LESAGE Alain René
LESAGE Alain René
1668-1747
Auteur dramatique et romancier, né au bord du golfe du Morbihan. Soucieux non seulement d’indépendance matérielle (il vécut entièrement de sa plume et sans riches protecteurs, ce qui était alors presque héroïque), mais aussi d’indépendance intellectuelle (il se tint, bien qu’esprit frondeur par nature, à l’écart des coteries de « philosophes »), il fut obligé, de ce fait, d’écrire beaucoup trop. Et trop vite. Pour le théâtre il donne entre autres Turcaret (1690), vigoureux portrait d’une crapule de finances, auquel il adjoint celui d’une crapule domestique, Frontin. Mais Lesage dut, simplement pour assurer sa pitance, écrire quelque cent vingt pièces pour le théâtre de la foire (opéras-comiques, farces ou « comédies à vaudevilles », ballets bouffes, etc.). Hors du théâtre cette fois, et à l’imitation de l’Espagne et de son roman « picaresque » (de picaro, vaurien, voleur)-, il propose à ses compatriotes Gil Blas, publié en trois fois (1715, 1724, 1735) ; œuvre touffue, riche en digressions, rebondissements, intrigues adjacentes (et en personnages : plusieurs centaines). On ne saurait oublier pourtant ce chef-d’œuvre de jeunesse, Le Diable boiteux (1707), dont le titre — et le titre seul - est emprunté à une nouvelle de Luis Velez de Guevara ; pour le reste, en effet, Lesage ne retient guère que cette particularité remarquable du diable Asmodée, qui est de soulever les toits. Roman à « clés », prétendit-on, à l’époque; et l’on crut reconnaître entre autres Ninon de Lenclos, l’acteur Baron, Mme de Lambert, etc. Ce qui est sûr, c’est que Lesage doit bien plus, ici, à La Bruyère, qu’à son modèle espagnol, et le charme principal du livre, aujourd’hui encore, réside dans l’inépuisable variété des portraits, piquants, nerveux, bouffons, dont il a parsemé son récit. Pourtant, le plus réussi de ces personnages, le plus inoubliable, reste sans aucun doute celui d’Asmodée lui-même, qui donnera naissance, en outre, à un type, dont les réapparitions, tant explicites qu’implicites, vont être fréquentes dans la littérature (chez Mauriac ou Jouhandeau, par exemple, parmi les contemporains ; sans parler des romans policiers, de Conan Doyle à Georges Simenon ; le « détective », après tout, n’est-il pas lui aussi, par droit d’étymologie, « celui qui ôte les toits » ?).