Les passions (cours de philosophie)
Au sens cartésien (Descartes, « Traité des passions de l'âme », 1649), "passion" désigne tout état "subi" par la conscience (de patior, je subis, d'où vient aussi passif et passivement). L'accent était mis par conséquent sur la réduction de la conscience à l'impuissance, la perte ou la ruine de la réflexion et de l'objectivité critique, dans toutes les formes de passion. Les émotions et les sentiments étaient ainsi rangés dans la même catégorie. Cette conception a une longue histoire. Les philosophes stoïciens en particulier : Xénon de Citium, Chrysippe... dans la Grèce antique, Sénèque, Epictète, Marc Aurèle... dans la Rome antique... avaient fait de fines analyses de ces états dans le but (conforme à leur morale de l'impassibilité) de les prévenir, de les éviter ou de les surmonter. Un renouveau de cette morale a justement eu lieu au xviie siècle, et on a dit avec raison que la morale de Descartes était inspirée par le stoïcisme. Après avoir alimenté la recherche psychologique à ses débuts, l'analyse des passions humaines connaît de nos jours un appauvrissement et même un désintérêt certain de la part des psychologues. Cependant les occasions d'observation et d'analyse psychologique de la passion ne manquent pas, puisque fleurissent aujourd'hui les passions politiques comme fleurissaient jadis les passions religieuses, et que toute la gamme des fanatismes, des sectarismes, des idéologies passionnelles, des haines intergroupes ou internations, a remplacé ou peut remplacer pour le psychologue, les traditionnelles évocations de l'amour passion, de l'ambition, de la passion du jeu, de l'alcool ou des stupéfiants. Au sens strict actuel, la passion est distinguée des émotions ou des sentiments ; elle désigne la polarisation et la convergence de toutes les forces affectives, ... l'emprise, sur la conscience, d'une structure unique et unifiante qui thématise l'univers personnel (donne à tout ce qui est perçu, vécu, pensé même, des significations univoques et « unilatérales ») et motive impérieusement l'action.
— 1 — Conditions de la passion.
1 — Conditions caractérologiques. Certains caractères sont portés aux excès passionnels, d'autres non. De même dans tout parti politique ou religieux, on trouve des "durs" et des "mous". 2 — Conditions psychologiques. Pierre Janet, rapprochant passion et idée fixe, dit que l’abaissement de la tension psychologique, c'est à dire un certain degré de psychasthénie, est la condition essentielle de l'éclosion des passions. Pierre Janet parle surtout de la passion comme d'une maladie de la conscience, obnubilant le sens du réel et, malgré ses apparences parfois énergiques, affaiblissant en fait le moi. 3 — Conditions historiques personnelles. On n'est pas pris de passion à n'importe quel âge et on n'a pas les mêmes passions que les autres individus du même groupe d'âge. Il y a des passions qui expriment des désirs inconscients (ainsi la passion des armes à feu serait signe d'une volonté de puissance qui n'a pas pu se réaliser socialement ; la passion de l'archéologie et des fouilles archéologiques exprimerait la sublimation du désir de retourner dans le ventre maternel ; la passion de la montagne et de l'alpinisme solitaire signifierait un désir d'évasion par rapport aux contacts humains en général, etc.). Il y a des passions qui sont des besoins fixés par une habitude (alcoolisme, drogue). Il y en a aussi qui sont des embrasements sentimentaux à l'égard d'une personne qui répond à une attente et comble idéalement un besoin profond (amour). Il faut, semble t il, tenir compte de 3 facteurs historiques personnels : d'une part influence de l'état général de l'affectivité lié, comme on l'a vu, aux expériences de l'enfance ; d'autre part, influence du milieu et de l'exemple (les films, les romans, les exemples, « préparent » des passions) ; enfin, importance historique des hasards et des rencontres, qui « précipitent » en passion des sentiments ou des désirs fondamentaux mais vagues et comme flottants. 4 — Conditions psychosociologiques. La participation à un groupe où le lien inter personnel, l'origine et le ciment moral du groupe, sont l'adhésion à une même idéologie, une même foi, une même conception de la vie et de l'action..., intensifie la force des passions en chaque membre. Un groupe ayant une certaine unité psycho logique exerce de toutes façons sur ses membres une influence au cours de laquelle s'accroissent les sentiments communs et s'amenuisent les différences individuelles (nivellement du groupe, pression de conformité à l'intérieur du groupe). De plus par une dialectique subtile entre meneur et menés, le « leader » incarne et exprime les aspirations et les sentiments du groupe mais il est aussi continuellement « poussé » par l'ambiance de groupe à aller « plus loin » dans ses décisions. Lorsqu'à ces facteurs psychosociologiques ordinaires de tout groupe s'ajoute une passion collective, les interactions deviennent des surenchères permanentes et le groupe se fanatise en même temps qu'il devient « imperméable » aux informations susceptibles de contrarier ou de contredire ses croyances.