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LES METAMORPHOSES DU MOI CHEZ DAVID BOWIE

LES METAMORPHOSES DU MOI CHEZ DAVID BOWIE

140 millions d'album vendus. Anticipation des tendances à venir. Exigence de créativité incessante comme un impératif absolu pour ne pas sombrer dans l'oubli et la… folie. Bruce Springsteen dit, à la mort, de David Bowie : « un artiste visionnaire dont l'excellence nous inspirait ». Réinvention constante de soi.



BIOGRAPHIE : DE DAVID JONES A DAVID BOWIE.
Né le 8 janvier 1947, à Brixton (quartier du sud de Londres au n° 40, Standsfield Road) puis déménage avec sa famille dans le Kent. Vivant dans la sinistre banlieue d'un Londres détruit post seconde guerre mondiale. Angleterre qui perd son empire, fin du Commonwealth. Maisons pavillonnaires qui se ressemblent toutes. Élève médiocre sauf en dessin. Études dans une école technique (Bromly Technical High School).
Classe ouvrière. Vie monotone. Ennui du Londres des faubourgs, de la lointaine banlieue. A 8 ans, il découvre Little Richard (qui s'habillait en femme). Rêve de devenir le saxo de Little Richard. Très tôt, il sent que cette vie de classe moyenne n'est pas faite pour lui. Adolescent, il collectionne les albums d'Eric Dolphy, Miles Davis et John Coltrane : « C'était ma façon de m'évader de mon milieu, de pénétrer dans un autre monde, dans lequel aucune place n'avait été réservée pour moi. ». S'inventer un destin, une vie, un personnage. Rendre la vie moins ordinaire, de sortir de la monotonie du monde. Mettre de la vie dans la vie.
« Nous étions une famille typique de la classe ouvrière, avec sa vie monotone et rangée. Rien de magique, rien de brillant. Mais à 8 ans, j'ai entendu Little Richard et j'ai su alors que cette vie n'était pas pour moi. Ce fut le déclic, la cassure. »
David chante dans le choeur de l'Église de Bromley.







Lors d'une bagarre avec un camarade, David est touché gravement à l'oeil gauche. Il faudra plusieurs opérations pour qu'il en retrouve l'usage. Sa pupille restera dilatée. Ses yeux ne sont donc pas réellement vairons !
Mère, Peggy, ouvreuse de cinéma, atteinte de schizophrénie. Père, John, travaille dans une association caritative. Parents distants. Famille marquée par la folie: deux de ses tantes se sont suicidées, une autre a été lobotomisée ! La mère a eu un fils d'une autre relation, Terry Burns. Il est de 10 ans, son aîné dont il se sent très proche et qu'il admire. Diagnostiqué schizophrène, souvent et longtemps interné et finalement suicidé en 1985. David lui rendra à plusieurs reprises hommage notamment avec «All the Madmen», 2ième chanson de l'album «The man we sold the world» est un hommage appuyé à son demi-frère schizophrène. Ce frère l'initie au jazz, à la Beat generation. David a toujours cru que le véritable génie était son demi-frère et non lui. Sentiment d'imposture.
Terry et David sortent aux concerts. L'ambiance rock de la capitale tranche avec la torpeur de la middle class banlieusarde. L'état de santé mental de Terry inquiète : crise d'angoisse, bouffée délirante, entend des voix. Très émotif, David partage l'angoisse de la folie de son frère dans un mimétisme gémellaire. Bowie dira plus tard qu'il reconnaissait dans la schizophrénie de son frère, certains de ses caractères. Il dira avoir eu la « trouille de sombrer à [s]on tour dans la maladie». Les personnages inventés au cours de sa carrière sont autant de luttes, d'exorcismes contre la schizophrénie. Multiplications des identités pour conjurer sa schizophrénie. Jouer avec de multiples personnalités pour ne pas en être le jouet.

