Le Rouge et le Noir, Chronique de 1830 de STENDHAL, 1830, Le Livre de poche
Stendhal a conçu ce roman à partir d'un fait divers, l'affaire Berthet, relatée dans la Gazette des Tribunaux en décembre 1827. Antoine Berthet était un ancien séminariste, devenu précepteur, qui venait d'être guillotiné pour avoir tiré deux coups de pistolet sur la femme d'un notable, Mme Michaud, qui avait été sa maîtresse. L'action du roman commence à Verrières, ville fictive du Jura, sous la Restauration. Fils d'un charpentier pauvre, Julien Sorel est remarqué pour son intelligence par le curé de Verrières, l'abbé Chélan, qui l'aide à s'instruire, puis le recommande à M. de Rénal, le maire de la ville, qui cherche un précepteur pour ses enfants. Julien, qui admire Napoléon, s'en cache soigneusement, car la restauration de l'ancien ordre monarchique et religieux est rigoureuse. Quelques années plus tôt, il serait entré dans l'Armée. Maintenant, si l'on est ambitieux, il faut choisir la carrière ecclésiastique, car le clergé est devenu tout-puissant. Le titre du roman est sans doute une allusion à ces deux voies de l'ambition. Julien est décidé à s'engager dans la seconde, en s'obligeant à l'hypocrisie nécessaire. Tout est pour lui exercice de sa volonté. Parce qu'il est intimidé autant qu'attiré par Mme de Rénal, la mère de ses élèves, il s'impose de la séduire. Cette jeune femme qui s'ennuie n'est pas insensible à son charme et à son audace. Elle lui cède. Julien, dénoncé à M. de Rénal, doit s'éloigner avant que le scandale n'éclate. Il entre alors au séminaire de Besançon où il doute de son avenir parmi les intrigues qui opposent les membres de la Congrégation aux prêtres suspects de jansénisme comme l'abbé Pirard. Il étouffe dans cette atmosphère et se voit proposer avec joie un emploi de secrétaire, à Paris, auprès du marquis de la Mole. Dans le salon de la marquise, il côtoie de jeunes aristocrates vaniteux et nuis, comme le comte Norbert, leur fils. Leur fille Mathilde, qui méprise son milieu et admire l'énergie par nostalgie des moeurs de la Renaissance, se plaît à mettre à l'épreuve l'orgueil de Julien. Lui-même se fixe pour tâche de la conquérir. Il y réussit, et M. de la Mole va se résigner à laisser sa fille épouser ce roturier auquel on a procuré un brevet de lieutenant quand une lettre dictée à Mme de Rénal par son confesseur vient dénoncer Julien comme un simple séducteur ambitieux. Profondément offensé, Julien part pour Verrières et tire deux coups de pistolet sur Mme de Rénal, à l'église, pendant la messe. En prison, toute ambition abdiquée, il s'abandonne au bonheur d'aimer Mme de Rénal qui, au mépris de toute convenance, est venue lui avouer la fidélité de son amour et lui rend visite chaque jour. Ni Mme de Rénal, ni Mathilde de la Mole, accourue pour le défendre, ne peuvent le sauver de la guillotine. Imitant un geste cité dans une chronique du xvie siècle, Mathilde emporte la tête de son amant pour l'ensevelir elle-même. Mme de Rénal meurt trois jours après Julien en embrassant ses enfants. On lira Le Rouge et le Noir comme l'histoire imaginaire d'une quête du bonheur où s'expriment des passions et des tentations typiquement stendha-liennes - ambition, goût de l'énergie, recherche de l'amour, rêve d'un libre abandon à la sensibilité -, tandis que la satire de la société vient dénoncer tout ce qui rend malheureusement le bonheur impossible.
Contexte
Ce roman d'apprentissage s'inspire d'un fait divers retracé par la Gazette des Tribunaux de la dernière semaine de décembre 1827. L'on y mentionnait le procès d'Antoine Berthet, jeune homme de basse condition, jugé pour tentative de meurtre sur sa maîtresse. Il avait été le précepteur de ses enfants.
Le héros de cette chronique du XIXe siècle, chef-d'oeuvre de Stendhal, ne peut envisager son ascension sociale qu'en prenant la soutane (le noir) : les temps héroïques de l'Empire étant révolus, il ne fera pas carrière dans l'armée (le rouge). Julien ne réussit pas et tentera d'assassiner sa maîtresse Mme de Rénal. Stendhal trace une destinée individuelle caractéristique d'une génération et peint un tableau social sombre.
Principaux personnages
- Julien Sorel, personnage ambitieux et orgueilleux ;
- Mme de Rénal ;
- M. de Rénal ;
- Mathilde de La Mole ;
- le curé Chélan.
