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Les Cloches de Bâle de Louis ARAGON

Les Cloches de Bâle de Louis ARAGON, 1934, Folio.

• Avec ce roman, Aragon commence la chronique pleine de verve satirique et de chaleur que, sous le titre général de Le Monde réel, il a consacrée à la vie française au xxe siècle, illustrant ses convictions de militant communiste, mais débordant aussi par son vaste talent les limites étroites du roman à thèse. Dans ce premier volume, il exerce son ironie sur la société bourgeoise d’avant 1914 et commence de poser le problème de la transformation du monde au nom de la justice sociale. Les héroïnes y tiennent la place principale parce qu'il veut montrer comment la condition féminine reflète le caractère oppressif de l’ordre social traditionnel.

• Diane de Nettencourt, fille de hobereaux prétentieux et hypocrites, se trouve fort à l’aise dans les conventions de la bonne société des années 1900. Elle ne défend pas d’autre liberté que celle de ses caprices galants qu'elle sait d’ailleurs monnayer adroitement tout en ménageant les apparences et en poursuivant son ascension mondaine. Son mariage avec Georges Brunei, homme d’affaires aux activités obscures mais lucratives, lui assure un bel hôtel particulier et l'amitié de hauts fonctionnaires, d’officiers comme le général Dorsch, d’industriels comme le constructeur d’automobiles Wisner. C’est un joyeux tourbillon jusqu’au jour où le lieutenant Pierre de Sabran se suicide chez elle pour n’avoir pas pu payer les traites souscrites entre les mains de Brunel qui pratique l’usure. Le scandale ne peut être étouffé. Alors Diane, gardant l’hôtel, qui est à son nom, chasse son mari qui, sur les conseils de Wisner, son bailleur de tonds, entre dans la police. L’héroïne de la deuxième partie, Catherine Simonidzé, se révolte au contraire contre la condition féminine conventionnelle, et engage le lecteur dans une réflexion sur la libération de la femme et les injustices de la société. Catherine a souffert de la vie qu’a menée sa mère. Épouse d'un industriel géorgien, celle-ci a quitté Tiflis avec ses filles pour fuir le servage de la femme russe, mais elle a seulement connu, à San Remo, Baden-Baden ou Paris, la vie déclassée d’une cocotte, et reste asservie par la pension que lui verse son mari. Catherine ne veut pas pour cela retourner au conformisme bourgeois comme sa sœur qui a épousé le capitaine Mercurot. Elle exige d’abord la liberté de ses amours, mais rêve aussi de l’émancipation de la femme par la révolution socialiste. Témoin d’une grève dans le Jura, elle sympathise avec les luttes ouvrières contre la coalition des patrons, de l’Armée et de l’Église, ce qui la conduit à rompre avec l’un de ses amants, le capitaine Jean Thiébault, qui est instinctivement du côté de l’ordre. Inquiète et exaltée, elle se met à fréquenter les milieux anarchistes, mais continue de mener, sous couleur de liberté, une vie désordonnée qui n'est guère différente de celle de sa mère. Malade, dégoûtée de la vie, elle est sauvée du suicide par un chauffeur de taxi, Victor Dehaynin. Celui-ci donne son nom à la troisième partie du livre, où Catherine assiste à la grève des taxis en 1912. Victor lui explique la dignité du travail dont ses amis anarchistes lui avaient prêché le mépris, et lui révèle la clef de la liberté féminine : l'égalité devant le travail fondait la véritable égalité de l'homme et de la femme. La leçon du livre est fournie par le congrès international socialiste de Bâle en 1912. Jaurès y fait entendre, dans le son des cloches de la cathédrale, l’espoir de voir les peuples s’unir contre la guerre, et la militante allemande Clara Zetkin y personnifie la femme des temps modernes engagée dans les combats du socialisme.

• La femme moderne restera l’un des thèmes essentiels d'Aragon dans ses romans suivants, Les Beaux quartiers, Les Voyageurs de l’impériale, Aurélien, Les Communistes, qui conduisent le lecteur jusqu’à la faillite de la bourgeoisie française dans la débâcle de 1940.

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