L’émergence d’une justice pénale internationale permet de réprimer les crimes les plus révoltants
L’émergence d’une justice pénale internationale permet de réprimer les crimes les plus révoltants
L’émergence d’une justice pénale internationale est l’un des grands progrès de la fin du xxe siècle. Jusqu’alors, la souveraineté des États faisait obstacle au châtiment des auteurs des grands crimes définis par le droit international (crimes de guerre, contre la paix ou contre l’humanité, génocides), qui bénéficiaient, à quelques trop rares exceptions près, d’une impunité sans faille. Seules les juridictions de leur pays avaient, en pratique, la faculté de les punir. Or, les crimes internationaux étant dans la plupart des cas le produit d’une décision étatique, la poursuite des responsables restait exceptionnelle, d’autant que, même si les criminels ne conservaient plus les rênes du pouvoir, les efforts de « réconciliation nationale » prévalaient sur la nécessité de justice. La création de juridictions pénales internationales est venue bouleverser cet état de fait.
La progression lente mais sûre de la justice pénale internationale
La meilleure garantie contre l’impunité, contre les passions partisanes et une justice partiale consiste à supplanter les juridictions nationales en internationalisant les poursuites et le jugement des présumés grands criminels. Certes, l’idée n’est pas nouvelle. Le traité de Versailles de 1918 avait prévu le jugement de l’empereur allemand Guillaume II devant un tribunal interallié. Mais il a fallu attendre 1945 pour que soient créées les deux premières juridictions pénales internationales: les tribunaux militaires de Nuremberg et de Tokyo, chargés de poursuivre et de châtier les grands criminels de la Seconde Guerre mondiale. L’idée de justice internationale a fait alors un bond en avant car, pour la première fois, on définissait clairement les crimes de guerre, contre la paix et contre l’humanité. De même, de façon tout aussi inédite, les dirigeants d’un pays ne pouvaient plus s’abriter derrière l’immunité accordée traditionnellement par leur État.
Le mouvement s’est pourtant arrêté net. Même si, au sein de l’ONU, de nombreux travaux ont été menés pour créer une cour criminelle permanente, la Guerre froide a paralysé tout pas en avant et a garanti de facto l’impunité des auteurs de crimes internationaux (en Afrique du Sud, au Cambodge, au Tibet, etc.). L’écroulement du bloc soviétique a permis de faire évoluer la situation et les années 1990 ont progressivement tiré la justice pénale internationale de sa léthargie.
Pour réagir a posteriori aux tragédies yougoslaves (un demi-million de victimes, en Bosnie principalement) et rwandaises (huit cent mille personnes tuées) que la communauté internationale n’avait pas réussi à prévenir, le Conseil de sécurité de l’ONU a enfanté deux tribunaux « jumeaux », chargés de juger les violations les plus graves du droit humanitaire et de participer de la sorte au processus de retour à la paix : le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY, créé en 1993, siégeant à La Haye et dont la compétence s’étend aux crimes commis lors de la guerre au Kosovo en 1999) et le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPR ou tribunal d’Arusha, qui a vu le jour en 1994). Tant bien que mal, mais avec la coopération de moins en moins réticente des gouvernements, ces deux organes subsidiaires du Conseil de sécurité rendent la justice de façon indépendante et condamnent ceux qu’ils reconnaissent coupables de crimes internationaux, toute immunité leur étant refusée. L’inculpation en 1999 de Slobodan Milosevic, premier chef d’État en exercice à faire l’objet de poursuites judiciaires internationales, ainsi que sa livraison au TPIY en 2001 par les autorités serbes, prélude à son procès, ont attesté qu’une nouvelle page avait été tournée en matière de répression des crimes internationaux.
Une Cour pénale internationale entravée
L’expérience des deux tribunaux spéciaux a prouvé la viabilité d’une justice pénale internationale. Pour autant, leur compétence est limitée dans le temps et dans l’espace, et rien ne garantit que le Conseil de sécurité (organe politique au sein duquel cinq membres permanents ont un droit de veto) parviendra à créer de telles juridictions à chaque fois que nécessaire. Le poids de l’opinion publique internationale a alors poussé les gouvernements à négocier entre eux la création d’une juridiction criminelle, non plus ad hoc mais permanente afin d’avoir un effet dissuasif, compétente pour sanctionner au nom de l’humanité tout entière les crimes les plus révoltants. Convoquée par l’Assemblée générale des Nations unies, la conférence de Rome a accouché le 17 juillet 1998 du traité instituant la Cour pénale internationale (CPI).
L’adoption du statut de la CPI a marqué une réelle avancée de la justice internationale. Pourtant, le texte est le fruit de nombreux compromis et concessions réciproques entre États «souverainistes» et États « communautaristes ». Marqué par ce marchandage, et malgré le rôle actif des ONG (organisations non gouvernementales) lors des négociations, le traité comporte de nombreuses dispositions qui entravent la pleine efficacité de la Cour (principalement en matière de délimitation de sa compétence, ou en ce qui concerne la possibilité pour le Conseil de sécurité de suspendre provisoirement certaines actions de la Cour).
Mais surtout (sauf saisine par le Conseil de sécurité), la CPI n’est opposable qu’aux États ayant signé et ratifié le traité. Or la plupart des États peu scrupuleux en matière de respect des droits l’homme se sont abstenus ou ont voté contre le statut, suivant l’exemple donné par les États-Unis. Il faudra de plus attendre que soixante pays aient ratifié le traité (ce qui nécessite souvent une révision de leur Constitution) pour que la CPI puisse voir le jour. Fin 2001, ils étaient quarante-sept à l’avoir fait.
Le sursaut des tribunaux nationaux
Parallèlement à la création de juridictions internationales, la toute fin du xxe siècle a été marquée par un sursaut des tribunaux étatiques dans la répression des crimes internationaux. Jusqu’alors, les poursuites contre des dirigeants étrangers, même lorsqu’ils n’étaient plus au pouvoir, butaient contre le principe d’immunité.
L’affaire Pinochet a marqué une rupture. Les crimes que le général chilien avait commis au cours de sa dictature (1973-1990) n’avaient jamais été jugés. À l’occasion d’un séjour qu’il faisait en Angleterre pour raisons médicales, il fut procédé à son arrestation, à la demande du juge espagnol Baltasar Garzón. Après moult péripéties judiciaires, la Chambre des lords finit par lui refuser l’« immunité souveraine » dans sa décision du 24 mars 1999. Depuis, le principe de compétence universelle, permettant à des tribunaux étatiques de juger des crimes n’ayant aucun lien de rattachement avec leur juridiction, est de plus en plus souvent invoqué. La Belgique a, pour sa part, adopté une loi en permettant la pleine application, quitte à ce que sa diplomatie soit affectée par des plaintes déposées à l’encontre de dirigeants étrangers en fonctions (le Premier ministre israélien Ariel Sharon, par exemple). Une volonté politique de lutter contre l’impunité est donc bel et bien née et si l’immunité des dirigeants en exercice reste encore la règle, il est devenu moins probable que d’anciens dictateurs viennent se faire opérer en Europe...
Ce réveil des juridictions internes depuis l’affaire Pinochet, couplé à la création de la CPI qui, malgré ses défauts, représente une étape décisive sur le chemin de la justice pénale internationale, permet d’entrer dans le xxie siècle avec des armes - qui restent à aiguiser - pour assurer de façon effective la répression des crimes les plus révoltants.
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