LES ÉTAPES DU TRAVAIL SUR UN TEXTE PHILOSOPHIQUE
• Lire le texte et dégager l'ordre des idées
Quelle que soit la méthode adoptée pour traiter le sujet-texte, deux choses sont absolument nécessaires :
- lire très soigneusement le texte ;
- en dégager l’ordre des idées (la structure du texte) et la thèse centrale.
Lire le texte
Les manières de lire varieront bien sûr selon chacun.
Nous conseillons cependant, dans un premier temps : de lire et relire plusieurs fois attentivement le texte dans son ensemble, sans chercher à l’annoter ni y rien souligner , de se demander à la fin de chaque lecture si l’on a bien compris la thèse centrale du texte, et si l’on est capable de se la reformuler à soi-même de manière claire, précise et concise.
On procèdera ensuite à une nouvelle lecture pour dégager l’ordre des idées. C’est alors qu il convient de souligner dans le texte les mots clés, les conjonctions, etc., et d’annoter le texte pour marquer ses grandes articulations.
Dégager l'ordre des idées et la thèse centrale
Il faut :
► Définir chacune des idées du texte, c’est-à-dire préciser leur contenu (ce qui est dit) et leur forme (comment cela est dit: sous la forme d’une interrogation, d une hypothèse , d un constat, d’une objection, d’un conseil, etc.).
► Déterminer le lien entre les idées. Un texte, par exemple, constate d'abord un fait, dont l’auteur cherche ensuite les raisons, l'explication.
► Dégager la thèse centrale du texte, celle dont dépendent logiquement les autres thèses.
On voit qu'il ne faut donc pas rester prisonnier de l’ordre superficiel du texte, mais découvrir l'ordre logique qui l'organise. On peut aussi bien exposer cet ordre en étudiant le texte de manière linéaire qu'en proposant un plan original.
• Exemple d'application
Soit le sujet suivant : « Dégagez l'intérêt philosophique de ce texte en procédant à son étude ordonnée. »
"Dans la glorification du « travail ». dans les infatigables discours sur la « bénédiction du travail », je vois la même arrière-pensée que dans les louanges adressées aux actes impersonnels et utiles à tous : à savoir la peur de tout ce qui est individuel. Au fond, on sent aujourd'hui, à la vue du travail - on vise toujours sous ce nom le dur labeur du matin au soir - qu'un tel travail constitue la meilleure des polices, qu'il tient chacun en bride et s'entend à entraver puissamment le développement de la raison, des désirs, du goût de l'indépendance. Car il consume une extraordinaire quantité de force nerveuse et la soustrait à la réflexion, à la méditation, à la rêverie, aux soucis, à l’amour et à la haine, il présente constamment à la vue un but mesquin et assure des satisfactions faciles et régulières. Ainsi une société où Ton travaille dur en permanence aura davantage de sécurité : et Ion adore aujourd'hui la sécurité comme la divinité suprême…"
Nietzsche, Aurores III, § 173 (Poitiers, série B, 1983).
Texte annoté
Dans la glorification du « travail », dans les infatigables discours sur la «bénédiction du travail ». je vois la même arrière-pensée que dans les louanges adressées aux actes impersonnels et utiles à tous : à savoir la peur de tout ce qui est individuel. Au fond, on sent aujourd'hui, à la vue du travail - on vise toujours sous ce nom le dur labeur du matin au soir - qu’un tel travail constitue la meilleure des polices, qu’il tient chacun en bride et s'entend à entraver puissamment le développement de la raison, des désirs, du goût de l'indépendance. Car il consume une extraordinaire quantité de force nerveuse et la soustrait à la réflexion, à la méditation, à la rêverie, aux soucis, à l'amour et à la haine, il présente constamment à la vue un but mesquin et assure des satisfactions faciles et régulières. Ainsi une société où l'on travaille dur en permanence aura davantage de sécurité : et l'on adore aujourd'hui la sécurité comme la divinité suprême…
Découpage du texte selon son ordre linéaire
Dans la glorification… « bénédiction du travail » : énoncé d’une constatation (on glorifie le travail).
je vois … individuel: comment l’auteur comprend cette glorification (peur de l’individuel).
Au fond… l’indépendance: explication de la thèse de l’auteur (le travail forme une sorte de police qui empêche les individus de réfléchir et de s’épanouir librement).
on vise toujours sous ce nom le dur labeur du matin au soir : rappel du type de travail dont on parle (il s’agit du travail épuisant et abrutissant).
Car il consume … régulières : poursuite de l’explication (le travail épuise la force nerveuse).
Ainsi une société … divinité suprême: conclusion de l’explication (empêchant les manifestations de la liberté individuelle, le travail assure la sécurité de la société).
Une présentation de l'ordre logique des idées du texte
Constat
On glorifie le travail : Dans la glorification du « travail », dans les infatigables discours sur la « bénédiction du travail », entendu comme le dur labeur du matin au soir.
Explication (je vois) de cette glorification (= thèse centrale)
Elle est fondée sur une arrière-pensée qui est la peur de tout ce qui est individuel et le désir social d’assurer avant toutes choses la sécurité.
Justification de cette thèse
- Constat: ce travail épuise la force nerveuse, et ainsi empêche le développement de la raison, des désirs, du goût de l’indépendance.
- Conséquence: ce travail constitue donc la meilleure des polices, tenant chacun en bride.
Autre présentation de l'ordre logique des idées
Un constat
On glorifie le « travail ».
Une précision essentielle: Le « travail » dont il est question ici n’est pas n’importe quel travail. Non pas le travail dans lequel l’homme se réalise, s’épanouit, mais explicitement le dur labeur du matin au soir, l’activité pénible et incessante.
Le jugement que certains portent sur ce type de travail
- Sa forme : infatigable discours (ironie).
- Son contenu manifeste : valorisation, quasi-sacralisation de ce travail (bénédiction).
Analyse critique de ce jugement
Forme de cette critique: Nietzsche soupçonne que la valorisation de ce travail a un sens caché, latent (cf. arrière-pensée, au fond).
Contenu de la critique (= thèse centrale). La sacralisation du travail masque à la fois :
- une dévalorisation de ce qui est individuel, dont on craint : la liberté (bride…),
l’intelligence (la raison, la réflexion, etc.), l’affectivité (les désirs, l'amour et la haine, etc.) ;
- une valorisation et même une sacralisation d'un certain ordre social (cf. police, sécurité).
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