Bien des années plus tard, David rejouera cette scène originelle fraternelle dans le film « Furyo » (1983), psychodrame de Nagisa ŌshimaBowie joue le rôle du major Jack Celliers, militaire britannique, engagé pour racheter une faute morale, celle de ne pas avoir aidé son jeune frère promis à une carrière de chanteur. Le film se déroule à Java pendant la 2de guerre mondiale. Opposition entre les 2 cultures quant au sens de la vie et de l'honneur, celle américaine qui voit le suicide comme une trahison et les Japonais, qui voient dans le refus du sacrifice humain une forme de lâcheté. Fascination et ambiguïté sexuelle entre les deux acteurs. Rencontre entre Éros et Thanatos, domination et soumission => http://www.allocine.fr/video/player_gen_cmedia=19380303&cfilm=204.html
Dans la chanson autobiographique "The London Boys", il écrit: « Your flashy clothes are your pride and joy, A London boy, a London boy, You think you've had a lot of fun, But you ain't got nothing, you're on the run » => https://genius.com/David-bowie-london-boys-lyrics


En 1964, David Jones a 17 ans. Il est invité sur la BBC en tant que fondateur de la "Society for the Prevention of Cruelty to Long-haired Men" (« Association pour la prévention de la cruauté envers les hommes à cheveux longs » !). 1ère apparition, 1er "quart d'heure de gloire" télévisuelle ! => https://youtu.be/m5zxeLwUSdk

« Kon-rads », premier groupe de rock (depuis années 60) qui deviendra «  The Hoocker Brothers » puis « The King Bees ».
Traîne à Soho, déjà le quartier branché de Londres. « J'allais à Londres pour traîner dans les clubs à la mode, mais je n'y connaissais personne. Je n'osais pas les aborder, je ne savais pas comment les intéresser. J'étais habillé exactement comme eux, mais je regardais le courant depuis la rive. (…) Les mods, j'en suis certain, ne m'ont même jamais remarqué. C'était comme si je n'existais pas », dira encore Bowie. Être un face, pas un ticket. Sortir de la banalité, devenir quelqu'un, quitte à se perdre dans la multiplicité labyrinthique de soi-même.
Il apprend le saxophone. Change de look tous les jours. Porte des tenues extravagantes. Joue l'indifférence dédaigneuse du dandy britannique. Incarner des personnages comme pour se retrancher de sa propre existence. Distanciation de sa propre vie, pour la mettre en spectacle comme un programme de télévision. Tout n'est que surface, paraître, strass et paillettes. Veut devenir rock star => https://www.youtube.com/watch?v=yvQR3PRkyGE: « So inviting, so enticing to play the part / I could play the wild mutation / As a rock & roll star ».
Travaille dans la pub (63 /64). Découvre la publicité de masse. Bowie, grand sociologue et grand prêtre du paganisme contemporain. Éponge de son temps. « Bowieis » (nom de l'exposition qui s'est tenue à la Philharmonie de Paris, en mars 2015), Bowie se conjugue toujours au présent. Star de carton-pâte qui annonce la fin du rock qui devient artificiel. Entrée dans le simulacre. L'homme n'a plus de substance, seulement des symptômes (cf. Musil : « L'Homme sans qualité »). Ses mutations et ses transformations incessantes réinterrogent notre croyance dans l'existence d'un moi unique et défini, supposé constituer le substrat intangible de notre identité. Un moi muable, instable, changeant, pluriel. Une identité éclatée, schizophrénique.
Premier album 67 qui sort le même jour que "Sergent's Pepper" des Beatles ! Flop prévisible ! Il prend des cours de mime avec Lindsay Kemp (lui-même élève de Marcel Marceau). Importance du mime et de la théâtralité.
A cette époque, on le décrit comme timide et snob. L'un étant l'avers et le revers de l'autre. La scène sera une thérapie. Sentiment d'usurpation, de vivre la vie d'un autre, celle de son demi-frère. Fascination-répulsion pour la maladie mentale, la marge, le nocturne, la drogue. Mais il y a aussi le Bowie solaire, astral, rayonnant. Bowie incarne la double dimension nietzschéenne du dionysiaque et de l'apollinien. Bowie est tout à la fois beau-oui (Gainsbourg)/ laid, féminin/masculin, homme/extra-terrestre, etc.
David Robert Jones, soucieux de ne pas être confondu avec le chanteur Davy Jones, se fait désormais appeler "David Bowie", nom qu'il emprunte à James Bowie, un pionnier de la conquête de l'Ouest du XIXe, qui donna son nom au «Bowie knife», long couteau de trappeur.


