde de la rêverie est moins dense que le monde réel. Le monde de la rêverie joue un rôle de tampon entre le monde réel et le monde imaginaire ; les transformations qu'il fait subir tant à la représentation du monde qu'à la sienne en sont la marque spécifique.

Enjeux

La rêverie s'oppose au rêve nocturne. Ce dernier est essentiellement privé de la douceur du rêve diurne. Il est rempli d'objets durs qui ne se laissent pas modeler par les désirs du rêveur et peuvent même, comme dans les cauchemars, lui paraître menaçants. De cette opposition entre le monde de la rêverie et le monde du rêve nocturne, entre l'image pour elle-même et le phantasme, entre la tranquillité intérieure et le sommeil agité, se dégage une conception de l'homme qui vit en harmonie avec la terre. La rêverie a une fonction hominisante alors que le rêve exprime les limites de notre être.

L'être de la rêverie

Une étude philosophique de la rêverie nous sollicite par son caractère à la fois simple et bien défini. La rêverie est une activité psychique manifeste. Elle apporte des documents sur des différences dans la tonalité de l'être. Au niveau de la tonalité de l'être peut donc être proposée une ontologie différentielle. Le cogito du rêveur est moins vif que le cogito du penseur. Le cogito du rêveur est moins sûr que le cogito du philosophe. L'être du rêveur est un être diffus. Mais, en revanche, cet être diffus est l'être d'une diffusion. Il échappe à la ponctualisation du hic et du nunc. L'être du rêveur envahit ce qui le touche, diffuse dans le monde. Grâce aux ombres, la région intermédiaire qui sépare l'homme et le monde est une région pleine, et d'une plénitude à la densité légère. Cette région intermédiaire amortit la dialectique de l'être et du non-être. L'imagination ne connaît pas le non-être. Tout son être peut bien passer pour un non-être aux yeux de l'homme de raison, aux yeux de l'homme au travail, sous la plume du métaphysicien de l'ontologie forte. Mais, en contrepartie, le philosophe qui se donne assez de solitude pour entrer dans la région des ombres baigne dans un milieu sans obstacles où aucun être ne dit non. Il vit par sa rêverie dans un monde homogène à son être, à son demi-être. L'homme de la rêverie est toujours dans l'espace d'un volume. Habitant vraiment tout le volume de son espace, l'homme de la rêverie est de toute part dans son monde, dans un dedans qui n'a pas de dehors. Ce n'est pas pour rien qu'on dit communément que le rêveur est plongé dans sa rêverie. Le monde ne lui fait plus vis-à-vis. Le moi ne s'oppose plus au monde. Dans la rêverie, il n'y a plus de non-moi. Dans la rêverie, le non n'a plus de fonction : tout est accueil. [...] Le rêve nocturne, à l'inverse de la rêverie, ne connaît guère cette plasticité douce. Son espace est encombré de solides - et les solides gardent toujours en réserve une sûre hostilité. Ils tiennent leurs formes - et quand une forme apparaît, il faut penser, il faut nommer. Dans le rêve nocturne, le rêveur souffre d'une géométrie dure. C'est dans le rêve nocturne qu'un objet pointu nous blesse dès que nous le voyons. Dans les cauchemars de la nuit, les objets sont méchants.

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