L'État (fiche de révision)
• Le problème essentiel ici étudié est celui de l'État, ensemble des organes juridiques et administratifs d'une société. Il s'agit de saisir sa naissance, mais aussi sa fonction réelle. • L'État ne se confond ni avec la Nation (§ 1), ni avec le Pouvoir (§ 2). Il se forme quand le pouvoir individualisé du chef cesse d'apparaître satisfaisant (§ 3 : naissance de l'État). • Hobbes (§ 4) et Hegel (§ 5) ont souligné la fonction positive de l'État, instrument nécessaire pour dépasser la violence naturelle ou l'arbitraire. L'analyse de Marx dans ce domaine est, en revanche, beaucoup plus critique : l'État a bien une fonction de gestion du social, mais il est toujours l'expression de la classe dominante (§ 6) et, en tant que tel, appelé à disparaître lorsque s'éteindront les antagonismes de classes. • C'est l'ambiguïté de l'État qu'il faut souligner dans ce débat (§ 7). • L'étude de l'État conduit directement à la question : quel type d'État est souhaitable? C'est l'objet des doctrines politiques, c'est-à-dire des thèses qui concernent le gouvernement de l'État (§ 8, 9 et 10).
I - L'État et la Nation
L'État ne se confond pas avec la Nation : il apparaît, en effet, comme une structure juridique, puisqu'il se définit comme un Pouvoir doté d'organes politiques et administratifs ainsi que d'un appareil répressif, comme une autorité souveraine détenue par la Société et s'exerçant sur l'ensemble d'un peuple et d'un territoire déterminé. Au contraire, la Nation représente une communauté naturelle ou historique, mais non point juridique. Néanmoins, ces deux structures sont liées, car la Nation est le milieu où s'engendre l'État. C'est un principe spirituel et un être collectif, qui appelle et requiert le pouvoir étatique pour mieux se former et s'unifier. «Dans tous les pays anciens, c'est la nation qui a fait l'État; il s'est lentement formé dans les esprits et les institutions unifiés par le sentiment national... l'existence d'un territoire et d'une nation sont des données qui facilitent cette opération intellectuelle qu'est l'institutionnalisation du Pouvoir. » (G. Burdeau, L'État, Le Seuil, 1970)
II - L'État et le Pouvoir
Mais il est également nécessaire de distinguer l'État et le Pouvoir. L'État est, en effet, une forme et un aspect du pouvoir, lequel déborde largement la sphère de la puissance étatique pour s'étendre à toute l'existence humaine : on parle du pouvoir du médecin, du professeur, etc., ou des multiples pouvoirs de la vie quotidienne. Gardons-nous, par conséquent, d'assimiler Etat et Pouvoir.
III - Naissance de l'État : analyse des sociologues et des historiens
Que tout pouvoir ne soit pas d'État, c'est bien ce que nous montrent les travaux des sociologues et des anthropologues. L'autorité, primitivement diffuse et anonyme dans le corps social (elle correspond alors à la force de pression des coutumes et superstitions, que le chef de famille ou le prêtre rendent sensible et actualisent), cette autorité, donc, est déléguée, à un second stade, à un chef. L'individualisation de la fonction prime alors. Mais les qualités personnelles du chef peuvent apparaître, à un certain moment, impuissantes à justifier l'autorité qu'il exerce. Le pouvoir individualisé du chef est d'ailleurs trop instable et donne lieu à trop de rivalités et de luttes. Alors naît l'institution étatique conçue comme séparée de la personne du chef. « Se fait jour l'idée d'une dissociation possible de l'autorité et de l'individu qui l'exerce. Mais, comme le pouvoir, cessant d'être incorporé dans là personne du chef, ne peut subsister à l'état d'ectoplasme, il lui faut un titulaire. Ce support, ce sera l'institution étatique envisagée comme signe exclusif de la puissance publique. Dans l'État, le Pouvoir est institutionnalisé, en ce sens qu'il est transféré de la personne des gouvernants qui n'en ont plus que l'exercice, à l'État qui en devient désormais le seul propriétaire. » (G. Burdeau, op. cit.) Ainsi se forme, au xvie siècle, en France et en Europe, le concept d'État.
