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Le problème de la vérité dans les sciences

Dans les sciences de la nature, l’accord de la pensée et de la réalité peut être vérifié expérimentalement. Le critère de la. vérité est donc indépendant de la réflexion philosophique. En revanche, en mathématiques, le chercheur ne peut procéder à aucune expérience lui permettant de confronter ses découvertes avec la réalité des choses. La vérité des mathématiques est purement formelle, elle ne- représente jamais que l’accord de la pensée avec elle-même. De plus, à l’origine de toute démonstration, il y a des notions ou des propositions qui restent indémontrées et indémontrables. Les mathématiques reposent donc sur des fondements qui, à leur tour, ne peuvent être fondés. Cette angoisse de l’incertitude des fondements questionne le philosophe.

I. — Mémoire et -vérité

A. Le vrai est consigné dans la mémoire

Dans "Les maîtres de vérité" le sociologue de la religion Marcel Detienne montre que la représentation que se fait l'homme de la vérité change en même temps que la vie matérielle, sociale et spirituelle. Dans notre « civilisation scientifique» l'idée de vérité « appelle aussitôt celles d'objectivité, de communicabilité, d'unité ». Elle est aussi inséparable des idées de démonstration, de vérification, d'expérimentation. Or, dans la Grèce archaïque, par exemple, entre le XIIe et le Xe siècle av. J.-C., à une époque où la civilisation est fondée non sur l'écriture mais sur les traditions orales, la «Vérité» tient « une tout autre place» que dans notre système actuel de pensée. La Vérité se dit alors Alétheia, elle est une «Vérité» «assertorique» que nul ne conteste ou ne démontre : «Alétheia n'est pas l'accord de la proposition et de son objet, pas davantage l'accord d'un jugement avec les autres jugements, elle ne s'oppose pas au« mensonge»; il n'y a pas le« vrai» en face du «faux». La seule opposition significative est celle d'Alétheia et de Léthé. » A-Létheia signifie non-oubli. C'est donc la mémoire qui définit le mieux la Vérité. Véritablement «sacralisée», la mémoire est alors élevée au rang d'une divinité. Seuls quelques initiés, « des groupements d'hommes organisés en confréries», les « poètes», les «devins», les «rois de justice», ont le privilège de la posséder et la charge de la conserver. Mais cette mémoiren'est pas le pouvoir de se remémorer un passé temporel, elle n'est que le souvenir du temps primordial de la création. Or ce temps n'est pas passé, disparu, mais il est là : « Le passé est partie intégrante du cosmos, l'explorer c'est découvrir ce qui se dissimule dans les profondeurs de l'être. L'histoire que chante la mémoire est un déchiffrement de l'invisible, une géographie du surnaturel. » La mémoire est donc, selon Detienne, ce qui permet « d'entrer en contact avec l'autre monde», de « déchiffrer l'invisible», elle est « une omniscience de caractère divinatoire», elle se définit comme le savoir de « ce qui est, ce qui sera, ce qui fut». La mémoire est donc une accession directe à la Vérité. Ainsi, par exemple, le poète Hésiode est « l'inspiré des Muses», son chant est « l'hymne merveilleux que les déesses lui ont fait entendre», ce beau chant raconte les premières origines, c'est-à-dire la Vérité. Aussi, «comme le devin-prophète», Hésiode peut-il se vanter «de révéler les « desseins de Zeus». La Vérité est donc, à cette époque, consignée dans la mémoire et celle-ci est dévolue au poète inspiré, au devin, au roi de justice, c'est-à-dire à des «maîtres de vérité».

