Databac

Les expression de la sensibilité: Le suicide en occident ( cours HLP - Terminale)

LE SUICIDE EN OCCIDENT : DE L’ÉLOGE A LA CONDAMNATION
 
Lien permanent : https://www.databac.fr/les-expression-de-la-sensibilite-le-suicide-en-occident-cours-hlp-terminale
 
 
S’il est bien un tabou social persistant au cours des siècles, c’est bien celui du suicide. Le suicide a une signification religieuse par le refus du don divin de la vie. Le suicide a une signification sociale : il est le signe d’un échec à la fois pour l’individu et pour la société.
L’hostilité à l’égard du suicide date de l’avènement du christianisme, alors que cet acte était librement pratiqué dans l’Antiquité.
 
ROME, OU LE CULTE DE LA MORT VOLONTAIRE
 
En effet, l’Antiquité classique gréco-romaine fournit une liste impressionnante de personnages célèbres ayant mis fin à leurs jours, tels que Thémistocle, Démosthène, Diogène, Socrate, Lucrèce, Antoine, Cléopâtre, Sénèque et des centaines d’autres. Chez les Grecs, les pythagoriciens sont opposés à la mort volontaire, et Aristote condamne cet acte comme une injustice que l’on commet contre soi-même et contre son pays, un acte de lâcheté face aux difficultés de la vie. Il assimile le suicidé à un soldat déserteur.
Dans ses Lois, Platon le proscrit sans appel : un homme capable de se tuer est un homicide capable de tuer autrui, donc un forcené en puissance ; si l’on attente à sa vie, c’est toujours dans un moment d’égarement, de déraison.
Selon Diogène le Cynique « pour bien vivre, disait, il faut une raison ou une corde ». Pour les épicuriens, le suicide en douceur est recommandé si la vie devient insupportable. Quant aux stoïciens, l’exposé le plus complet de leur position est donné par Sénèque au premier siècle de notre ère : la raison nous conseille de quitter cette vie si nos facultés sont trop affaiblies par la maladie ou la souffrance car, écrit-il, « Estime lâche celui qui meurt de peur de souffrir, et sot celui qui vit pour souffrir » (Épître LVIII à Lucilius). Le suicide comme la marque suprême de la liberté, nous permettant de triompher d’une destinée malheureuse.
A Rome, pour les hommes libres, il n’existe aucune interdiction légale ou religieuse contre le suicide : pour Cicéron comme pour Virgile, tout dépend des motifs. Le poète épicurien, Lucrèce, en 55 av. J.-C., met fin à ses jours, par simple dégoût de la vie. Brutus et de Cassius (42 av. J.-C.), qui inspireront bien des révolutionnaires pendant des siècles. En 46 av. J.-C., Caton d’Utique se donne la mort. Par ce geste, il revendique son statut d’homme libre, profondément attaché à la république et opposé au régime impérial instauré par César.
 
Le suicide est honoré comme un acte de courage politique. Geste essentiellement aristocratique. Le suicide est admis sans réserve. Il y avait donc dans la société romaine une éducation de la mort volontaire, celle-ci apparaissant comme l’acte, par excellence, d’un homme libre. Pline l’Ancien (23-79) a cette formule : « Même Dieu ne peut pas tout : il ne peut se donner la mort, quand même il le voudrait, le plus beau privilège qu'il ait accordé à l’homme au milieu de tous les maux de la vie. »
Souvent le suicide est public. Ce n’est pas un acte qui déshonore ; pourquoi se cacherait-on ? En outre, avant de passer à l’acte, on prend soin de réunir son « convivium », son conseil d’amis et de proches, auquel on expose les raisons de sa décision. Quant aux façons de se tuer, elles vont de l’épée, le mode le plus noble, mais aussi le plus fréquent au soir d’une défaite militaire, à la section des veines, encore que cette dernière méthode disparaisse après le Ier siècle ap. J.-C. On recourt plus rarement au poison, qui n’est jamais très sûr. Ici et là, quelques curiosités sont signalées, comme cette femme qui s’étrangle avec son soutien-gorge ou cet homme qui s’asphyxie au gaz carbonique... Les pendus, les noyés, n’ont pas le droit d’être enterrés.
 