LE BOWISME



Le bowisme peut être entendu comme un dandysme. Baudelaire a apporté le dandysme en littérature: « Le Dandy doit aspirer à être sublime sans interruption, il doit vivre et dormir devant un miroir » — Baudelaire, « Mon cœur mis à nu ». Bowie sera le dandy de la pop music, l'Oscar Wilde du XXe ( https://www.youtube.com/watch?v=eszZfu_1JM0 ). Faire de sa vie une œuvre d'art. Il est la propre matière de son œuvre. Son propre pygmalion. Statue statufiée et sculpteur. L'artiste ne se dissocie pas de son œuvre, il est son œuvre. Son œuvre c'est lui. Artiste conceptuel, artiste total. Il ira en dandy absolu jusqu'à mettre en scène sa mort. Il meurt 2 jours après la sortie de son dernier album, « BlackStar » (8 janvier 2016), forcément testamentaire, presque sépulcral. Bowie est celui qui impulse la mode, l'initiateur (disco, punk, électro, newwave voire hard-rock ?). Toujours avant-gardiste de la mode, il est indémodable. Se trouver un style. Il invente Ziggy (un extraterrestre venu sur la planète Terre pour la sauver): coiffure entre le rouge et l'orange (inspiré par « Orange mécanique » de Kubrick), maquillage et travestissement hérité de Kemp. Comme Kemp, se penser à la troisième personne comme quelqu'un de séparé de soi. Se regarder faire. Côté cynique et sarcastique. Bowie a toujours été plus heureux en jouant un rôle qu'en étant soi-même.
Bowie est un créateur de mode, aux sources multiples : Burretti, Korninoff, japon Yamamoto, théâtre Kabouki, Alexander Mac Queen, etc. Bowie a toujours cité ses sources. Le disque « PinUp », disque de citations. Il rend hommage aux maîtres de sa formation. Comme si leur page était tournée. Voir tout entre guillemets. Avec cet album mal aimé, la page des années soixante se tourne. Mort des Beattles, fin du rock psychédélique, assassinat de Lennon. Il est une icône, une star comme Greta Garbo, une gorgone aux 1000 visages. Un caméléon doué du don d'ubiquité. Beaucoup l'auront assimilé à un caméléon, avec son étrange regard vairon. Le passe muraille des genres et des styles, des époques. Laisser surgir des possibilités de vies. Bowie a de multiples avatars du « Starman » de ses débuts à la « Blackstar » d'aujourd'hui // Ulysse, l'homme aux 1000 ruses. Ulysse séduit toutes les femmes. C'est la pensée élargi, l'homme aux 1000 aventures, aux 1000 vies (Circé, Calypso, Nausicaa, etc.). Bowie a eu lui aussi 1000 vies, plusieurs personnages qu'il devenait à 100 %. Nuit et jour. Schizophrénie, dédoublement de personnalité. Ses amis racontent qu'à l'époque de Ziggy, il ne savait s'il est David Jones ou Bowie ou Ziggy. Fascination narcissique // Fascination pour son image = Warhol (vivre sa vie comme dans un spectacle télévisé, tout est image, reflet diffracté de soi). Influence de la publicité et du Pop-Art : Tout est image, slogan. Il rencontre des drags queens à la « Factory » de Warhol (Rachel Arlo). Androgynie, bisexualité, félin-féminin (Gainsbourg), un "peu Dorian Gray et un peu son portrait". Bowie met son image en abyme. Reflet kaléidoscopique de soi. Bowie est un Byron des temps post-modernes. Influence du cabaret berlinois des années 20 (music-hall rétro). Marlène Dietrich (ambiguïté sexuelle). Visibilité de son époque de grande folle. Il dit : « Il faut paraître ce que l'on a envie de paraître. » Individualisation, carrière solo. Création d'images iconiques. Sexe choisi : être à la fois homme et femme dans un même moment. Mettre en scène sa propre vie. Scénarisation de l'existence jusqu'à devenir prisonnier de son propre film. Représentation de l'homosexualité ou de la bisexualité. Bien plus tard, Bowie déclarera : « La plus grosse erreur que j'aie faite, c'est de dire à ce journaliste du Melody Maker que j'étais bisexuel. Mon Dieu… J'étais si jeune alors… Je faisais des expériences. »

Lou Reed (électrochoc pour soigner son homosexualité à 17 ans) : question de l'homosexualité masculine dans « Walk on the wild side ». Le « Velvet Underground » = révélé par Warhol et vénéré par Bowie qui produit « Transformer ». Lou Reed va perdre son identité pour devenir un clone de Bowie. David refuse tous les prix. Il envoie Kate Moss aller chercher ses prix pour lui.