IV - Fonction de l'État
a - Hobbes Quelle est la fonction de l'État? Il permet d'échapper à l'instabilité et aux luttes. Il est un puissant facteur d'ordre, de régulation et de stabilité dans la dynamique sociale et politique. , C'est ce qu'a remarquablement analysé Hobbes (1588-1679), dans son célèbre Léviathan. L'Etat représente, aux yeux de Hobbes, un instrument destiné à mettre fin à la violence naturelle et à la barbarie. Il est un moyen d'instituer une organisation de vie collective garantissant la sécurité des individus. L'homme est, en effet, un loup pour l'homme : « homo homini lupus» ! Le conflit des appétits conduit, avant la fondation de la machine étatique, les individus à l'anarchie, car la haine et l'agressivité l'emportent alors, jusqu'au jour où les hommes s'associent pour mettre fin aux luttes et être à l'abri les uns des autres. Ainsi naît l'État qui, tout en assurant la sécurité des sujets, n'en est pas moins un être redoutable, un géant, un monstre pareil au Léviathan du Livre de Job. « La nature, cet art par lequel Dieu a produit le monde et le gouverne, est imitée par l'art de l'homme, en ceci comme en beaucoup d'autres choses qu'un tel art peut produire un animal artificiel... Car c'est l'art qui crée ce grand Léviathan qu'on appelle République ou État (civitas en latin), lequel n'est qu'un homme artificiel, quoique d'une stature et d'une force plus grandes que celles de l'homme naturel, pour la défense et la protection duquel il a été conçu. » (T. Hobbes, Léviathan, Sirey, 1983)
V - Fonction de l'État
b - Hegel Outil pour maîtriser la barbarie naturelle, l'État est aussi un moyen pour dépasser l'arbitraire, comme l'a fortement montré Hegel. L'individu tend, en effet, naturellement, à maintenir son individualité subjective. Mais ce principe de la subjectivité est dangereux car il conduit bien souvent au caprice. L'État, au contraire, est lié à l'observation des lois : il parle universellement aux sujets et, contre l'arbitraire, incarne la raison. «L'essence de l'État (hégélien) est la loi, non point la loi du plus fort, la loi du bon plaisir, la loi de la «générosité naturelle», mais la loi de la raison dans laquelle tout être raisonnable peut reconnaître sa propre volonté raisonnable... L'État est raisonnable parce qu'il parle universellement, pour tous et pour chacun, dans ses lois, et que tous et chacun trouvent reconnu par ses lois ce qui forme le sens, la valeur, l'honneur de leur existence. » (E. Weil, Hegel et l'État, Vrin, 1980) Ceci ne signifie nullement que n'importe quel État soit l'État parfait. Bien au contraire, l'État empirique peut être imparfait, et tout n'est pas toujours pour le mieux dans le meilleur des mondes.
VI - Fonction de l'État
c - Marx Quand Marx et Engels étudient l'origine et la fonction de l'État, leur regard est beaucoup plus critique que ne l'était celui de leur maître Hegel. Marx a, en effet, subi l'influence du romantisme politique qui préférait la Nation ou le Peuple à l'État pour unifier la société. Aussi Marx développe-t-il une certaine méfiance vis-à-vis de l'État, lorsqu'il analyse sa fonction réelle. Marx et Engels conçoivent la machine étatique essentiellement comme un «appareil» répressif, une force d'exécution et d'intervention produite par la société à un moment historique bien précis : quand les contradictions de classes semblent insurmontables, alors s'impose un instrument qui gère le social et, en même temps, estompe, apparemment, les contradictions. Le pouvoir étatique n'a donc pas de réalité autonome et spécifique c'est une « superstructure » qui exprime et dissimule en même temps les intérêts des classes dirigeantes. L'État est né avec la division de la société en groupes antagonistes. Il continue à manifester cette opposition économique et sociale. Cette perspective est éminemment réaliste : l'État est l'enjeu de la classe au pouvoir, il en est l'instrument, il se borne à légaliser des conflits de classes et un ordre économique et social qui sont antérieurs à lui. Ainsi l'État «bourgeois», produit par la Révolution française, ne fait qu'entériner une réalité déjà existante. «L'État n'est donc pas un pouvoir imposé du dehors à la société; il n'est pas davantage « la réalité de l'idée' morale »J. « l'image et la réalité de la raison »s, comme le prétend Hegel. Il est bien plutôt un produit de la société à un stade déterminé de son développement; il est l'aveu que cette société s'empêtre dans une insoluble contradiction avec elle-même, s'étant scindée en oppositions inconciliables qu'elle est impuissante à conjurer. Le besoin s'impose d'un pouvoir qui, placé 'en apparence au-dessus de la société, doit estomper le conflit.» (F. Engels, Origine de la famille, de la propriété privée et de l'État) Selon Marx et Engels, l'État s'éteindra progressivement dans la société sans classes
VII - Ambiguïté de l'État