A la fin du Ier siècle, on perçoit une condamnation de plus en plus nette du suicide. Et, à la même époque, Quintilien se demande si celui qui attente à ses jours n’est pas un homicide comme un autre. Le suicide n’est plus assimilé à un signe de courage mais, le plus souvent, de mauvaise conscience, de défaite ou de fuite devant l’héroïsme qu’il y aurait eu à survivre.
 
Cependant, à partir du IIe siècle, la législation se durcit nettement, pour des raisons fiscales : beaucoup de suicides concernaient de riches Romains menacés de procès et de condamnations, suivies de la confiscation de leurs biens, qui évitaient ainsi la ruine de leur famille. Avant même l’extension du christianisme le climat devient donc, pour cette raison, hostile à la mort volontaire dans le monde païen.
 
LA GRANDE MELANCOLIE DU MOYEN AGE
 
Le christianisme est hésitant à ses débuts : la mort du Christ n’est-elle pas un véritable suicide ? C’est ce que certains affirmeront en se fondant sur ses propres paroles : « Je me dessaisis de ma vie pour mes brebis. » Le cas de tous les martyrs volontaires, se livrant aux autorités, est également troublant. C’est saint Augustin, vers 400, qui fixe définitivement la position chrétienne sur ce sujet : le meurtre de soi est le pire des crimes, car il est le refus du don divin par excellence, celui de la vie. C’est, dit saint Thomas d’Aquin, « un attentat contre Dieu, contre la nature, contre la charité, et contre la société ». La cause réside dans le désespoir, qui est une tentation du diable. Les sanctions seront à la fois religieuses et temporelles : refus de sépulture ecclésiastique, damnation éternelle, confiscation des biens, exécution du cadavre suivant des modalités qui pourront différer d’une région à l’autre : le plus souvent, le corps est traîné, face contre terre, sur une claie, avant d’être pendu ; en Angleterre, on l’enterre sous un carrefour de grands chemins, avec un pieu passé au travers de la poitrine. Ces rites ont à la fois une valeur d’exorcisme et une intention dissuasive.
Le sujet du suicide était tabou : ceux qui attentaient à leur vie le faisaient aussi discrètement que possible, et leurs familles ne tenaient pas à ce que cela se sût.
En dehors, bien sûr, des armes à feu que les gens du Moyen Age n’avaient pas à leur disposition, ils ressemblent à ceux auxquels on recourait à la fin du XIXe siècle : la pendaison, la noyade, le couteau. Chez les femmes, la pendaison était ce qu’il y avait de plus courant ; les hommes préféraient le couteau. En outre, les femmes se suicidaient plutôt chez elles ou près de leur domicile, alors que les hommes choisissaient de mourir loin, dans un bois ou sur les bords d’une rivière. Jean-Claude Schmitt, historien médiéviste, a montré, à partir d’un échantillon de cinquante-quatre cas, que les hommes se tuent trois fois plus que les femmes, que la pendaison est le moyen le plus utilisé (trente-deux cas), devant la noyade (douze cas), le couteau (cinq cas), la précipitation (quatre cas), ce qui est étrangement semblable aux pratiques du XXe siècle. Il en est de même pour la répartition saisonnière : on se suicide essentiellement en mars-avril et en juillet. Il est possible que l’affaiblissement des organismes par les privations du carême pour le premier cas, par les travaux agricoles pour le second, joue un rôle important dans ces sociétés chrétiennes et rurales.
 
Quant aux motivations, il s’agit essentiellement de la maladie, de chagrins d’amour, d’une perte d’argent (au jeu par exemple), d’un échec professionnel, de la menace d’une condamnation ou de la condamnation elle-même — je mets de côté les suicidés qui passent pour « fous ».
L’Eglise condamnait le principe du suicide et qu’elle vouait à l’enfer l’âme des suicidés. La doctrine affirme, c’est vrai, que le suicide est pervers. L’inhumation d’un suicidé en dehors des limites du village ou bien la nuit était courante.
 