B. La découverte de la vérité comme éveil d'un souvenir endormi dans l'âme

Dès qu'il apparaît, le philosophe prend la relève des poètes, des devins ou des rois de justice. Comme eux, le philosophe se veut maître de vérité. Mais cette vérité ne se veut plus religieuse mais rationnelle. Ainsi, Platon fondant l'Académie choisit-il d'écrire au fronton : « Que nul n'entre ici s'il n'est géomètre. » La pensée de Platon est, en effet, imprégnée de considérations scientifiques. C'est en réfléchissant, en particulier, sur les mathématiques que Platon revient sur sa théorie de la connaissance. Ainsi, dit-il, en mathématiques, il convient de distinguer deux carrés. Le premier est celui qu'on trace, c'est-à-dire la figure du carré. Mais cette figure n'est pas un vrai carré puisque, par définition, les points, les lignes sont sans dimensions et donc intraçables. Toute représentation sensible du carré ne peut donc qu'être une ébauche matérielle grossière. Il faut donc préférer au «pseudo-carré», au « simulacre menteur» du carré, le vrai carré, c'est-à-dire le Carré en soi, le Carré intelligible, le concept de carré qui se définit par ses propriétés (quatre angles droits, quatre côtés égaux). Or ce second Carré existe, nous dit Platon. Il existe dans un monde supra-sensible au côté d'une multitude d'autres Idées immuables et éternelles, comme celles de l'Homme en soi, du Triangle en soi, de la Vertu . en soi... Il y a donc, d'une part, le monde sensible, mouvant, en perpétuel devenir, qui n'est qu'une copie imparfaite, une image affaiblie et trompeuse de la Réalité - et, d'autre part, le monde intelligible, immuable, éternel, qui est le Modèle immatériel, la Réalité pure, l'objet de la connaissance certaine. Ainsi, la Vérité se situe, pour Platon, dans un lieu supra-sensible et seul peut l'atteindre le sage ou le philosophe, c'est-à-dire celui qui n'est pas rivé au sensible. Si le philosophe est « maître de vérité», c'est parce que son âme est libre et qu'elle a donc conservé la mémoire des Idées dont elle a eu, autrefois, connaissance dans le Monde des Idées. Pour Platon, la réincarnation de l'âme dans un corps est une véritable chute qui se traduit pour la plupart d'entre nous par la perte du savoir sous la forme de l'oubli. Si nous sommes étrangers à nous-mêmes, c'est parce que notre âme manque de ce vrai savoir qui était autrefois son lot. Notre libération ne peut donc -s'effectuer que par la mémoire sous la forme de la réminiscence. Le « maître de vérité», le philosophe a pour tâche d'aider l'intelligence du disciple comme la sage-femme « aide la nature». Dans l'exemple illustre du "Ménon", nous voyons Socrate faisant accoucher un esclave illettré de la science géométrique. Pour cela, il purifie d'abord l'âme de l'esclave de sa fausse science. Ensuite, par une série de questions, il amène l'interlocuteur à découvrir de lui-même la vérité qu'il avait oubliée. Ce procédé est la maïeutique ou l'« art d'accoucher les esprits» de la Vérité dont ils sont intérieurement gros. Socrate est un accoucheur d'âme : il libère l'âme d'un savoir dont elle était porteuse sans savoir qu'elle le portait. Ainsi, pour les Grecs, la Vérité est toujours déjà là, nous l'avons toujours déjà connue. L'ignorance est dans l'oubli et l'oubli, c'est l'aliénation de notre nature. Aussi, retrouver la mémoire est-il salvateur.

II. — La vérité se construit-elle?

A. L’évidence instantanée comme critère de vérité

Pour Descartes, tout ce qui est fondé sur la mémoire est douteux. Celle-ci nous trompe, nous abuse en ce qu’elle nous fait croire que nous savons quelque chose. Pour rechercher la vérité il faut, dit Descartes, considérer comme, absolument faux « tout ce en quoi je pourrais imaginer le moindre doute». Ainsi parce que nos sens nous trompent parfois, alors je suppose que nos sens nous trompent toujours : rien n’est tel que nos sens nous le font imaginer. Et comme il y a des hommes qui se trompent sur des raisonnements qui n’ont rien à voir avec les sens, alors je rejette « comme fausses toutes . les raisons que j’avais prises auparavant pour démonstrations». Et enfin, je feins de croire que toutes les choses qui sont entrées dans mon esprit sont de même nature que les illusions de mes songes. Mais aussitôt après, je remarque que pendant que je voulais ainsi penser que tout était faux, il fallait nécessairement que Moi qui pensais cela «fosse quelque chose». D’où : «Je pense donc je suis.» Puis j’examine ce que je suis et je vois : 1) je peux croire n’avoir point de corps; 2) je peux croire qu’il n’y a pas de monde; 3) je peux pas croire que je ne suis dans aucun lieu. Mais je ne peux pas croire ou imaginer que je ne suis pas. Et au contraire de cela, parce que je doute de la. vérité des autres choses, il est évident que je suis. Mais que .suis-je? Je suis «une substance dont toute l'essence ou la nature n’est que de penser» et donc qui n’a pas besoin de lieu et qui ne dépend d’aucune chose matérielle. Le Moi, c’est-à-dire l’âme par laquelle je suis ce que je suis, est entièrement distincte du corps. En outre, si je n’avais pas de corps, mon âme ne cesserait pas d’être pour autant. Après cela, je pose la question: qu’est-ce qui est requis pour qu’une proposition soit vraie? Je viens de trouver une proposition vraie, mais en quoi consiste cette certitude? Rien ne m’assure que le «je pense donc je suis» soit une proposition vraie, sinon que « pour penser il faut être». Alors je prends pour critère de la vérité des choses l’évidence instantanée : «Les choses que nous concevons fort clairement et fort distinctement sont toutes vraies. » Ainsi, pour Descartes, la vérité a pour modèle métaphysique l'idée claire telle que nous l'expérimentons dans le « cogito» : « Je pense, je suis. » La vérité a pour signe infaillible l'évidence.

