LÉAUTAUD Paul
LÉAUTAUD Paul
1872-1956
Essayiste, né à Paris. Célibataire banlieusard, toujours entouré (comme jadis le dramaturge Crébillon) d’une cohue de chats et de chiens ramassés dans la rue - car il était très bon -, il fut pourtant le plus redouté des juges. Et jusqu’à son dernier souffle on se méfia du Journal littéraire (dix-neuf volumes) de ce critique trop exempt d’hypocrisie, trop indépendant. Et on peut relire avec délice cette brève confidence : Le Petit Ami (1903), ses Lettres à Marie Dormoy, posthumes, 1966, ou (publiée en 1900 !) son anthologie des Poètes d’aujourd’hui (avec Van Bever). D’autre part son célèbre Théâtre de Maurice Boissard (1926 et 1944) a inauguré une forme de critique dramatique très originale, en ce sens qu’il y parlait moins de la pièce et de son auteur que de lui-même ou de ses (très petites) affaires personnelles ; et ce, à la joie des lecteurs, qui en redemandèrent sans cesse. De ce jour, il imagina de tenir la critique pour une branche annexe de l’autobiographie ; persuadé —par le public lui-même - qu’ici le peintre Léautaud était bien le sujet véritable et ses modèles successifs de purs et simples prétextes. Au surplus, la verve féroce, à la radio en 1951, de ses Entretiens avec Robert Mallet (publiés la même année) justifie bien l’orgueil d’un pareil renversement des rôles. Sans doute, qui a lu les Entretiens sans avoir entendu la voix de l’auteur, à la radio, restera peu convaincu d’avoir affaire à un maître écrivain. Mais il semblera toujours à qui a connu cette voix - son timbre haut perché, son rire acide - qu’il les entend encore lorsqu’il lit (par exemple) le Théâtre dit de Maurice Boissard et, surtout, le Journal littéraire de cet homme singulier et, en définitive, attachant, qui ignora la contrainte mondaine, le snobisme et les «hommes en place à ménager ».
LÉAUTAUD Paul. Écrivain français. Né à Paris le 18 janvier 1872, mort à Verrières-le-Buisson (Essonne) le 22 février 1956. Né d’un père d’origine provençale, comédien, puis souffleur pendant vingt-trois ans à la Comédie-Française, en même temps que grand séducteur de dames vite abandonnées; et d’une mère qui fit partie de ces « compagnes temporaires » et quitta son nouveau-né cinq jours après sa délivrance (et le fils ne la reverra que de loin en... très loin, concevant pour elle un sentiment passablement ambigu). Ajoutons qu’à une prime enfance, livrée aux mains de nourrices et d’amies de rencontre du père, succède une émancipation précoce a l’extrême : dès ses cinq ans, le jeune Paul reçoit une clef du domicile paternel, afin qu’il puisse sortir et rentrer à son gré, dans leur quartier de Notre-Dame-de-Lorette. Il y a là suffisamment de données convergentes pour expliquer la formation d’une personnalité qui, au cours d’une longue existence de faux misanthrope, en fait, habitée par une sensibilité toujours en éveil, sera des plus singulières. Sa période de formation sera brève et simple : école communale à Courbevoie, amitié avec Adolphe van Bever et leur commun intérêt pour la poésie (symboliste, à l’époque), certificat d’études a quinze ans, puis divers emplois occasionnels, le plus durable le fixant dans l’étude d’un avoué. En fait, les grandes dates de sa vie sont toutes différentes : vers ses vingt ans, c’est la découverte de Stendhal — plus exactement d’Henry Beyle et d’Henry Brûlard — et, à la même époque, les débuts de son Journal, qu’il dit « littéraire », et rédige pendant soixante-trois ans, jusqu’à une semaine avant sa mort. Dans les premières années du siècle, les textes de ses débuts ont failli lui procurer le Prix Concourt. A partir de 1905, il se livre à des activités très intermittentes de critique dramatique (au Mercure de France , à la Nouvelle Revue Française, aux Nouvelles Littéraires) sous la signature de Maurice Boissard, mais se voit chaque fois vite remercié à cause de sa fantaisie et de son franc-parler. Cette activité lui permet de se libérer d’une partie de son hérédité paternelle : enfant, il lui arrivait de tenir compagnie à son père dans le trou du souffleur — ainsi que de ses propres velléités juvéniles de jouer la comédie. En 1908, il entre au Mercure de France en vague qualité de secrétaire général, grâce à 1’amitié que lui témoigne Alfred Vallette, et il tiendra cet emploi pendant trente-trois ans, dans un minuscule bureau qu’il appelle son « placard ». En 1911, il s'installe a Fontenay-aux-Roses, dans sa « baraque », qui deviendra un asile paradisiaque pour les chats et les chiens qu’il a adoptés et dont il fait sa compagnie constante — et c’est là