UNE FOLIE DUE A UN EXCÈS DE BILE NOIRE
 
 
C’est entre le XVIe et le XVIIIe siècle, que dans les élites intellectuelles s’effectue un véritable retournement des mentalités à l’égard du suicide. Dès la première Renaissance, fin XVe - début XVIe siècle, l’humanisme, qui réhabilite l’Antiquité, particulièrement riche en suicides célèbres, contribue à une redécouverte de la vertu de cet acte. S’inspirant du stoïcisme, les humanistes posent prudemment la question de la rationalité du suicide : n’est-il pas plus raisonnable dans certains cas de se tuer ? C’est ce que se demande Érasme en 1511 dans l’Éloge de la folie : « Quels sont particulièrement ceux qui par dégoût de la vie se sont donné la mort ? Ne sont-ils pas proches de la sagesse ? ».
 
Cela dit, l’affaiblissement des valeurs traditionnelles dans les élites, la désintégration progressive des solidarités familiales, paroissiales, corporatives, la promotion de l’individualisme, sont autant de facteurs d’angoisse propices à la multiplication des suicides à l’époque moderne. En 1600 qu’Hamlet s’interroge : « Être ou ne pas être, voilà la question. ».
L’explication à la mode est d’ailleurs à cette époque la mélancolie, terme vague qui désigne à la fois une affection spirituelle et une forme douce de folie, provoquée par un excès de bile noire, ce qui atténue la responsabilité des désespérés.
 
LE SUICIDE SOUS LES LUMIERES
 
Pour les défenseurs de la tradition et de la religion, la montée du suicide depuis le début du siècle est due au progrès de l’esprit philosophique, qui détruit les valeurs sacrées et les fondements de la morale.
 
C’est le philosophe David Hume, qui prend le problème à bras le corps, dans ses Essais sur le suicide et sur l'immortalité de l'âme, petit traité écrit en 1755, qu’il renonce à publier et qui ne paraîtra qu’après sa mort, en 1770. « Le suicide n'est en rien un délit, écrit-il, ce n'est pas une offense contre Dieu, qui nous a créés pour le bonheur ; ce n'est pas une offense contre la société, qui n'a rien à attendre d'un individu misérable et désespéré ; ce n'est pas une offense contre soi-même, car on se tue dans le but d'être plus heureux. »
 
Les philosophes sont surtout embarrassés par le problème du suicide, qui les trouble profondément. Loin d’en faire l’apologie, ils cherchent à en comprendre les causes, qu’ils attribuent essentiellement aux injustices sociales et politiques, responsables de la misère et du désespoir des classes populaires. Les plus pessimistes sont d’Holbach et Chamfort, le moraliste. Pour ce dernier, « vivre est une maladie, la mort est le remède ». Il se la donne le 13 avril 1794 => https://fr.wikipedia.org/wiki/S%C3%A9bastien-Roch_Nicolas_de_Chamfort
 
 
 
Le jeune poète anglais Chatterton (ƚ 1770), âgé de dix-sept ans, s’empoisonne à l’arsenic dans sa chambre à Londres de désespoir et de pauvreté. L’événement déclenche une véritable « Chatterton mania » : poèmes, panégyriques, élégies, peintures, sculptures glorifient la mort du jeune prodige ; des mouchoirs-souvenirs sont brodés à sa mémoire pour étancher les pleurs des jeunes filles. Et, bien sûr, on l’imite.
C’est dans ce climat que Goethe publie en 1774 Les Souffrances du jeune Werther, expression d’un climat culturel auquel il donne une forme esthétique. Le livre est traduit en français dès 1775 ; quinze éditions sont épuisées en dix ans. La vague d’imitations prend des proportions inquiétantes : des jeunes gens et des jeunes filles se tuent avec un exemplaire de Werther à la main. « Werther a causé plus de suicides que la plus belle femme du monde », écrit Mme de Staël, qui elle-même publiera en 1813 des Réflexions sur le suicide, dans lesquelles elle reconnaît la grandeur d’âme de ceux qui se tuent par amour.
Si la Révolution dépénalise complètement le suicide en supprimant toute sanction contre le cadavre et toute confiscation de biens, elle ne l’approuve pas pour autant. Journaux, manuels et discours politiques le répètent : le citoyen doit conserver sa vie pour la patrie, et même les cas de sacrifices héroïques à l’armée sont diversement appréciés dans les clubs des sans-culottes. Robespierre est exécuté avec la mâchoire fracassée par le coup de pistolet avec lequel il a tenté de se donner la mort. Babeuf, qui a encore dans la poitrine le fer du couteau avec lequel il a tenté de se tuer.
 
