Les expressions de la sensibilité - La naissance de l'art moderne
La naissance de l'art moderne.
Naissance des avant-gardes et de l'art contemporain à partir de la grande querelle du classicisme.
Rappel : Au 17e et 18e = opposition du classicisme et de l'esthétique du sentiment. Sur le fond commun que le beau doit plaire à la sensibilité du spectateur, il y a une divergence de fond :
La beauté est l'incarnation d'une idée vraie, l'incarnation d'une vérité de la raison dans un matériau sensible (couleur, pierre, vibrations sonores) = pour les classiques.
≠
Esthétique de la délicatesse, des passions, du cœur, de l'irrationnel, du sentiment, de l'indicible. Esthétique de Pascal (le cœur), Rousseau plutôt que de Descartes (la raison).
Pour Kant : les 2 esthétiques constituent une antinomie du gout. Cette antinomie se caractérise (pour les classiques comme pour les modernes) pour l'indiscutabilité. Le beau n'est pas discutable. Pourquoi ?
Pour les classiques, car le beau est l'illustration d'une vérité. On peut démontrer que l'on a raison ou tort en esthétique. Charles Batteux (« Les Beaux-Arts réduits à un même principe » - 1746) : « Il n'y a qu'un seul bon goût, qui est celui de la nature. Les arts mêmes ne peuvent être parfaits qu'en représentant la nature : donc le goût qui règne dans les arts mêmes, doit être encore celui de la nature. Ainsi il ne peut y avoir en général qu'un seul bon goût, qui est celui qui approuve la belle nature : & tous ceux qui ne l'approuvent point, ont nécessairement le goût mauvais. » (Partie II, chapitre 7). Dogmatisme rationaliste. On ne peut pas plus discuter du beau que l'on peut discuter d'un jugement mathématique (cas d'égalité des triangle). On peut démontrer que l'on a raison en art.
Pour les tenants de l'esthétique du cœur : parce que le beau est réduit à l'agréable, à l'agrément, on ne discute pas des gouts et des couleurs comme on ne discute pas le fait d'aimer ou non les huitres. A chacun selon goût.
2 théories de la sensibilité du « sujet monade » pour paraphraser Leibniz : pour les classiques, le sujet est enfermé dans sa conviction rationnelle ; pour l'esthétique du coeur, le sujet est enfermé dans sa conviction sentimentale.
2 cogitos différents : un « cogito rationalis » et un « cogito sentimentalis », empiriste.
Kant va rouvrir le débat dans la « Critique de la faculté de juger » :
Les classiques ont tort : on ne peut pas prouver la beauté d'une œuvre d'art. Mais on peut essayer non de démontrer mais de discuter du beau, d'expliciter ses préférences.
L'esthétique du sentiment a tort : le beau ne relève pas de la pure subjectivité.
Pour Kant, la spécificité du beau n'est ni le vrai, ni l'agréable. Le beau est cet espace intermédiaire mi-sensible, mi-intelligible.
Le gout n'est ni une pure objectivité, ni une pure subjectivité.
L'œuvre de Kant va ouvrir au romantisme allemand = cerner la spécificité du gout. Le gout plaît aux sens et est objet de discussion comme le vrai au sens de l'argumentation.
Kant ouvre la modernité de l'art (XXe siècle).
3 moments de la conférence :
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La solution kantienne
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L'esthétique de Nietzsche
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Naissance de l'avant-garde (Schonberg et Kandinsky)
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L'esthétique de Kant :
Le beau n'est pas réductible au vrai, ni à l'agréable. Il est à égal distance des 2, tout en empruntant aux 2.
La thèse (esthétique du sentiment) et l'antithèse (esthétique de la raison) ont toutes les 2 quelque chose de vrai.
La thèse : contrairement à ce qu'affirme l'antithèse : on ne peut pas prouver, démontrer le beau. Rameau a tort, l'art n'est pas une science.
L'antithèse : contrairement à ce qu'affirme la thèse : le beau n'est pas affaire d'agréable de pure subjectivité.
Si l'on ne peut pas faire de démonstration (dispute) en matière d'art, on peut argumenter (discussion).
On argumente quand on aime une œuvre. On peut faire partager à autrui ses sentiments du beau.
Si on réduit le beau au vrai : la dispute s'arrête. Si on réduit le beau à l'agréable : la discussion ne commence même pas.
