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Les Fleurs du Mal de Charles BAUDELAIRE

Les Fleurs du Mal de Charles BAUDELAIRE, 1857, Le Livre de poche.

• Sous ce titre paradoxal et provocant, Baudelaire publie enfin en 1857 le recueil de vers auquel il pense depuis 1845. Il y rassemble cent poèmes d’époques et d’inspirations très diverses, les classant selon un plan concerté dans lequel, à vrai dire, ils s’insèrent parfois artificiellement. L’édition de 1861 en comporte cent vingt-six, présentés selon un plan partiellement nouveau qui constitue la structure définitive du recueil auquel furent ajoutées vingt-cinq pièces lors de la première édition posthume (1868).

• Dans la première partie, intitulée Spleen et Idéal, Baudelaire peint l’ennui que lui inspire le monde réel et exprime sa nostalgie de la pureté et son aspiration à un au-delà spirituel (Bénédiction, L’Albatros, Elévation). La contemplation mystique (Correspondances), l'intercession des grands artistes (Les Phares), l’évasion dans le rêve (La Vie antérieure), le culte de la beauté (La Beauté, Hymne à la beauté), consolent successivement sa muse malade. Des séries de poèmes sont consacrées aux femmes qu’il a aimées : Jeanne Duval (de Parfum exotique à Je te donne ces vers...); Mme Sabatier (de Tout entière à Le Flacon) , Marie Daubrun (de Le Poison à A une madone) et d’autres. Les Tableaux parisiens, section ajoutée en 1861, traduisent la compassion du poète devant les malheurs que recèle la grande ville moderne (Le Cygne, Les Petites Vieilles, Les Aveugles). La lutte entre les deux postulations qui mènent l’homme, l’une vers Dieu, l’autre vers Satan, y est suivie avec une immense pitié pour les maudits (Le Crépuscule du matin). La section suivante, Le Vin, chante l’ivresse selon une tradition assez conventionnelle. Puis vient la section Fleurs du Mal où la peinture du vice témoigne aussi d’une certaine complaisance romantique qui se retrouve dans le satanisme de la section Révolte, consacrée à l’exaltation de Satan conformément à une mode littéraire lancée par Byron (1788-1824). Quant à la dernière partie, La Mort, elle se compose, dans l’édition de 1857, de trois sonnets d’inspiration spiritualiste : C'est le portique ouvert sur les deux inconnus! En 1861, Baudelaire y ajoute trois poèmes qui affirment son aspiration au néant, le dernier, Le Voyage, se terminant sur un cri ambigu : Plonger au fond du gouffre, Enfer ou Ciel, qu'importe? / Au fond de l’inconnu pour trouver du nouveau ! C’est dans ces derniers poèmes, dans les sections Spleen et Idéal et dans Tableaux parisiens que s’exprime sans doute le mieux le drame authentique de Baudelaire qui, cherchant dans la création poétique une revanche sur les épreuves de sa vie, a tiré de celle-ci un poème de la misère et du désespoir dont l’inspiration pascalienne a été souvent soulignée. • Bien qu’il ait été condamné en justice pour immoralité, le recueil des Fleurs du Mal a remporté tout de suite un immense succès par la modernité de son inspiration et la richesse de son style, fidèle aux usages poétiques, mais dense et musical, où les images se muent constamment en symboles. Il a exercé une influence considérable sur la poésie ultérieure en l’orientant vers le refus du monde et l’exploration de toutes les révoltes et de tous les rêves (cf. Verlaine, Rimbaud, Mallarmé et l’ensemble du mouvement symboliste).