En fait, la nature de l'État est profondément ambiguë. Instrument d'émancipation et de liberté, puisqu'il garantit la sécurité des individus, l'État peut devenir, en certains cas, une machinerie de pouvoir profondément destructrice et aliénante. Nietzsche a bien mis en lumière ce double aspect de l'État : il est fondamentalement une institution au service de la vie, et protège alors les individus. Mais il est devenu aussi, de nos jours, « le plus froid de tous les monstres froids », un pouvoir omniprésent de tromperie et d'étouffement. Ainsi l'institution étatique présente un double visage qui ne peut que déconcerter, par ses contradictions, l'historien ou le philosophe. «L'État, c'est le plus froid de tous les monstres froids. Il ment froidement et voici le mensonge qui s'échappe de sa bouche : «Moi, l'État, je suis le Peuple». C'est un mensonge ! Ce sont des créateurs qui ont formé les peuples et qui ont suspendu au-dessus des peuples une foi et un amour ainsi ont-ils servi la vie. Mais ce sont des destructeurs, ceux qui tendent des pièges au grand nombre et qui appellent cela un État : ils suspendent au-dessus d'eux un glaive et cent appétits.» (Nietzsche, Ainsi parlait Zarathoustra)
VIII - Les grandes doctrines politiques (Etatisme et anarchisme)
a - L'anarchisme ou théorie libertaire Le problème de l'État conduit directement à la réflexion sur les grandes théories politiques. Pour la commodité de l'exposé, nous nous bornerons à l'analyse de trois types de doctrines : l'anarchisme, le totalitarisme et la démocratie. Abolir l'État, tel est le voeu des théoriciens anarchistes, comme Proudhon (1809-1864) ou Bakounine (1814-1876). L'un et l'autre furent en conflit avec Marx. Ils envisagent, en effet, le rejet pur et simple de l'État et une reconstruction de la société de manière extra-étatique, alors que Marx parle de dépérissement progressif de l'État. L'organisation étatique recèle des pièges infinis, notait Proudhon. Elle met en péril la liberté humaine. Les concepts d'État et de liberté sont rigoureusement contradictoires. Ainsi, Proudhon s'est-il efforcé de décrire un destin social étranger à l'organisation étatique. « Être gouverné, c'est être gardé à vue, inspecté, espionné, dirigé, légiféré, réglementé, parqué, endoctriné par des êtres qui n'ont ni le titre, ni la science, ni la vertu.» (Proudhon, L'idée générale de la révolution au XIXe siècle) «Anarchie, absence de maître, de souverain, telle est la forme de gouvernement dont nous nous approchons tous les jours, et que l'habitude invétérée de prendre l'homme pour règle et sa volonté pour loi nous fait regarder comme le comble du désordre et l'expression du chaos. » (Proudhon, Qu'est-ce que la propriété ?) Si le procès anarchiste de l'État a un sens profondément éthique, parce qu'il affirme avant tout la valeur de l'individu et qu'il s'oppose aux poussées de l'État vers l'omnipotence, notons cependant que les conditions d'une société sans État ne sont, de nos jours, nulle part réalisables.
IX - Les grandes doctrines politiques
b - Le totalitarisme La doctrine totalitaire exalte la toute-puissance de l'État et pose que sa souveraineté ne doit pas être discutée. Définissons le totalitarisme comme un régime dans lequel la puissance étatique tend à confisquer et à diriger toutes les activités de la société. Ainsi peut-on donner comme exemples le fascisme italien ou les doctrines dites « marxistes » (en réalité, elles sont très infidèles à Marx). La conception totalitaire détruit la liberté par l'oppression. Elle représente le mal absolu.
X - Les grandes doctrines politiques
c - La démocratie La démocratie (demos : peuple, cratein : commander) est un régime où la volonté populaire est absolument souveraine. En démocratie, ce sont les citoyens, égaux en droit, qui gouvernent. Dans le Contrat social (1762), Rousseau (1712-1778) a bien mis en relief la nature du pacte démocratique. Il examine, dans cet ouvrage, les conditions d'un État légitime, d'un État de droit : le pacte social légitime doit exprimer la volonté générale, prenant pour objet les questions concernant le bien commun. Comment dégager ce bien? Il convient que le corps politique procède lui-même à sa découverte. D'où l'idéal rousseauiste de la démocratie directe (notons que la démocratie est généralement représentative et non directe). «Je dis donc que la souveraineté, n'étant que l'exercice de la volonté générale, ne peut jamais s'aliéner, et que le souverain, qui n'est qu'un être collectif, ne peut être représenté que par lui-même. » (J.-J. Rousseau, Du contrat social) La démocratie fait confiance aux forces de l'homme auquel elle ne témoigne aucun mépris. Elle semble s'inspirer de la fameuse proposition de Descartes : «la puissance de bien juger est... naturellement égale en tous les hommes. »
Conclusion: Morale et politique
Morale et politique semblent s'opposer en tous points, car la première appartient à la sphère de l'idéal et la seconde à celle de l'action concrète. Néanmoins, ces deux dimensions doivent être réunifiées. Ainsi, pour Hegel, la politique consiste à réaliser les conditions dans lesquelles une vie morale est possible pour tout homme de bonne volonté. Comme Aristote et Rousseau, il a tenté la synthèse de la morale et de la politique.
SUJETS DE BACCALAURÉAT
- Peut-il y avoir une société sans État? - Le pouvoir politique peut-il échapper à l'arbitraire? - « La démocratie, tyrannie de l'incompétence ». Que penser de cette affirmation ? - Est-il légitime de faire prévaloir les exigences de la conscience sur celles de l'État? - Entre-t-il dans les attributions de l'État d'assurer le bonheur des individus? - L'obéissance à l'État est-elle toujours une obligation ? - Faut-il accorder le moins possible à l'État? - Est-il dans la nature de l'État de limiter son pouvoir?