Esthétique kantienne : le beau est la rencontre contingente entre le sensible et l'intelligible. L'art fait signe vers du sens. Le beau, c'est du sensible qui fait sens. Il y a du sens dans le sensible. La musique de Chopin (un Prélude) expression de passions romantiques. Un « choral » de Bach est une prière faite à Dieu. De lui-même le sensible devient intelligible.
L'art est un mixte de sensible et d'intelligible, de raison et de matière.
Prérequis à l'esthétique kantienne :
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Distinction entre jugement déterminant et jugement réfléchissant :
Jugement déterminant : jugement scientifique. De l'universel vers le particulier. Principe de causalité (« rien n'arrive sans cause » Leibniz). De la règle générale vers le cas particulier. Métaphore du Code Napoléon : appliquer la loi universelle aux cas particuliers.
Jugement réfléchissant : jugement esthétique. Du particulier vers l'universel. Nomothétique. Le cas particulier. Métaphore de la jurisprudence anglosaxonne : partir du cas particulier qui va faire loi.
Exemple d'un jugement réfléchissant : un savant découvre un insecte non-répertorié. Il découvre un insecte non-répertorié. Essayer de classer cet insecte (particulier) sous une espèce générale (universelle).
5 étapes à ce classement du scientifique :
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Le savant part du particulier.
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Il chercher le nom générique. Pas de concept déterminé.
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Mais il a un « principe régulateur » (Kant) = il a déjà l'idée. Il a l'espoir que l'insecte va se laisser classer, lister sous une catégorie générale.
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Il procède par comparaison, par ressemblance et différenciation
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Si cela fonctionne, l'espérance est satisfaisante. Plaisir à être parvenu à sa classification. Plaisir à l'exigence de classification (logique) satisfaite.
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Qu'est-ce qui va jouer le rôle d'un « principe régulateur » ou « principe de la réflexion » dans le jugement esthétique ?
Nous sommes animés dans cette activité de classement en science comme en art par un même principe métaphysique : l'idée de Dieu ou idée de système = idéal d'une réconciliation entre sensible et intelligible.
Dieu = omniscience. Pour lui le sensible et l'intelligible sont réconciliés. Pour Dieu, il n'y a pas d'opacité de la matière. Pour l'humain, le sensible n'est pas parfaitement connu, il l'est seulement en Dieu.
Idée de Dieu = idéal régulateur de la science même pour les athées. Le savant s'approche de l'idée de Dieu, du « savoir absolu ». Une découverte scientifique nous rapproche de l'entendement divin. Le progrès scientifique, la science achevée est l'idéal scientifique du savant. Rationaliser le monde comme le botaniste.
Idem pour le jugement de gout, l'objet beau est une trace de la réconciliation entre sensible et intelligible, de réalisation de cet idéal.
Le beau est « une présentation symbolique de l'idée de Dieu » (Kant).
L'aile d'un papillon, l'harmonie naturelle, la perfection de la nature ne peut être due au hasard. Tout se passe comme si la nature faisait sens vers l'intelligible, comme si cela avait été fait par un artiste. Pourtant, cela n'a pas été fait exprès, « finalité sans fin » = la nature est belle quand elle imite l'art (chant du rossignol) et l'art est beau quand il imite la nature. Cf. analyse du génie en art chez Kant.
Œuvre d'art, trace symbolique de réalisation de l'idée de Dieu ou principe régulateur.
Plaisir de la connaissance = plaisir désintéressé du savant, réalisation d'un idéal divin d'une connaissance absolue, parfaitement rationnelle où le sensible deviendrait totalement clair et intelligible (introduction à la « CFJ »).
Lien entre le fait que l'œuvre soit mixte de sensible et intelligible et en même temps elle n'est ni le vrai ni un sentiment. Et le fait qu'on peut en discuter, pas démontrer mais argumenter.
Possibilité, grâce à l'art, d'une « pensée élargie ». Me mettre à la place de l'autre pour essayer de partager son expérience.
Grâce aux regards des autres, ma propre pensée peut s'élargir vers l'horizon.
Le point de vue de l'humain cad du sensible est le point de vue vrai. On part de l'homme de l'espace et du temps et Dieu n'est qu'une idée, pas une réalité. L'homme relativise Dieu.
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L'esthétique de Nietzsche
2 points sur l'esthétique révolutionnaire de Nietzsche mais admirateur des classiques mais un classicisme de la différence, le chaos :
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Art révolutionnaire :
Détestation de l'esthétique de la délicatesse et romantique.
