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Les reclassements ethniques en Afghanistan et dans les pays voisins

Les reclassements ethniques en Afghanistan et dans les pays voisins A la suite du retrait des troupes soviétiques d'Afghanistan (achevé au 15 février 1989) et de la dissolution de l'URSS en 1991, on a assisté dans toute l'Asie centrale à un reclassement des forces politiques selon les clivages ethniques. Les États-nations issus de la décomposition de l'URSS, qui sont désormais fondés exclusivement sur un nationalisme ethnique, peuvent servir de pôles d'identification aux ethnies voisines. Le modèle d'État multi-ethnique, à légitimité étatique ou idéologique (Pakistan, URSS, Iran, Afghanistan), s'est affaibli au profit de dynamiques ethnico-nationalistes. Le paradoxe est que peu de mouvements politiques sont directement ethniques. Les partis proprement ethniques sont très minoritaires en Afghanistan et n'ont pratiquement pas survécu à la guerre (Afghan Mellat pour les Pachtoun, Setam-i Melli pour les persanophones). Tous les partis de moudjahidin se sont voulus "afghans", ou sont au pire confessionnels (chiites). Le commandant Ahmed Shah Massoud, considéré comme le dirigeant des non-Pachtoun, n'est pas un nationaliste tadjik, il a toujours souhaité le maintien de l'intégrité de l'Afghanistan. Et pourtant... Dans la bataille de Kaboul qui a suivi la chute du régime de Najibullah, au début mai 1992, une coalition des "gens du Nord", groupant aussi bien les troupes moudjahidin de Massoud, les milices pro-gouvernementales ouzbeks, les généraux tadjiks de l'armée gouvernementale, s'est opposée aux troupes de Gulbuddin Hekmatyar. Ces dernières regroupaient aussi bien les fondamentalistes radicaux pachtoun du Hezb-i-Islami que les éléments les plus durs du régime communiste, également pachtoun, comme le ministre de l'intérieur, Raz Mohammad Paktin. La situation au Pakistan et en Iran, Cette dynamique peut-elle s'étendre aux pays voisins? Le Pakistan a toujours soutenu les Pachtoun afghans, et en particulier le radical G. Hekmatyar. De fait, le nationalisme pachtou n'a guère influé au Pakistan, où les Pachtoun sont particulièrement bien intégrés et puissants dans l'armée. La présence de millions de réfugiés afghans (en général pachtoun) en territoire pakistanais a plutôt accentué le clivage entre Pachtoun afghans et Pachtoun (Pathans) pakistanais. Mais l'identification entre le Pakistan et une partie de la résistance afghane allait désormais être un handicap, nourrissant la guerre civile entre Pachtoun et non-Pachtoun, et empêchant ainsi le Pakistan de jouer la seule carte dont il dispose en Asie centrale: offrir aux républiques de l'ex-URSS un accès à la mer par le col de Salang (au nord de l'Afghanistan), Kaboul et Karachi. De plus, la poursuite des troubles en Afghanistan a contribué à maintenir au Pakistan une forte présence de moudjahidin armés, facteur potentiel de déstabilisation dans l'avenir. L'Iran n'a jamais vraiment essayé de disputer aux Pakistanais le contrôle des fondamentalistes sunnites. Il s'est contenté de jouer avant tout la solidarité chiite. Mais la polarisation ethnique observée dans toute la région a obligé l'Iran à revoir sa stratégie. Le choix d'une politique ethnique (soutien aux Tadjiks afghans et ex-soviétiques) est doublement dangereux: l'Iran craint que la polarisation autour des identités ethniques ne mette en jeu sa propre existence, car les Persans y sont à peine majoritaires (on y compte aussi de fortes minorités, kurde et azérie notamment), sans forcément lui permettre de faire une percée chez les persanophones sunnites d'Asie centrale (Tadjiks du Tadjikistan et d'Ouzbékistan, essentiellement), tant le clivage entre chiites et sunnites y reste un élément déterminant du jeu politique. Une telle politique couperait aussi l'Iran des turcophones d'Asie centrale (Kazakhs, Kirghizes, Turkmènes, Ouzbeks) et du Caucase (Azéris), majoritaires dans cinq des six républiques musulmanes de l'ex-URSS. C'est pourquoi de Bakou à Douchanbé, Téhéran a préféré se poser en médiateur et reste sur la défensive. Les républiques de l'ex-URSS sont apparues toutes défendre le statu quo territorial mais chacune pour des raisons différentes. L'Ouzbékistan, la république la plus puissante d'Asie centrale, avec ses 20 millions d'habitants, a comme atout la présence de fortes minorités ouzbeks au Tadjikistan, en Afghanistan et au Turkménistan et rêve d'un "grand Ouzbékistan". Tachkent soutient discrètement, en Afghanistan, les milices ouzbeks du général Doustom qui ont aidé le commandant Massoud à s'emparer de Kaboul, et revendique, non moins discrètement, le Tadjikistan. La situation du Tadjikistan est apparue presque inverse: il est divisé et en position de faiblesse par rapport à l'Ouzbékistan; l'appareil communiste a choisi l'alignement sur les Ouzbeks, tandis que l'opposition à la fois islamiste et nationaliste voyait dans le commandant des moudjahidin afghans, Ahmed Shah Massoud, un héros, islamiste ou nationaliste, ... au choix. Mais Massoud, avant tout désireux de maintenir un Afghanistan multi-ethnique, a passé un accord de non-ingérence tant avec les Russes qu'avec Douchanbé et Tachkent. Cependant, les risques de reclassements ethniques ont conduit les États voisins de l'Afghanistan à une évidente prudence. Ni l'Iran, ni le Pakistan ne se sont montrés intéressés à annexer des territoires afghans. Pour Téhéran, cela reviendrait à accentuer un processus de déchiitisation de l'Iran, extrêmement préjudiciable à l'unité du pays. Téhéran ne veut pas d'une recomposition générale sur des bases ethniques, qui reviendrait à échanger Tabriz (ville chiite mais turcophone de l'Azerbaïdjan iranien) pour Hérat (ville à l'ouest de l'Afghanistan, persanophone, mais sunnite). Islamabad a montré qu'il préférait gérer de loin les zones tribales pachtoun en Afghanistan, que de les annexer et de risquer ainsi de s'enliser dans des problèmes considérables de maintien de l'ordre. Parmi les républiques musulmanes de l'ex-URSS - si l'on excepte les armes nucléaires entreposées au Kazakhstan qui a proclamé sa volonté de se dénucléariser -, aucune ne dispose de forces armées qui lui permettraient de remettre en cause les frontières existantes. Enfin, en Afghanistan même, l'absence de revendications autonomistes qui seraient formulées par le biais de partis politiques est également un élément favorable à la non-remise en cause des frontières internationales malgré l'instabilité régnante.

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