Artiste total, maître dans l'art du masque, dans l'art du clone. Faire dialoguer le champ musical et le champ visuel. Chez Bowie, il y a autant à voir qu'à entendre. Derrière chacune de ses métamorphoses, il y a une mutation musicale. // Poésie de Rimbaud : l'invention, au moyen d'un « dérèglement de tous les sens » (rageuse addiction au sexe, à l'alcool et à la cocaïne), d'une poésie fondée sur de secrètes correspondances entre les phonèmes et les couleurs (« Voyelles»).

Utilisation des « cut-up » (coups de ciseaux au hasard dans le texte sans souci de cohérence immédiate) via Burroughs (il le rencontre) et la beat generation. Héritage du dadaïsme et les collages. Influence de la littérature sur son œuvre.

Fragmentation de son image, de ses images donc fragmentation de son identité, de ses postures et de ses impostures. Expérimentateur, il renouvelait sans cesse les codes de la musique et, en parallèle, réinventait perpétuellement son personnage, le déclinant en une multitude de looks plus insolites les unes que les autres. Car, pour lui, la musique devait "ressembler visuellement à la manière dont elle sonne". Sur la pochette de « Lodger » (1979), on le voit désarticulé, une poupée cassée. Autodésintégration (Ziggy en 1973) et renaissance (« Alladin Sane » – A lad insane). Un garçon « deranged » comme dans la chanson de l'album « Outside » (1995). Ses personnages sont autant de lignes de fuite, autant de villes dans le village planétaire : Londres, Los Angeles (« Hell A » dira-t-il, comme Dante, le premier cercle de l'Enfer, l'enfer sur terre), Berlin, New York. Bowie confessera avoir perdu le sens de la réalité aussitôt créer le personnage de Ziggy. Et pour se perdre dans un dédale d'invention, dans un labyrinthe de personnages : "Je ne savais plus si je créais mes personnages, si c'étaient eux qui me créaient, ou si nous n'étions tous plus qu'un."

Dali parlait de « paranoïa-critique ». A propos de Bowie on pourrait parler de « schizo-critique ». David se sert de la schizophrénie, de la maladie mentale comme un champ de possibles artistiques, un terrain de jeu expérimental. Faire de sa folie, une œuvre d'art. Conjurer la folie grâce à l'art. Conjurer la mort grâce à la création. Donner forme au chaos de la folie. Comme Nietzsche (qu'il a lu), Bowie est un perspectiviste, ses personnages sont autant de facettes, de métamorphoses de lui-même, autant de points de vue sur le monde. Bowie ne fait rien tant qu'obéir au diktat nietzschéen de devenir soi-même, celui que l'on est, au risque de se perdre en chemin.

LES DIFFERENTES METAMORPHOSES DE DAVID BOWIE :



The Rise and Fall of Ziggy Stardust and the Spiders from Mars en référence à Brecht) - 1969
En 1969, il se révèle au public avec le titre "Space Oddity" (littéralement, "Bizarreries/Curiosités de l'espace"). Quatre ans avant les Sex Pistols, il inspire le mouvement punk avec son avatar aux cheveux hirsutes, Ziggy Stardust. Aura (bi)sexuelle, étrangeté du personnage.
C'est avec « Space Oddity », en 1969, que la carrière de David Bowie décolle au sens propre comme au sens figuré. La chanson est un hommage à l' « Odyssée de l'espace » de Stanley Kubrick, vertige d'un voyage stellaire qui s'achève en catastrophe. A travers son avatar, le Major Tom, David Bowie nous laisse entrevoir la vanité de la toute-puissance humaine et du danger du progrès de la technologie. Idéaliste, le major Tom se veut le chantre de la paix universelle.
Ce morceau révèle au public britannique le chanteur, alors âgé de 22 ans. La chanson deviendra ensuite la bande son de l'atterrissage de la mission Apollo 11 sur la Lune par la BBC, le 20 juillet 1969. Elle raconte en effet le voyage du Major Tom, prisonnier de sa capsule qui fuit la planète, perdu dans l'espace, et son dialogue avec la tour de contrôle, sur Terre : : « Suis-je bien assis dans une boîte de conserve ? Loin au-dessus de la lune / La planète Terre est bleue / Et il n'y a rien que je puisse faire ... » (David Bowie, « Space Oddity ») : https://www.youtube.com/watch?v=D67kmFzSh_o. Paroles/traduction : https://www.lacoccinelle.net/250739-david-bowie-space-oddity.html
Dans « Life on Mars », Bowie se demande si une vie sur Mars est possible après la destruction de la planète : https://www.youtube.com/watch?v=AZKcl4-tcuo&ab_channel=DavidBowie
« Five years » récite l'implosion terrestre à venir, et les cinq années qu'il reste pour les larmes des derniers hommes => https://www.youtube.com/watch?v=4bcnO3VQ_fc / Paroles et traduction : https://www.lacoccinelle.net/248582-david-bowie-five-years.html
Sortie de l'album « Hunky Dory » en 1971 (littéralement « comme sur des roulettes ») explore le thème de la double personnalité. L'album est une vision prophétique de la vie de Bowie et son statut de star.
L'album commence par le lumineux « Changes », hymne à une vie plus intense et plus libre face à l'inéluctabilité du temps qui passe : https://www.youtube.com/watch?v=xMQ0Ryy01yE / Paroles et traduction : https://www.lacoccinelle.net/288268.html