♦ «La poésie de M. Baudelaire, profondément imagée, vivace et vivante, possède à un haut degré ces qualités d'intensité et de spontanéité que je demande au poète moderne. Il a les dons rares, et qui sont des grâces, de l'évocation et de la pénétration. Sa poésie, concise et brillante, s'impose à l'esprit comme une image forte et logique. » Ch. Asselineau (1857). ♦ « Il y a du Dante dans l'auteur des Fleurs du Mal, mais c'est du Dante d'une époque déchue, c'est du Dante athée et moderne, du Dante venu après Voltaire, dans un temps qui n'aura point de saint Thomas. » J. Barbey d’Aurevilly (1857). ♦ « Vous êtes, Monsieur, un noble esprit et un généreux cœur. Vous écrivez des choses profondes et souvent sereines. Vous aimez le Beau. Donnez-moi la main. Et quant aux persécutions, ce sont des grandeurs. Courage ! » Victor Hugo (1859). ♦ « Fleurs du mal : livre très médiocre, nullement dangereux, où il y a quelques étincelles de poésie, comme il peut y en avoir dans un pauvre garçon qui ne connaît pas la vie et qui en est las parce qu'une grisette l'a trompé. » Mérimée (vers 1860). « Ce que vous ne saurez pas, c'est avec quel plaisir je lis à d'autres, à des poètes, les véritables beautés de vos vers encore trop peu appréciés et trop légèrement jugés. » Alfred de Vigny (1862). ♦ <r II faut admirer en Baudelaire un des plus grands hommes de ce temps et qui, si nous ne vivions pas sous le règne intellectuel de Victor Hugo, mériterait que nul poète contemporain ne fût mis au-dessus de lui.» Th. de Banville (1862). ♦ « La profonde originalité de Charles Baudelaire, c'est, à mon sens, de représenter puissamment et essentiellement l'homme moderne... tel que l'on fait les raffinements d'une civilisation excessive : l'homme moderne avec ses sens aiguisés et vibrants, son esprit douloureusement subtil, son cerveau saturé de tabac, son sang brûlé d'alcool, en un mot, le bilio-nerveux par excellence, comme dirait Hippolyte Taine. Cette individualité de sensitive, pour ainsi dire, Charles Baudelaire la représente à l'état de type, de héros, si vous voulez bien. » Verlaine (1865). ♦ « Il se proclama décadent et rechercha, on sait avec quel parti pris de bravade, tout ce qui, dans la vie et dans l’art, paraît morbide et artificiel aux natures plus simples... Il était un homme de décadence. C'est peut-être le trait le plus inquiétant de cette inquiétante figure. » Paul Bourget (1883-90). ♦ «Dans l'œuvre de Baudelaire, les derniers liens qui rattachaient encore le lyrisme romantique à l'humanité sont rompus, et le monstrueux orgueil du poète n'est fait que du mépris de ses semblables. » F. Brunetière (1892). ♦ «Poe et Baudelaire sont les deux seuls critiques modernes. » Paul Claudel (1905; cité par Gide). ♦ « Trop chrétien pour être cynique, et trop peu pour être humble. Riche de sens et de péché, hardi à s'ouvrir les entrailles, trop libre pour être hypocrite. Grand poète, sans abondance ni facilité, il fut plus artiste en vers qu'on n'avait été avant lui, depuis Racine. » André Suarès (1911). ♦ L'ensemble de ces jugements [de critique d’art) fait de Baudelaire l'annonciateur clairvoyant d'un mouvement artistique qui ne devait éclore que dans les dernières années de sa vie... Cette divination n'était pas seulement due à l'instinct inné de l'originalité, à l'aptitude au discernement de la valeur technique; elle était due surtout à une conception coordonnée de la critique d'art, à une philosophie de l'évolution artistique... On pourrait extraire de ses Salons un mince recueil d'axiomes et d'anticipations dont la lecture prouverait qu'aucun de nos récents écrivains d'art n'a rien inventé, ou cru inventer, que le poète des Fleurs du Mal n'eût déjà formulé plus parfaite» ment. » Camille Mauclair (1917). ♦ « On voit assez que Baudelaire a recherché ce que Victor Hugo n'avait pas fait, qu'il s'abstient de tous les effets dans lesquels Victor Hugo était invincible; qu’il revient à une prosodie moins libre et scrupuleusement éloignée de la prose; qu’il poursuit et rejoint presque toujours la production du charme continu, qualité inappréciable et comme transcendante de certains poèmes — mais qualité qui se rencontre peu, et ce peu rarement pur, dans l’œuvre immense de Hugo. Baudelaire, quoique romantique d’origine, et même romantique par ses goûts, peut quelquefois faire figure d’un classique. Il y a une infinité de manières de définir, ou de croire définir le classique. Nous adopterons aujourd’hui celle-ci : classique est l’écrivain qui porte un critique en soi-même, et qui l’associe intimement à ses travaux. La poésie de Baudelaire doit sa durée et cet empire qu’elle exerce encore à la plénitude et à la netteté singulière de son timbre. Cette voix, par instants, cède à l’éloquence, comme il arrivait un peu trop souvent aux poètes de cette époque; mais elle garde et développe presque toujours une ligne mélodique admirablement pure et une sonorité parfaitement tenue qui la distinguent de toute prose. » Paul Valéry (1929).

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