B. La vérité et les quatre principes ou règles de la méthode

Pour Descartes, « le bon sens est la chose du monde la mieux partagée», autrement dit, tout homme se définit par la capacité de distinguer le vrai du faux. Mais, « ce n'est pas assez d'avoir l'esprit bon, le tout est de l'appliquer bien». En effet, si l'entendement comprend, il n'en reste pas moins passif. C'est seulement la volonté qui affirme ou nie la vérité d'une proposition. Or on peut faire un usage plus ou moins bon de la volonté. D'où la nécessité d'une méthode pour bien conduire sa raison, c'est-à-dire pour la discipliner, la maîtriser. Il faut augmenter par degrés, notre connaissance, éviter la précipitation, suivre un ordre : « Toute la méthode consiste dans l'ordre. » Le "Discours de la méthode" est donc le discours des ordres d'opération qu'il convient d'employer pour chercher la vérité dans les sciences. La première règle recommande de « ne jamais recevoir aucune chose pour vraie, que je ne la connusse évidemment être telle : c'est-à-dire d'éviter soigneusement la précipitation et la prévention et de ne comprendre rien de plus en mes jugements que ce qui se présenterait si clairement et si distinctement à mon esprit que je n'eusse aucune occasion de le mettre en doute ». Cette règle affirme que l'évidence est le critère de la vérité et que seules les choses que je puis concevoir clairement et distinctement peuvent être considérées comme vraies. Mais qu'est-ce que la clarté et la distinction? Descartes l'enseigne dans les "Règles pour la direction de l'esprit". Les choses claires et distinctes sont celles dont les notions sont « si simples que l'esprit ne peut les diviser en d'autres notions plus simples : telles sont la figure, l'étendue, le mouvement, etc. Nous concevons toutes les autres comme étant en quelque sorte composées de celles-ci». Ces notions simples et indécomposables nous les connaissons par intuition. Celle-ci est la « conception d'un esprit attentif, si distincte et si claire qu'il -ne lui reste aucun doute sur ce qu'il conçoit». C'est ainsi que chacun peut voir instinctivement qu'il existe, qu'il pense, qu'un triangle est terminé par trois lignes, ni plus ni moins... Ainsi est établie l'unité de la science : en toutes choses, se trouvent de ces éléments simples ou principes connus par intuition. Ainsi sont fixés le point de départ et le but de toute recherche scientifique : la science part de principes évidents par eux-mêmes et a pour but d'en déduire les choses les plus complexes. La deuxième règle est celle de l'analyse. Il s'agit, dit Descartes, de « diviser chacune des difficultés que j'examinerais, en autant de parcelles qu'il se pourrait et qu'il serait requis pour les mieux résoudre». Autrement dit, partant d'un tout complexe, je le décompose jusqu'à ce que je parvienne aux éléments simples et irréductibles qui en sont les véritables constituants et les principes. De la même façon, pour résoudre une question donnée, nous devons ramener la difficulté à une question plus simple et ainsi de suite jusqu'à la découverte des notions élémentaires qui y sont engagées. Ainsi, par exemple, dans l'analyse mathématique, on pose une série d'égalités ou d'inégalités, autrement dit, on exprime algébriquement les éléments simples de la figure géométrique; puis par la voie algébrique, on résout le problème et on lui -redonne son sens géométrique. Parvenu à ces éléments indécomposables, l'esprit suit une marche inverse de la précédente. Procédant par ordre, il s'élève peu à peu du simple au complexe. Autrement dit, des principes, il revient aux- conséquences, des éléments aux composés. C'est ce qu'exprime la troisième règle de la méthode: « Conduire par ordre mes pensées en commençant par les objets les plus simples et les plus aisés à connaître, pour monter peu à peu, comme par degrés, jusqu'à la connaissance des plus composés; et supposant même de l'ordre entre ceux qui ne se précèdent point naturellement les uns les autres ». Reste la quatrième règle : « Faire partout des dénombrements si entiers, et des revues si générales, que je fusse assuré de ne rien omettre. » Il s'agit de la récapitulation. En résumé, la méthode cartésienne consiste à décomposer les choses en leurs éléments simples dont la vérité est reconnue intuitivement, puis à l'aide de ces éléments à recomposer les choses par une déduction qui va de propositions évidentes en propositions évidentes. Enfin, il ne reste plus qu'à combler les lacunes éventuelles.