Ontologie de Nietzsche => Réel = tissu de forces, de pulsions, d'instinct. Vie = volonté de puissance.
2 types de forces :
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Forces réactives qui nient et mutilent => tristesse. Volonté de vérité qui s'oppose à l'erreur et à l'illusion. Exemple des dialogues de Platon. Vérité opposée à l'art qui l'apologie*
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Forces actives qui accroissent la joie. Artiste, aristocrate opposent de nouvelles valeurs sans s'opposer à d'autres valeurs. Création.
3 possibilités :
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Anarchisme = Anarchie des instincts qui se déchirent, combat des forces réactives et créatrices. Cure socratique = castration de la sensibilité, invention de l'intelligible contre le sensible. Rejet des instincts. Figure du philosophe médecin comme Socrate.
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Romantisme = (Schopenhauer, Chopin) = déchirement des passions. Héros romantique = affaiblissement de la vie. Autodestruction dans le combat entre les forces réactives et actives, entre Eros et Thanatos. Affaiblissement de la vie. Mort. Diminution de la vitalité de la vie.
Alors que l'art est « intensification de la vie ». L'art nous rend joyeux. Ni par la cure socratique, ni par le romantisme, mais dans le « grand style », harmonisation des forces actives et réactives : il n'est pas question de supprimer l'une d'elles au profit de l'autre. Ce ne serait qu'une réaction de plus.
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Le « grand style » = maîtrise de soi, hiérarchisation des instincts. Modèle dans le classicisme. Sérénité des statues grecques. Harmonie de soi. Pas le rejet des forces réactives (volonté de vérité, raison, logique). Harmoniser son chaos intérieur. « Forcer son chaos à devenir forme ». « Devenir mathématique, devenir loi ». Eloge de l'art classique. Nietzsche cherche alors à réhabiliter le classicisme antique, en citant notamment Corneille : « Corneille, il faut le réhabiliter comme un de ces poètes appartenant à une civilisation aristocratique qui mettaient leur point d'honneur à soumettre à un concept leur sens peut-être plus vigoureux encore et à imposer aux prétentions brutales des couleurs, des sons et des formes, la loi d'une intellectualité raffinée et claire. En quoi il était, à ce qu'il me semble, la suite des grands Grecs ».
Pas de mutilation (Socrate, christianisme), pas de « bons sentiments » (Romantisme).
Mais le classicisme de Nietzsche n'est pas celui de l'identité, mais de la différence. Pas un classicisme de la transparence.
$ 289 de « Par-delà le bien et le mal » : thème du solitaire contre les masses. Le génie est un solitaire, martyr et incompris. La vérité de l'art c'est non la conscience mais l'inconscient :
« Dans les écrits d'un solitaire, on entend toujours quelque chose comme l'écho du désert, comme le murmure et le regard timide de la solitude ; dans ses paroles les plus fortes, dans son cri même, il y a le sous-entendu d'une manière de silence et de mutisme, manière nouvelle et plus dangereuse. Pour celui qui est resté pendant des années, jour et nuit, en conversation et en discussion intimes, seul avec son âme, pour celui qui dans sa caverne — elle peut être un labyrinthe, mais aussi une mine d'or — est devenu un ours, un chercheur ou un gardien du trésor, un dragon : les idées finissent par prendre une teinte de demi-jour, une odeur de profondeur et de bourbe, quelque chose d'incommunicable et de repoussant, qui jette un souffle glacial à la face du passant. Le solitaire ne croit pas qu'un philosophe — en admettant qu'un philosophe ait toujours commencé par être un solitaire — ait jamais exprimé dans les livres sa pensée véritable et définitive. N'écrit-on pas des livres précisément pour cacher ce qu'on a en soi ? Il ne croira pas qu'un philosophe puisse avoir des opinions « dernières et essentielles », que chez lui, derrière une caverne, il n'y ait pas nécessairement une caverne plus profonde — un monde plus vaste, plus étrange, plus riche, au-dessus d'une surface, un bas fond sous chaque fond, sous chaque « fondement ». Toute philosophie est une « philosophie de premier plan » — c'est là un jugement de solitaire. « Il y a quelque chose d'arbitraire dans le fait qu'il s'est arrêté ici, qu'il a regardé en arrière et autour de lui, qu'il n'a pas creusé plus avant et qu'il a jeté de côté la bêche, — il faut voir en cela une part de méfiance. » Toute philosophie cache aussi une philosophie, toute opinion est aussi une retraite, toute parole un masque. »
Derrière toute conscience, il n'y a de l'inconscience. Derrière le visible, il n'y a de l'invisible.
