L'ETAT (cours de philosophie)
Entre la patrie qui est une réalité affective et l’État qui est l’autorité politique (législative et exécutive), il y a la nation qui est une réalité à la fois affective et politique. D’une part, la nation recoupe la patrie parce qu'elle est aussi l’esprit national et surtout une conscience commune ; mais la nation est déjà une réalité politique dans la mesure où elle tend spontanément et naturellement à engendrer un État. Le tableau ci-dessous donnera une image plus précise des rapports de ces trois notions : Patrie, Nation, État. Si l’on voulait définir d’une manière simple la Nation et l’État, on pourrait dire que la Nation est une conscience collective et l’État en est l’expression institutionnalisée. Cette définition montre les limites du droit pour l’État : l’État n’a le droit d’être l’État que dans la mesure où il incarne la conscience collective nationale et « dans la mesure où il exerce la souveraineté comme mandataire de celte conscience collective dont elle est issue » (G. Davy, « Sociologie politique», 1921-1950). Quand l’État est plaqué sur un peuple comme un masque et un carcan (par exemple l’empire d’Autriche-Hongrie sur la Serbie avant 1914, l’État anglais sur les Indes à l’époque des campagnes de Gandhi, etc.), il est considéré comme une tyrannie et cette non-correspondance État-Nation entraîne les bouleversements politiques et les révolutions. De cette relation entre État et Nation, nous allons chercher les preuves historiques, juridiques et philosophiques.
— I — Sociogenèse de l’État.
La naissance de l’État et de la souveraineté montre qu’ils ont été la concentration progressive entre les mains d’un chef ou d’une oligarchie, de cette autorité diffuse que contient la conscience collective. On peut en suivre les étapes sociologiques. Le clan, réalité politique et familiale, se définit en fonction du totem, réalité religieuse. Les membres du clan se considèrent comme participant à la substance mystique du totem. L’autorité des obligations ne vient pas d’un chef qui les impose mais d’une force diffuse et agissante dans la coutume impersonnelle. Cette force diffuse, qui est représentée par le totem, est le « mana ». « Aucun chef, aucun Dieu n’a monopolisé la substance diffuse du totem, ou mana. Sans être soumis à aucun pouvoir d’État, les individus n’en obéissent pas moins, et très strictement, à une discipline sociale » (Davy et Moret, «Des clans aux empires», 1923). La tribu nous fait passer des sociétés totémiques communautaires aux sociétés avec organisation politique. Les chefs de tribu vont trouver dans les coutumes totémiques une source de pouvoir qu’il leur suffira d’accaparer. Le chef est la représentation vivante de toutes les énergies et de tous les droits qui étaient à l’état latent et diffus dans le groupe. La même concentration se fait sur le plan religieux, le « mana » devient un Dieu, et l’autorité du chef paraît être un reflet de l’autorité de Dieu. Le totem du groupe est devenu le blason du chef. La Cité et le Royaume puis l’Empire sont des organisations juridiques de plus en plus compliquées pour assurer la division et la coordination du travail, pour assurer aussi l’exécution des décisions du souverain, la mise sur pied des services communs intérieurs (organisation de la vie collective, police, juridiction) et des services de défense du territoire ou de conquête (armée, marine).
— II — Les théories de la souveraineté.
L’État est un pouvoir, il exige, il commande, il décrète et il en a le droit. Ce droit est appelé souveraineté.
1 — La théorie du contrat social. Nous avons vu la conception de Thomas Hobbes pour qui le souverain (qu’il soit un chef, une oligarchie ou une assemblée) a tous les droits par délégation et abandon des droits naturels des hommes qui s’en remettent à lui. Jean-Jacques Rousseau reprit la théorie du contrat (« Du Contrat social », 1762) pour montrer que la souveraineté appartient à la nation. Tout se passe comme si, au principe d’une nation, il y avait un contrat (1). Par ce contrat, chaque membre accepte de renoncer à faire tout ce qui lui plaît ou d’user à son gré de ses forces physiques (cf. Droit naturel) ; de cet abandon total et de ce renoncement loyal, le groupe prend acte. L’autorité du « corps collectif » est constituée virtuellement dès cet instant. Par cet engagement, qui est une aliénation de l’individu comme tel, et qui est l’émergence de cet être nouveau, le citoyen, le sujet accepte de ne vouloir désormais que l’intérêt du groupe (de la nation), c’est-à-dire l’intérêt commun. « C’est uniquement sur cet intérêt commun que la société doit être gouvernée ». Or la volonté commune, la volonté de l’intérêt commun, ne peut se manifester que par le vote de tous les membres. Pour savoir ce que veut le groupe, il faut qu’il le dise ; le citoyen reçoit donc, en échange de son aliénation des intérêts individuels, le droit de vote sur l’intérêt collectif et, pour voter, son devoir de citoyen consiste à se placer non plus au point de vue de son intérêt particulier mais au point de vue de l’intérêt collectif. C’est par cet approfondissement que...