« Hunky Dory » s'achève sur « The Bewlay Brothers », chanson introspective et schizophrénique sur son demi-frère, Terry, une histoire de possession et de folie.
A cet époque, David déclare : « J'étais très préoccupé par l'état de santé mentale de mon demi-frère Terry, qui était alors hospitalisé dans un établissement psychiatrique. Il était soigné pour schizophrénie et neurasthénie. Parfois, il venait passer un WE avec moi. C'était assez effrayant, car je reconnaissais chez lui certains traits de ma personnalité. J'avais la trouille de sombrer à mon tour dans la folie... ». David rendra un autre hommage à son frère Terry en 1993 avec le titre « Jump They Say ».
Ziggy Stardust est le nom du deuxième alter ego, de la deuxième « schize » de David Bowie. Le chanteur s'est construit, tout au long de sa carrière, à travers l'incarnation de différents personnages. Cette incarnation glamrock, mélange d'Iggy Pop, Marc Bolan et Vince Taylor, vaut à David Bowie un immense succès : il enchaîne tournée sur tournée. Il finit par "tuer" symboliquement son avatar sur la scène de l'Hammersmith Odeon, en 1973 ("C'est le dernier concert que nous ferons jamais") dit-il après le morceau iconique « Rock 'N' Roll Suicide» : https://www.youtube.com/watch?v=CD1nzOeS6U0&ab_channel=DavidBowie / Traduction/paroles : https://www.lacoccinelle.net/254090-david-bowie-rock-n-roll-suicide.html
Ziggy aura vécu à peine 3 ans. Mourir et renaître dans une carrière rock. Se suicider pour mieux renaître. Bowie = Phoenix du rock.

(Pierre Laroche pour le maquillage de la couverture)
L'album est écrit durant sa tournée américaine. Guitares saturées, cuivres et chœurs féminins.
Le morceau « Jean Genie » est un hommage à l'écrivain homosexuel et martyr, Jean Genet. Allusion à la prostitution masculine (Photo dans la cabine téléphonique). Fascination pour la marge. Genet, idole des gays et des loubards. Bowie amène l'art, la littérature dans le rock.
Anecdote Genet a rdv dans un bar avec David. Il voit de dos une grande et belle dame, il lui demande : « avez-vous vu David Bowie ? ». « Oui, c'est moi » répond David en se retournant !
Sorte de réincarnation de Ziggy, Aladdin Sane (comprendre "A lad insane", "un mec fou"), s'inscrit dans sa continuité, porte étendard d'une période créative folle pour Bowie. Version plus sombre de Ziggy Stardust Plus flou, plus ambigu que Ziggy, Aladdin Sane cristallise les tourments d'un Bowie qui découvre l'impact de la célébrité, de la drogue sur sa vie, le manque d'intimité, le narcissisme, le trop plein d'argent. L'album évoque également une 3e guerre mondiale avant la fin de la décennie.
Titre original de l'album « Love Aladdin Vein » = « J'aime la veine d'Aladdin » ou « Love a lad in vain », « j'aime un garçon en vain » = référence à la drogue et/ou à l'homosexualité.
Mi homme mi femme mi ange mi démon. Un soldat avec des roses fanées.
Dans « Time », sentiment de la nostalgie (Tourgueniev) : Vivre le présent avec le regret d'un homme de 70 ans.