L'art, comme dans le classicisme français, dit la vérité mais derrière cette vérité, il y a du mensonge ; derrière le pensé, il y a de l'impensé ; derrière la clarté, il y a de l'ombre.
Il s'agit bien, comme chez les classiques de dire la vérité dans / par l'art. Mais la vérité c'est la dissonance, la différence, la brisure, le non figuratif.
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Art hyperclassique :
L'art est un génie solitaire qui dit la vérité du chaos.
3) Naissance de l'avant-garde (Schonberg et Kandinsky)
Kandinsky (« Du spirituel dans l'art » : comparaison de la vie spirituelle (culturelle) avec un triangle en haut le génie (Picasso, Schonberg), en dessous moins solitaires, moins audacieux (Debussy, Manet, Cézanne). Vers la base, la populace qui ne comprend rien à l'art moderne. Le triangle se déplace vers le haut avec le temps.
Le triangle s'élève dans l'histoire. Vision historicisme de l'art. Le génie qui était un solitaire sera, dans le temps, compris par la masse. Le génie incompris sera forcément compris.
Correspondance entre Kandinsky et Schonberg = rupture de la figuration en peinture et rupture de la tonalité en musique.
Lettre du 24 janvier 1911 : « Il est provisoirement refusé à mes œuvres de gagner la faveur des masses ; elles n'en atteindront que plus facilement les individus. Ces individus de grande valeur qui seuls comptent pour moi. » […]
Kandinsky (« Du spirituel en art ») : « […] Un grand triangle divisé en parties inégales, la plus petite et la plus aiguë au sommet, figure schématiquement assez bien la vie spirituelle. Plus on va vers la base, plus ces parties sont grandes, larges, spacieuses et hautes. Tout le triangle, d'un mouvement à peine sensible, avance et monte lentement et la partie la plus proche du sommet atteindra « demain » l'endroit où la pointe était « aujourd'hui ». En d'autres termes, ce qui n'est encore aujourd'hui pour le reste du triangle qu'un radotage incompréhensible et n'a de sens que pour la pointe extrême, paraîtra demain à la partie qui en est la plus rapprochée, chargé d'émotions et de significations nouvelles. »
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Hyperindividualisme. L'art moderne est une rupture permanente avec la tradition.
Jean-François Lyotard (ƚ 1998) = Cézanne contre les impressionnistes, Picasso, Braque contre Cézanne, Duchamp contre Picasso, Burenne contre Duchamp.
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Originalisme = logique de l'innovation pour l'innovation jusqu'aux concerts de silence (John Cage), les expositions sans tableau ou les monochromes d' Yves Klein, film sans image des situationnistes.
Pêché de l'art contemporain = reflet de la logique industriel contemporaine, reflet du monde capitaliste.
Steve Job comme Duchamp doit changer et innover en permanence. // de l'artiste et du bourgeois.
Classicisme de la différence. Mais la vérité n'est plus la transparence, l'harmonie, l'identité, le visible. La vérité c'est l'obscurité, la disharmonie, la différence, l'invisible.
Effet positif de l'art moderne = Libérer un matériau (le sexe, la différence, l'inconscient, le chaos, le primitif, le sauvage) non pris en compte dans le classicisme cartésien de la raison claire.
Classicisme de la différence.
3 conclusions :
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Ecueil de l'art contemporain : innovation pour l'innovation, originalité pour l'originalité.
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Ecueil de l'intellectualisme = privilégié l'idée et non la beauté.
Dans l'art contemporain, il y a beaucoup de concept, d'idée mais peu de beauté.
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Qu'advient-il après ?
Réduction de l'art a du markéting.
Kundera, Roth= post-modernisme, post-nouveau-roman. Histoire, personnages. Thèmes du sexe et de la mort. Littérature post-avant-gardiste.
Stravinsky, Bartók, Ravel = promesse de modernité post-avant-gardisme.
Nous sommes dans l'après modernisme.
Retranscription de la conférence de Luc Ferry : https://drive.google.com/open?id=0B4nRPzoUP3kTTGQ4ZFJFVUNOSmM |
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- moderne, art.