« TOUS LES SUICIDÉS SONT DES ALIÉNÉS »
 
Avec le XIXe siècle, le suicide devient objet d’étude pour les nouvelles sciences : psychologie, psychiatrie, sociologie. Nous entrons dans l’ère de la statistique, qui permet des analyses plus objectives. Les différences nationales apparaissent, une géographie s’esquisse, qui montre une tendance suicidaire beaucoup plus forte dans les pays Scandinaves et en Europe centrale : vers 1850, le taux varie de 3,1 suicides pour cent mille habitants en Italie à 25,9 au Danemark.
L’augmentation globale des taux au cours du XIXe siècle est attribuée aux effets désagrégateurs de la révolution industrielle : affaiblissement des liens traditionnels, de la religion, émancipation de l’individu, dont l’isolement est croissant, importance des fluctuations économiques, misère ouvrière. Ajoutons pour la classe bourgeoise et l’élite intellectuelle la mode romantique, et les courants philosophiques du désespoir et du pessimisme de Schopenhauer ou de Kierkegaard. Les exemples de suicides célèbres ne manquent pas, de Gérard de Nerval à Frédéric Nietzsche, en passant par le général Boulanger, Guy de Maupassant. Pour l’ensemble de la France, le nombre annuel moyen de suicides passe de mille huit cent vingt-sept dans la période 1826-1830, à deux mille neuf cent trente et un dans les cinq années 1841- 1845, soit une augmentation de 70%, qui alarme les moralistes et explique en partie la prolifération d’ouvrages sur le sujet pendant la monarchie de Juillet.
 
Alors que la Renaissance et les Lumières avaient tenté de comprendre le suicide, d’y voir un acte tragique sans doute, mais n’ayant rien d’infamant en lui-même, le XIXe siècle reconstruit le mur de la honte. L’Église durcit sa position, en refusant à nouveau la sépulture ecclésiastique à « ceux qui se sont donné la mort de propos délibéré », comme le dit encore le Code de droit canon de 1917. La médecine elle-même contribue à faire du suicide une « maladie honteuse », due à une faiblesse d’esprit, contre laquelle elle prône un « traitement moral », à base de punition, comme le docteur Guislain par exemple, dans la première moitié du XIXe siècle : pour soigner les tempéraments suicidaires, il recommande des « sédatifs moraux » tels que la douche, le fauteuil de répression, l’isolement, les menaces, les atteintes à l’amour-propre.
Quant aux psychiatres, ils suivent l’avis d’Esquirol, qui écrit en 1838 : « L’homme n'attente à ses jours que dans le délire et tous les suicidés sont des aliénés. »
De quelque côté que l’on se tourne, le suicide est donc une tare honteuse ; et un tabou qu’il faut entourer de silence. Attentat contre Dieu, dépravation morale d’un esprit sans respect pour les valeurs établies, débilité mentale, fléau lié à l’anarchie libertaire et au matérialisme, ou à un excès de bigoterie, le suicide est refoulé avec les autres grands interdits sociaux.
 
L’apport de la sociologie
 
A partir du début du XXe siècle, des études d’esprit plus scientifique apparaissent. En 1897, Émile Durkheim publie sa grande étude sociologique sur Le Suicide, très documentée et dont les conclusions, bien que contestées, gardent une force explicative remarquable. Le suicide a pour lui des causes avant tout sociales, qui permettent de distinguer trois catégories :
 
1.              Le suicide anomique, qui relève de l’isolement de l’individu, détaché de son groupe d’origine ou sans appartenance forte ; il montrait ainsi que le suicide était plus fréquent chez les catholiques que chez les Juifs, et plus répandu chez les protestants que chez les catholiques ; de même, le suicide était plus le fait des célibataires que des pères et mères de famille ; enfin son taux s’élevait dans les sociétés politiques aux liens relâchés. Le suicide anomique, repérable dans les sociétés en crise où s’observent les ruptures de « solidarité organique ». La libération des forces économiques, les règles sauvages de la concurrence, l’exacerbation des ambitions, voilà autant de faits qui provoquent l’état chronique d’anomie dans le monde économique moderne, la crise n’en étant que le moment de surcharge. D’autre part Durkheim considère l’anomie conjugale, produite par le divorce, comme une des causes de la surmortalité masculine par suicide. Pour lui, « La religion a incontestablement sur le suicide une action prophylactique. ».
2.              Le suicide altruiste, dû à l’effacement de l’individu derrière une cause ou un groupe supérieur (martyrs chrétiens, pères de famille, militaires...).
3.              Le suicide fataliste, et qui intervient dans une situation bloquée, murée, sans perspective.
 