Résumé
A sa sortie du séminaire, le jeune Julien Sorel est engagé par M. de Rénal comme précepteur de ses enfants. Il est immédiatement ébloui par la beauté et la sentimentalité de Mme de Rénal. Insensiblement, elle tombe amoureuse de lui et devient sa maîtresse. Un jour, M. de Rénal reçoit une lettre anonyme dénonçant la liaison de sa femme avec le jeune homme. Il n'y croit pas, mais décide quand même de se séparer de Julien. Le jeune homme retourne au séminaire, avant de devenir le secrétaire du marquis de La Mole, à Paris. Sur le plan social, ses ambitions semblent comblées. Mais il va vivre une passion tumultueuse avec Mathilde, la fille du marquis. Alors que celle-ci attend un enfant de lui, il tente de séduire Mme de Fervaques, une personne très en vue. Mathilde, décidée à devenir la femme de Julien, informe son père qu'elle est enceinte du jeune homme. Le marquis consent d'abord au mariage mais, renseignements pris auprès de Mme de Rénal, révèle à sa fille que Julien ne l'a séduite que pour accéder à la fortune. Quand il apprend que Mme de Rénal l'a accablé dans une lettre, Julien se rend à Verrières et tire sur elle deux coups de pistolet. En prison, le curé Chélan et les deux femmes lui rendent visite, cherchant à le sauver de la peine capitale. Mais il est exécuté et Mme de Rénal meurt de douleur quelques jours après son enterrement.
Résumé
Sorti du séminaire, Julien Sorel, jeune homme ambitieux, instruit par de nombreuses lectures et nourri des rêves napoléoniens, devient précepteur des enfants du maire de Verrières, monsieur de Rénal.
Il voit rapidement dans l'attachement et l'admiration que lui porte la belle madame de Rénal un moyen de s'élever au-dessus de sa condition sociale et la cour qu'il entreprend, telle un devoir, ressemble quelque peu à une stratégie militaire. La jeune femme, séduite par son attitude un peu gauche, parfois ombrageuse, et son romantisme, en tombe amoureuse.
Certains esprits malveillants s'empressent de faire naître dans l'esprit de monsieur de Rénal des soupçons quelque peu justifiés; celui-ci décide d'éloigner Julien en l'envoyant au séminaire de Besançon et son épouse, saisie de remords dictés par son éducation religieuse, appuie son projet.
A Besançon, le directeur du séminaire met Julien en rapport avec le marquis de la Mole qui l'engage comme secrétaire. Le jeune homme laisse un instant sa nouvelle vie pour aller faire ses adieux à madame de Rénal envers laquelle il éprouve de tendres sentiments. Après quelque résistance, celle-ci s'abandonne à lui.
A Paris, Julien Sorel conquiert rapidement l'estime du marquis et du beau monde par son énergie et sa culture. Lorsqu'il aperçoit pour la première fois Mathilde de la Mole, la fille adulée du marquis, il ressent une certaine aversion pour son type de beauté. Mais la jeune fille, lassée de ses relations aristocratiques, décide de le conquérir. Commence alors une relation des plus mouvementées où passion et haine se mêlent. Cette seconde liaison, bien plus que la première, est teintée d'arrivisme et Julien, considérant sa conquête comme une victoire sociale, ressent par le fait même une aversion profonde envers la classe à laquelle elle appartient.
Lorsque Mathilde découvre qu'elle est enceinte, elle en fait part à son père. Après avoir réagi de manière violente, le marquis décide d'en prendre son parti et de doter richement et d'ennoblir son futur gendre.
Dans un accès de remords et de jalousie, madame de Rénal envoie une lettre au marquis dans laquelle elle dépeint son ancien amant comme un vil séducteur; la réaction du jeune homme, mis au courant, est extrême : il part sur le champs pour Verrières et, dans l'église, au moment de l'élévation, il tire deux coups de feu sur celle qu'il a aimée. Elle ne sera que blessée.
En prison, Julien Sorel reçoit plusieurs visites dont Mathilde qui s'acharne à le faire libérer, et madame de Rénal dont l'amour toujours vivace lui a dicté le pardon. Si Julien reste indifférent devant la fougueuse Mathilde, les accents de madame de Rénal résonnent en lui comme une ultime passion. Cependant conscient de l'acte qu'il a posé, il attend le verdict, refusant d'aller en appel. Il sera décapité.
Dans la voiture qui suit le cortège funèbre, Mathilde de la Mole, réitérant le geste de Marguerite de Navarre envers un de ses ancêtres, tient sur ses genoux la tête du condamné. Quant à madame de Rénal, bien qu'elle n'ait pas tenté de se suicider, elle meurt trois jours après, en embrassant ses enfants.