C. La méthode ne prend sens qu’après la découverte de la vérité

En fait, la méthode - de Descartes est extraite des mathématiques. C'est parce que seules les mathématiques trouvent quelque grâce à ses yeux, « à cause de la certitude et de l'évidence de leurs raisons », que Descartes tente de mettre au jour la méthode de pensée latente qu'elles contiennent. La méthode est donc reconstruite après coup. Le "Discours de la méthode" n'est donc pas un traité, il ne prétend pas enseigner sous forme de préceptes des règles pour découvrir la vérité. La méthode n'est d'ailleurs même pas un objet de connaissance puisqu'elle ne relève pas de l'évidence ou de la démonstration. C'est seulement lorsque la vérité a été découverte dans les sciences que peut être énoncée la procédure qui a été suivie pour trouver cette vérité. C'est du décalage entre l'évidence de la vérité et la méthode que provient l'illusion que la méthode est première. Or il n'en est rien. Sans doute ne peut-il y avoir de sciences certaines sans méthode, mais la méthode n'est pas originaire. On a le sentiment que là où il y a eu découverte de vérités, il y a eu nécessairement application de règles déterminées et conscientes. Mais il s'agit d'une illusion. L'évidence de la vérité ou des vérités découvertes est telle qu'après coup il n'y a aucun sens à parler de hasard. Les victoires remportées laissent croire à leurs répétitions. Mais, en fait, l'invention s'accompagne toujours d'une part de hasard. La méthode ne dispense donc pas de penser, elle peut être une aide, mais ne fournit aucune certitude quant à la production de la vérité. Elle n'est pas ce qui gouverne la pensée, mais seulement ce qui s'avère avoir été l'instrument de la, pensée. Ce n'est pas la méthode qui produit la vérité mais la vérité qui produit la méthode.

