Le Sud, dépotoir du Nord
Le Sud, dépotoir du Nord
Si l'exportation des déchets toxiques vers l'Afrique a fait la une des médias en 1988, il ne s'agit pas d'un phénomène nouveau: en octobre 1979, une firme chimique du Colorado proposait déjà 25 millions de dollars d'avance au président Siaka Stevens du Sierra Léone s'il l'autorisait à se débarrasser de ses déchets dangereux dans son pays. L'affaire ayant été ébruitée, S. Stevens dut rejeter cette proposition en février 1980. Des tentatives similaires furent faites à la même époque au Chili, aux Bahamas, à Haïti, au Libéria et au Sénégal.
En 1988, le phénomène s'est généralisé au-delà de l'Afrique, dans les pays latino-américains, Haïti, l'Inde et les îles Marshall. Ces îles en plein Pacifique sont sujettes aux inondations. Une société américaine a proposé d'y expédier 25 millions de tonnes de déchets sur cinq ans pour protéger les atolls des marées hautes, avec 56 millions de dollars à la clé. Or, ces déchets riches en métaux lourds et en composés chimiques dangereux risquent de contaminer le poisson et la vie marine et constituent une grave menace pour la population. Les pays d'Europe de l'Est ne sont pas épargnés: en juin 1988, Ilie Vaduva, ministre roumain du Commerce extérieur, a été démis de ses fonctions pour avoir permis l'importation en Roumanie de 800 tonnes de déchets chimiques italiens.
Mais c'est l'Afrique qui demeure la cible de choix des trafiquants et les médias ont relaté longuement les odyssées de ces vaisseaux chargés de déchets toxiques tels le Karin B, le Banya, le Zanobia ou le Felicia (alias Khian Sea), refoulés de port en port. En novembre 1988, le mouvement écologiste Greenpeace a annoncé à Bruxelles que les pays industrialisés avaient envoyé plus de cent cargos chargés de 3,6 millions de tonnes de déchets vers le tiers monde et l'Europe de l'Est au cours des deux années précédentes. Derrière ce trafic, l'armée des courtiers en déchets toxiques opère à partir de pays complaisants, servant d'intermédiaires entre les firmes occidentales et les compagnies ou les gouvernements du tiers monde.
Au début des années quatre-vingt, leurs opérations n'intéressaient que le marché américain du fait de l'entrée en vigueur d'une législation très stricte sur les déchets ; il s'est étendu par la suite aux pays européens. Les prix pratiqués en Afrique pour le stockage sont de l'ordre de 40 dollars la tonne alors qu'en Europe et aux États-Unis ils sont cinq à vingt-cinq fois plus élevés à cause des précautions imposées pour la protection de l'environnement. Ainsi, l'entreposage de 15 000 tonnes de cendres toxiques américaines sur l'île de Kassa en Guinée aurait pu rapporter à ce pays 140 millions de dollars, soit bien plus que son PNB annuel.
Outre l'exportation des déchets, des courtiers américains ont proposé de construire sur les îles Solomon et en Guyane des incinérateurs géants pour brûler les produits les plus dangereux ; de telles installations sont en effet très surveillées dans les pays industrialisés alors que, dans les pays "sous-développés", ces contrôles sont pratiquement inexistants. Malheureusement, ces pays courent des risques importants en cas de stockage inadéquat.
En 1986, les chefs de gouvernement africains réunis au Caire ont demandé au Programme des Nations unies pour l'environnement (PNUE) de préparer un traité international sur l'exportation des déchets toxiques. Le Conseil des ministres de l'Organisation de l'unité africaine (OUA) réuni à Addis-Abéba en mai 1988 a déclaré que "le déversement des déchets nucléaires et industriels en Afrique est un crime contre l'Afrique et les populations africaines" et a condamné les multinationales impliquées dans ces déversements en les sommant de "procéder au nettoyage des zones qu'elles ont ainsi polluées". Enfin, l'OUA a invité ses membres à dénoncer tous les contrats de stockage existants. La convention de Bâle signée en mars 1989 n'interdit pas l'exportation de ces déchets mais exige de l'exportateur une notification préalable écrite au pays d'accueil qui devra, à son tour, donner son accord écrit, faute de quoi la transaction sera illicite. Dans ce cas, les déchets devront être retournés à l'expéditeur ou traités sur place à ses frais. Encore faut-il que le pays concerné ait les installations adéquates!
Mais aucune convention internationale ne saurait pallier le manque de démocratie. Un trafiquant n'a-t-il pas déclaré à Jeune Afrique: "Il n'y a que dans les pays à régimes dictatoriaux que l'on peut faire passer aussi facilement des projets comme le mien."
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