Cette théorie sociologique a été complétée en 1930 par Maurice Halbwachs qui, dans Les Causes du suicide, fait de la solitude le point commun de tous les types de suicide.
 
« DESTRUDO » CONTRE «LIBIDO»
 
En 1905, Sigmund Freud donne sa première explication du suicide comme retournement de l’agressivité contre le moi. En 1920, il y ajoute la théorie fort contestée de l’existence en chaque homme d’un instinct de mort, la destrudo, qui en certains cas prendrait le dessus sur l’instinct de vie, la libido.
 
Durkheim a négligé une dimension essentielle du suicide : son aspect psychique. Ainsi Mme Bovary, femme intégrée dans son milieu, est le contre-exemple type de la thèse de Durkheim, et pourtant, on le sait, Flaubert avait étudié un cas réel et s’était montré d’un réalisme total. Les grands modèles littéraires de suicide font appel à quelque chose de très profond qui est le désir de mort, que Durkheim a négligé et dont la psychanalyse peut rendre compte. L’homme est habité par la mort. Ce n’est pas un acte fou mais une actualisation de la pulsion de mort.
 
Le symbolisme sexuel s’étend jusqu’à la mort. « Le choix d'une forme de suicide révèle, dit Freud, cité dans Les Premiers psychanalystes (Gallimard, 1978), le symbolisme sexuel le plus primitif : un homme se tue avec un revolver, c'est-à- dire qu'il joue avec son pénis, ou bien il se pend, c'est-à-dire qu'il devient quelque chose qui pend de toute sa longueur ; la femme connaît trois façons de se suicider, sauter d'une fenêtre, se jeter dans l'eau, s'empoisonner. Sauter d'une fenêtre signifie accoucher, aller dans l'eau signifie donner naissance, s'empoisonner signifie grossesse, premièrement parce que la mère souffrant de nausée semble à l'enfant avoir été empoisonnée et deuxièmement parce que l'enfant croit qu'on conçoit les enfants en mangeant des aliments particuliers. Ainsi la femme remplit sa fonction sexuelle même en mourant. »
 
La thèse centrale formulée par Freud dans Deuil et mélancolie (PUF, 1988), publié en 1917, c’est que le suicide est une forme d’autopunition, un désir de mort dirigé contre autrui qui se retourne contre soi.
 
LA LIMITE ULTIME DE LA LIBERTÉ
 
En dépit de ces tentatives d’explication, le suicide reste une tare au niveau de la mentalité collective, et peut- être le dernier tabou des sociétés libérales avancées. Le XXe siècle a pourtant été fécond lui aussi en suicides illustres de personnalités extrêmement variées, dont la sortie de l’existence a été pleine de dignité, de Stefan Zweig à Henri de Montherlant, de Max Linder à Maïakovski. Pour tous, il s’agit d’un acte de liberté digne de respect.
Pour le législateur cependant, le suicide perturbe l’ordre social et sape la confiance en elle-même de la société. C’est pourquoi le sujet est l’un des derniers à être victime de la censure, comme l’a montré en 1987 l’interdiction de la brochure Suicide, mode d'emploi, et l’adoption d’une loi réprimant les écrits favorables à la mort volontaire et à l’euthanasie.
C’est que l’on atteint ici la limite ultime de la liberté humaine, qui la met hors de portée des pouvoirs, et cette limite, même les sociétés les plus permissives de notre fin de siècle se refusent à la franchir, car c’est leur existence même qui est en jeu. Si aujourd’hui sont acceptés les types sociaux, les attitudes et les conduites qui peuvent paraître les plus aberrants, à l’exception du suicide, c’est que chaque mort volontaire met en accusation la société et plus particulièrement ses responsables.