La 4ième métamorphose de Bowie est celle d' « Halloween Jack » qui apparaît dans l'album : « Diamond Dogs ».
Nouveau personnage, borgne avec un bandeau sur son œil droit, cheveux rouges à la Ziggy, blafard, décharné, cocaïné, « félin glacial », cynique. Pirate punk androgyne. Fin du glam-rock, loin des rêves d'apesanteur des Ziggy et Aladdin.
L'album « Diamond Dogs » devait être une adaptation musicale du roman « 1984 », de George Orwell, mais les ayants droit de l'oeuvre refusent. Référence à Orwell, à Fritz Lang ("Metropolis") pour l'inspiration décor et à Burroughs (« Les garçons sauvages »). Dystopie post-apocalyptique. Opéra rock, protest-album.
Banlieue gigantesque d'une mégalopole « Hunger City ». Les hommes comme des zombies vivent dans les égouts. Mort de l'homme chez Foucault : sujet, liberté sont des illusions. Déconstruction de l'homme. Monde désillusionné. Les idéaux sont morts. Dieu est mort (Nietzsche). Plus de transcendance. L'homme va bientôt mourir comme sujet pour devenir un produit. Bowie, prophète d'un monde post-existentiel, post-moderne - cad où les valeurs modernes (science, raison, progrès, humanisme) sont remises en cause. Contre Utopie noire. Echec des idéaux des 60's (Flower Power), monde gagné par la violence, la drogue, la corruption et la consommation, les êtres deviennent inauthentiques, fakes.
Monde dominé par « Big Brother », visage de la dictature que les hommes, égarés et fanatisés, appellent de leur voeu : https://www.youtube.com/watch?v=555jxltr9Zo / Paroles et traduction : https://www.lacoccinelle.net/281313.html
Le morceau « Future Legend », dépeint une cité dévastée par des hordes d'hooligans, les trottoirs poisseux de sang et infectés de rats. Monde moderne en perdition vers l'apocalypse.




"Young Americans"
Bowie, tout juste arrivé à Los Angeles, teint blafard, costume sombre et cheveux gominés, fait subir à son personnage une métamorphose qui emprunte esthétiquement au cabaret allemand des années 30, et musicalement aux musiques noires nord-américaines. La parution de "Young Americans", en 1975, crée la surprise. Cette renaissance artistique s'accompagne d'une réussite commerciale : coécrit avec John Lennon, le single "Fame" est son premier numéro 1 américain.










Le glam mis à mort avec la mort de Ziggy Stardust, Bowie doit se réinventer.

En 1975, Bowie s'installe à Geneva, près de Los Angeles. Période trouble de sa vie : le chanteur a sombré dans la cocaïne (il porte une cuillère à cocaïne autour du cou), l'anorexie (40 kilos pour 1,78 m), la dépression et l'auto-destruction, il passe plusieurs jours sans dormir et vit la nuit. Se nourrit seulement de lait et de poivrons : « J'étais totalement bousillé, aussi bien physiquement que moralement. La drogue m'avait totalement détruit. Comme elle me permettait d'être quelqu'un d'autre, je ne vivais que par elle. Mais, elle m'a rendu fou, j'étais devenu un légume. » David manque de mourir par épuisement et overdose durant cette folle période californienne. Devenu paranoïaque (peur de finir comme John Lennon) et mégalomane, ses déclarations politiques écornent son image auprès du public. Dans un magazine, il déclare : « Tout n'est que manipulation, et un jour je ferai de la politique, car je veux être Premier Ministre. Je suis un partisan du fascisme ; notre unique chance de nous sortir de ce libéralisme répugnant c'est l'extrême droite. Les rock stars sont fascistes, et Hitler était l'une des premières. Ce n'était pas un politicien, mais un grand artiste moderne. Il a utilisé la politique et le théâtre pour créer cette chose qui allait gouverner et contrôler le spectacle pendant ces années-là : il a mis en scène un pays. ». Bowie, politicien nazi d'opérette ?
Au printemps 76, Bowie et Iggy Pop reviennent d'un séjour à Moscou. Ils se font arrêter à la frontière russo-polonaise. Les douaniers mettent la main sur des ouvrages nazis. Sommé de s'expliquer, Bowie prétend qu'il prépare un film sur Goebbels ! Projet dont personne n'a jamais entendu parlé… Le 2 mai, gare Victoria, une photo montre David de profil semblant faire un salut nazi. Plus tard, il démentira être un admirateur du IIIe Reich.