D. De l'incertitude des fondements des mathématiques

Pour Descartes, le raisonnement mathématique est une « longue chaîne de raison». La pensée mathématique est discursive. Comme tout discours, elle chemine, elle se déplace. Mais à l'origine, il y a des propositions premières ou des principes. Ceux-ci sont de trois sortes : — des définitions qui sont les énoncés du contenu intelligible des concepts. Par exemple : un triangle a trois angles; — des axiomes qui sont des énoncés logiques universels admis pour évidents et dont on a besoin pour tout raisonnement. Par exemple : « Le tout est plus grand que la partie»; — des postulats qui sont des théorèmes indémontrables qu'on demande d'accepter. Par exemple : « Par un point, on ne peut mener qu'une seule parallèle à une droite. » On se trouve ainsi confronté au problème suivant : dans un raisonnement, qu'est-ce qui prouve la vérité du premier anneau? Les sceptiques grecs appelaient diallèle le cercle vicieux dans lequel on se trouve enfermé pour démontrer les principes. Il faudrait démontrer les propositions premières par d'autres. Donc aucune vérité n'est démontrable. Pour Descartes, si les mathématiques sont vraies et si elles ne. reposent pas sur un fondement solide, il faut croire qu'il y a une opération de l'esprit qui assure la vérité. Cette opération, la plus certaine de toutes, c'est l'intuition. L'intuition est une connaissance rationnelle immédiate. Je vois d'un seul « coup d'œil » avec la pensée une vérité première et, l'ayant vue, je sais que c'est une vérité indiscutable. L'intuition est une opération de l'entendement et non de la perception : c'est la conception d'un esprit pur et attentif, débarrassé, grâce à un doute méthodique, des préjugés. C'est . dans la clarté et la distinction que je saisis la vérité d'un principe : ce climat s'appelle l'évidence. L'idée claire, c'est celle qui s'impose immédiatement à notre esprit. L'idée distincte, c'est « celle qui est tellement précise et différente de toutes les autres qu'elle ne comprend en soi que ce qui paraît manifestement à celui qui la considère comme il faut». L'idée distincte élimine tout ce qui n'est pas elle et . forme en elle seule une vérité, une unité. Elle est une, indivisible et seulement saisissable dans l'instant. La connaissance vraie est donc, pour Descartes, intemporelle. Dans la saisie instantanée de la vérité, nous sommes soustraits au temps, et donc aussi à la mémoire. Mais qu'est-ce qui, chez Descartes, atteste de la validité de cette intuition d'évidence? C'est Dieu. Ce Dieu de Descartes n'est pas le Dieu d'Abraham, de Jacob, d'Isaac. C'est une Raison suprême, parfaite, auteur de l'univers et surtout de l'ordre rationnel . dans l'univers. Descartes pense que la Raison, en Dieu, est un instrument. parfait. C'est dire que la pensée divine connaît la vérité « d'un seul coup d'œil », par intuition, sans médiation, sans raisonnement discursif. Dieu a donné à l'homme la Raison. Si bien que tout homme a en partage une égale quantité de Raison. Mais la Raison humaine est limitée. Autrement dit, il y a peu de vérités que nous pouvons connaître intuitivement. Nous sommes obligés de découvrir les autres, soit par déduction, soit en s’appuyant sur les fondements peu solides des sens. Outre la Raison, Dieu nous a donné quelques matériaux, les idées innées. En effet, les idées claires et distinctes sont, chez Descartes, innées, c’est-à-dire qu’elles naissent avec nous. Empreintes dans notre âme, elles sont en nous la marque du créateur. Ainsi en est-il des idées de Dieu, de la perfection de l’âme, de l’esprit, du corps, du triangle et généralement de tous les êtres premiers, de toutes les essences dont la définition s’impose nécessairement à notre pensée. Comme le montre Gilson, puisque l’âme et le corps sont deux substances distinctes telles que « rien de ce qui est corps ne peut passer dans l’âme», il faut nécessairement « que tout ce que l’âme contient lui vienne du dedans». Les idées innées sont donc celles que « la pensée trouve en soi sans que nulle impression sensible soit nécessaire pour expliquer leur formation». Il existe donc une connaissance intérieure qui précède toujours l’acquise, une connaissance antérieure à toute connaissance qui est le fondement de toute connaissance. Descartes admet donc une sorte de reconnaissance de la vérité comme si nous l’avions toujours connue. Comme la réminiscence, cette sorte de connaissance intérieure représente une mémoire qui ne doit rien à la psychologie mais qui renvoie à la métaphysique. C’est une mémoire a-temporelle qui nous met en rapport avec l’Absolu. Parmi les idées innées, il y en a une, dit Gilson, qui n’appartient pas de «droit» à ma pensée, une dont la pensée ne suffit pas « à rendre compte», autrement dit, qui se trouve en moi « sans que je puisse découvrir dans mon être la raison suffisante de sa présence dans ma pensée». Cette idée, c’est l’idée de Dieu. Cette idée est l’idée « d’un être supérieur à l’être de celui qui la conçoit». Cette idée n’est donc pas seulement «en moi», elle est aussi «mise en moi». L’idée de Dieu, dit Gilson, est chez Descartes « une idée innée dont Dieu seul peut être l’origine». Une autre idée « mise en nous» est celle d’Infini. C’est cette présence, en nous, de l’idée d’Infini qui permet à Descartes de passer à Dieu, à partir du cogito. En effet, cette idée d’Infini ne peut en aucune manière provenir d’un être fini, elle vient donc d’un être infini, c’est-à-dire de Dieu. Je ne pourrais pas prendre conscience du caractère fini de ce monde si je n’avais pas d’abord eu, en moi, l'idée d'infini. L'idée d'infini ne peut donc venir que d'ailleurs et non du monde. Cette idée, toujours présente en moi, et avant toute chose, est une mémoire métaphysique, le reste d'un passé qui n'a pas existé. Elle est une présence de Dieu à l'âme. Ainsi, il apparaît que chez Descartes aussi, la vérité est toujours déjà là. N'est-ce pas, en fait, parce que le désir de vérité est désir d'éternité? Or la mémoire, fonction du temps, n'est-elle pas ce qui nous suggère l'éternel? L'exigence de vérité est un désir d'accomplissement de soi-même dans le futur. Mais il nous est difficile de penser que nous puissions avoir ce désir d'accomplissement de nous-même sans avoir préalablement connu celui-ci. Aussi, plaçons-nous, dans le passé, une existence antérieure où nous aurions pris goût au bonheur et à la perfection. Le désir de vérité est le désir de quelque chose que nous ne possédons pas, mais que pourtant nous ne pourrions pas rechercher si nous ne l'avions pas toujours déjà possédé. Il en est de la vérité comme de Dieu, elle pourrait nous dire : « Console-toi, tu ne me rechercherais pas si tu ne m'avais déjà trouvé» (Pascal).

Sujets de dissertation

1. Les mathématiques sont-elles une connaissance vraie? . 2. La vérité est-elle le souvenir de ce que nous avons toujours. déjà connu?

   

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