Pistes de lecture
Carrière militaire et carrière littéraire
Henri Beyle est né à Grenoble en 1783. La disparition de sa mère, alors qu'il n'a que sept ans, l'affecte profondément. Il ressentira par la suite une rancœur certaine envers son milieu familial dont il rejette les idées politiques et religieuses, ainsi que le décor provincial.
Il quitte au plus tôt sa ville natale pour Paris (1799) sous prétexte de présenter le concours de polytechnique. Engagé comme sous-lieutenant dans l'armée d'Italie, puis comme officier d'intendance, il découvre la péninsule qui devient sa patrie de prédilection, alternant les séjours dans la capitale française et dans les villes italiennes. En 1808, il mène une existence mondaine à Paris avant de suivre l'armée napoléonienne en Russie (1812).
Après la chute de Napoléon, il se lance dans la carrière littéraire, tout en vivant différentes intrigues amoureuses. Ses premières œuvres sont des ouvrages de critique, essais et compilations: Vie de Haydn, Vie de Mozart (1814), Vie de Napoléon (1816), Histoire de la peinture en Italie (1817), qu'il signe du pseudonyme de Stendhal (de Stendal, petite ville allemande), De l'Amour (1822). 1827 voit la parution de son premier roman, Armance, suivi quelques années plus tard de son chef-d'œuvre, Le Rouge et le Noir (1830), accueilli par la plus parfaite incompréhension.
Nommé consul à Trieste puis à Civita-Vecchia, Stendhal continue cependant à mener une activité littéraire intense : Lucien Leuwen, Souvenirs d'égotisme sont rédigés durant ces années ainsi qu'un second chef-d'œuvre, écrit en moins de deux mois : La Chartreuse de Parme (1839), confession poétique dans laquelle l'auteur, au sommet de sa maîtrise artistique, a mis le meilleur de lui-même. C'est en 1842 qu'il s'éteint, frappé d'une crise d'apoplexie.
Trois interprétations pour un titre
Le Rouge et le Noir est incontestablement l'œuvre de littérature classique dont le titre souleva le plus d'interrogations. De nombreuses études furent consacrées à cette question. Le Rouge et le Noir est, contrairement à bien d'autres, un titre non explicite, que les philologues ont tenté d'éclairer par trois interprétations : la première le rapproche des couleurs du jeu de la roulette. Les deux autres explications, plus élaborées, privilégient le symbole : le rouge est la couleur de l'habit militaire, le noir, celle de la carrière ecclésiastique, deux chemins potentiels du personnage principal, Julien Sorel. Mais le rouge est également la couleur du sang versé par le crime, et celle de la mort qui clôture le roman, tandis que le noir reflète l'état sombre de la France depuis 1815.
Quand le fait-divers engendre le chef-d'œuvre
Tout comme Madame Bovary de Flaubert, Le Rouge et le Noir tire son origine d'un fait-divers. Stendhal, fervent lecteur de la Gazette des Tribunaux, fut vivement impressionné par le compte rendu d'un procès en cours, celui d'Antoine Berthet. Lorsqu'il rédigea le manuscrit qui devait au départ s'intituler Julien, Stendhal ne modifia que très peu les données réelles. Cependant, le fait-divers sordide, inséré dans une structure étudiée, dans une atmosphère décrite avec minutie et, surtout, centré sur un personnage psychologiquement très développé, se mue en chef-d'œuvre littéraire. C'est au fond de lui-même que l'auteur alla chercher les caractéristiques principales de Julien Sorel, lui faisant accomplir un périple qu'il aurait pu vivre lui-même.
Julien Sorel : le revirement d'un « enfant du siècle »
La personnalité du héros est extrêmement complexe. Sa jeunesse, ses origines modestes, son instruction et son ambition le poussent à rejeter ce qu'il appelle la médiocrité et à désirer s'élever dans l'échelle sociale. Tout comme Rastignac dans Le Père Goriot, il convoite les privilèges des grands. Le roman s'attache en effet à décrire sa remarquable ascension.
Cependant, l'hypocrisie inhérente à cet arrivisme va à rencontre de sa nature véritable et cet antagonisme précipite le drame; Julien, au faîte de sa réussite, commet un «crime» social — dans la mesure où il rejette le portrait cynique que la société a dressé de lui-même — et un acte éminemment romantique.
Cet acte fou est suivi d'un face-à-face poignant du héros avec lui-même : « Je me ferais fort malheureux si je me livrais à quelque lâcheté. » En perdant socialement tout, Julien Sorel, du fond de sa cellule, a regagné sa propre estime.
Liens utiles
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