encore une manière de répondre à quelque hérédité paternelle, le domicile de son enfance ayant toujours hébergé un grand nombre d’animaux domestiques aussi bien que de maîtresses ! A partir de 1914, une longue relation sexuelle avec une dame dite « le Fléau » va révéler un tout autre aspect de la vie à ce déjà vieux gamin, jusque-là épisodiquement engagé dans de rares amours, surtout sentimentales (Jeanne, Georgette, Blanche), qui ne lui avaient laissé que des regrets. Tels sont les jalons d’une première moitié d’existence — plus exactement d’une adolescence prolongée qui construisent son personnage. Tel qu’en lui-même, il devient désormais familier aux initiés, prestigieux même aux yeux d’une élite de lecteurs... Prestige qui s’accroît de décennie en décennie : pour aboutir, en 1950, grâce à une initiative de Robert Mallet, interviewer tenace, et par le retentissement que procure la Radiodiffusion, à une véritable popularité, insolite pour cet écrivain des plus rares mais doué d’une « présence » presque théâtrale par ses ricanements, sa verdeur et ses humeurs sarcastiques. Pour la dernière fois amoureux en 1953 (et de deux femmes à la fois !), Léautaud se réfugie un mois avant sa mort à la Vallée-aux-Loups, ancien domaine de Chateaubriand abritant une maison de repos : et il y mourra en dormant, à 84 ans. Si l’on a jugé utile de mentionner ces circonstances biographiques essentielles, c’est que Léautaud a fait de sa vie, et rien que de sa vie, la matière d’une œuvre limitée mais drue, et que ces circonstances ont définitivement conditionné une personnalité introvertie, apparemment cynique et désabusée, en fait d’une jeunesse et d’une fraîcheur constantes, marquées toutefois par la frustration initiale. La découverte d’Henry Beyle est capitale : non seulement elle aide Léautaud à se débarrasser de bonne heure de toute velléité poétique, ainsi que des camouflages stylistiques de l’époque (Jean de Tinan, les symbolistes), qui retiennent encore ses grands amis Paul Valéry et André Gide, mais elle le porte à écrire selon son humeur du moment, dans une prose directe et nerveuse, d’une économie toute classique, où l’anecdote et jusqu’au potin trouvent leur place, de préférence à ridée et au sentiment. Cette prose dont il est au demeurant perpétuellement insatisfait, bien qu’elle soit dès l’abord exemplaire, témoignera que tout, pour lui, est et demeure constamment rêverie... Si, pour la liquidation du symbolisme et des soucis de ses contemporains, il importe de citer sa première publication (en collaboration avec À. van Bever), Poètes d’aujourd’hui (1900), anthologie longtemps mémorable, son œuvre personnelle débute par trois textes d’un éclat mat mais durable : Le Petit ami (1903), reflet d’une amoralité adolescente dans les lieux de son passé, et surtout de la relation « d’amour », a la Stendhal, avec la mère à peine entrevue; In memoriam (1904), sur la mort du père, marque le début d’une longue confrontation avec le scandale de la mort, qui retiendra toujours Léautaud; enfin, Amours (1906), qu'inspire le souvenir d’une liaison ancienne, infiniment regrettée. Suivront, de loin en loin, d’autres pages, souvenirs « de basoche », « de ménagerie », « de villégiature », toujours marquées par la verve et l’humeur : elles seront recueillies dans Passe-temps (1929), puis dans Propos d’un jour (1947), chapitres d’une autobiographie dont le corpus se trouvera par la suite réuni dans les quarante-sept Entretiens avec Robert Mallet (1951) à la radio, et surtout dans l’imposant Journal littéraire publié à partir de 1954. A quoi il faut ajouter un Journal particulier (1956) relatif à une liaison avec « le Fléau », et d’autre part un recueil de Lettres (1929) à Paul Valéry, à Rémy de Gourmont, André Gide, etc., et surtout les Lettres à ma mère (1956), où il faut chercher la clef de cette personnalité littéraire hors du commun. La Correspondance générale (1878-1956) de Paul Léautaud a été réunie et publiée en 1972 par Marie Dormoy. Quant aux savoureuses chroniques dramatiques intermittentes de Maurice Boissard (entre 1905 et 1941), elles ont fait l’objet de deux recueils publiés en 1926 et en 1943 : Le Théâtre de Maurice Boissard.
♦ «Paul Léautaud est sans doute l’homme le plus libre de ce temps. » M. Jouhandeau. ♦ « Paul Léautaud est « vrai », aussi vrai que Montaigne. » R. Kemp. ♦ « Le plaisir est la poésie de Léautaud. » André Suarès. Léautaud ne vise jamais bas... Un «contemporain capital». » M. Nadeau. ♦ «Un classique comme il y en a eu dans notre XVIIIe siècle le plus intelligent et le plus sec. » H. Clouard.