Se croyant possédé par le diable (la main gauche noire), David se fait même exorciser !
Son album « Station to station » incarne ce nouveau personnage, du Thin White Duke, aristocrate hautain, touchant au mystique et à l'occulte. Le Thin White Duke, successeur d'Halloween Jack, est vêtu d'un simple pantalon de costume et d'un gilet noir sur une chemise blanche, cheveux courts et blonds gominés. Bowie décadent mais toujours élégant ! Son personnage emprunte esthétiquement au cabaret allemand des années 30, à la mystique du Berlin de Weimar. Bowie = fan de Greta Garbo.
Le personnage du « Thin white Duke » est comme la face obscure de Bowie, un « sale type » dira-t-il : Cocaïné, exsangue, squelettique, cynique, surhomme autodestructeur, zombi aryen amoral et sans émotion, mégalomane. Inspiration de la philosophie de Nietzsche. Esthétique des « Damnés » de Visconti.



« Station to station », en 1976, évoque sans doute les stations d'un Christ sur son chemin de croix du show-business et de la cocaïne. Les paroles restent aussi énigmatiques que le Bowie de l'époque passionné d'occultisme et d'ésotérisme ! La chanson servira de bande son pour l'adaptation filmique de « Moi, Christiane F., 13 ans, droguée, prostituée »
« It's too late / It's too late, it's too late, it's too late, it's too late / The European cannon is here/ It's not the side-effects of the cocaine/ I'm thinking that it must be love / It's too late to be grateful »

Au faîte de sa maigreur et au bord du suicide, David doit quitter L.A. (« Hell A ») et ses ondes satanistes : « Los Angeles ? Cette putain de ville devrait être rayée de la surface de la planète. » déclare-t-il en 1980.
Son nouvel asile sera le Berlin de la guerre froide.

BERLIN, 1976-1979 : l'exigence artistique

"Heroes"
Mais tel le phénix, Bowie renaîtra en Europe, à Berlin. Il y vit avec Iggy Pop, complice musical et ami. Il a participé aux albums d'Iggy : « The idiot » (1977), « Lust for life » (1978).
Après s'être abîmé dans la gloire, l'alcool et la drogue à L.A., Bowie, résolu à plus de sobriété, crée dans la capitale allemande divisée trois de ses meilleurs albums : la trilogie "Low" (composé en Suisse), "Heroes" et "Lodger", avec Brian Eno. La chanson la plus célèbre de cette période est "Heroes", conçue dans les studios Hansa de Berlin Ouest, juste à côté du Mur. La chanson raconte l'histoire de deux amants réunis à l'ombre du mur de Berlin. Si elle ne rencontre pas un immense succès lors de sa sortie, elle est depuis devenue une de ses chansons phares. Iconique.
Musique plus continentale. Plus cultivée. Période introspective après la folie et l'extraversion de L.A. => Inspire la newwave et le post-punk.
Rock plus froid et plus technique.


Après sa trilogie berlinoise, Bowie retrouve New-York (et le succès commercial) avec « Scary Monsters (and Super Creeps) ».
Dans la chanson mélancolique et introspective « Ashes to Ashes », Bowie boucle la boucle, et, dans une sorte de bilan existentiel et psychanalytique, se repend de ses turpitudes passées, en enterrant son premier personnage de Major Tom/ Ziggy Stadust : « Ashes to ashes, funk to funky / We know Major Tom's a junkie». Bowie a été cramé par la vie, il a sombré dans l'addiction, et il veut en finir, tourner la page. Le Major Tom comme David est allé au ciel pour toucher le fond. Fini les excès, fini la cocaïne, « Ashes To Ashes » marque un retour à l'enfance, à l'innocence perdue, sacrifiée sur l'autel de la gloire et du star-system. David/Tom veut redescendre sur Terre, parmi les hommes, retrouver une sorte de normalité. Dans cette ritournelle presque enfantine, David évoque même la sagesse maternelle lui commandant de se tenir à distance de Major Tom (cad la cocaïne ?) pour pouvoir accomplir de belles et grandes chose dans la vie : « My mother said to get things done / You'd better not mess with Major Tom ».
Dans le clip (le premier de l'histoire de la musique dit-on), on voit Bowie grimé en Pierrot triste. Il rappelle ici son attachement au clown mélancolique ainsi qu'à l'art du mime appris avec Lindsay Kemp (lui-même élève de Marcel Marceau) à la fin des années 60.












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