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Le pouvoir (cours de philosophie)

Le pouvoir est d’abord une notion physique, dérivée du sens intime de notre énergie musculaire, et de la production apparemment autonome de mouvements. C’est la cénesthésie et la kinesthésie qui sont ici en jeu. Ferenczi, étudiant la première année de la vie de l’enfant d’un point de vue psychanalytique, suppose l’existence de stades d’évolution, parmi lesquels la « toute-puissance imaginaire », stade très « gratifiant » (contraire de frustrant) où l'enfant tout jeune a l’impression qu’il peut absolument tout. Le pouvoir représente aussi une influence psychique et morale, sur soi-même (maîtrise, yoga) et sur autrui (pouvoir des sorciers). Le pouvoir est donc aussi bien « conatus » (désir de persévérer dans l’être, chez Spinoza) que « volonté de puissance » (ce qui veut dans la volonté, chez Nietzsche, par opposition à la volonté de dominer). Enfin et surtout le pouvoir politique regroupe toutes ces acceptions en une seule : il est à la fois physique, moral, social, mystique même. Les problèmes qui se sont posés à propos du concept de « pouvoir » sont très divers.

— I — Le problème de la conservation temporelle du pouvoir.

1 — Les modèles platoniciens. Dans le « Critias », Platon montre que de même qu’un troupeau de bétail ne peut être dirigé que par un homme, et non par un animal, de même un groupe d’hommes ne peut être mené que par un surhomme, un dieu. Lorsque l’Atlantide était ainsi gouvernée, sa prospérité était à la mesure de sa filiation divine : véritable paradis recréé. On voit que Platon développe une théorie du pouvoir « élitiste » (des élites), mais l’essentiel est encore le rapport du pouvoir avec le temps (chronos — l’usant). Si dans « la République » les philosophes-rois doivent gouverner (en vertu de la tripartition parallèle de la cité et de l’âme), c’est parce que les philosophes, outre leurs vertus et leur vue synoptique, peuvent amarrer la cité à un principe intemporel (le bien, idée des idées) et par là éviter sa dégénérescence. De même, il faut éviter de comprendre le » mythe de la cité idéale » comme une utopie déréelle. En fait, il s’agit d’un modèle à partir duquel il est possible de penser la cité dégénérée, et donc de la guider vers le mieux, de même qu’il vaut mieux lire les grands caractères (cité) que les petits (l’âme) car les premiers sont plus lisibles. Cette valeur de modèle heuristique de la cité idéale devient évidente lorsqu’on découvre la typologie des régimes politiques du Livre VIII. C’est grâce au référent absolu de la Cité idéale que l’on peut déceler les différences entre les régimes politiques réels, tous dégénérés à des degrés divers. Ainsi la timocratie (et l’homme féru d’honneurs) est-elle un pis-aller, par rapport à l'oligarchie (avec ses luttes entre riches et pauvres), à la démocratie (avec son instabilité perpétuelle), et surtout à la tyrannie (et sa démesure sanglante). Ce qui préoccupe donc Platon dans le concept de « pouvoir », c’est la facilité avec laquelle le Pouvoir s’associe à la dégénérescence temporelle, et à la corruption. Le travail du philosophe sera de dissocier les deux. Pour cela il faut éviter :

1) de procéder à la manière des sophistes, par un empirisme de bas étage (du type de la « recette », de la « cuisine ») qui consisterait à distinguer grossièrement les types humains et leurs défauts, et de profiter (par des discours adroits flattant les opinions) de ces penchants pour gouverner. Par là le sophiste n’est qu’un « doxomime », un manipulateur d’opinion ; 2) de rechercher le changement. Au contraire, en préservant les valeurs traditionnelles, le philosophe aura fait un pas décisif vers l’amarrage de la cité aux valeurs éternelles, par la restauration de l’unité de la loi et de la nature, de la moralité individuelle et de la moralité civique ; 3) de faire comme s’il n’y avait pas de communication parfaite possible, entre les Idées, entre les hommes, entre le principe politique et les principes de l’individualité. Le philosophe devra être le « gardien des circuits », le « standardiste » de la politique.

2 — La conservation du pouvoir par la violence. MachiavelLe Prince », » Discours sur la première décade de Tite-Live ») lente de développer une philosophie politique fondée non sur la Raison mais sur l’autorité et la violence. Les philosophes politiques ont échoué parce que, imbus de principes absolus ou religieux, ils ont « méprisé les choses humaines », et par là ont perdu le réalisme indispensable. Machiavel insistera donc sur la « Vertu du Prince », qui est sa force, son énergie, son courage, bref son « pouvoir ». « Empiriste » par méthode, Machiavel dit avec franchise « comment les hommes sont » et « ce qu’ils ont coutume de faire », non ce qu’ils devraient faire. Ainsi il existe une condition humaine : — les humains sont naturellement méchants ; — tout bien est nécessairement accompagné de mal ; — les humains ne font le bien que s’ils y sont contraints. Ainsi ne se pose plus le problème du « meilleur régime possible » ; le seul problème est de prendre le pouvoir et de remplacer l’état de nature qui est l’insécurité régnant entre des brutes méchantes, par la Société soumise à la Loi du Prince. Le passage du Chaos au Cosmos, s’accompagnant de la victoire du Bien sur le Mal, donne automatiquement au pouvoir un aspect moral, et même religieux. Pour résumer, la vertu suprême ou sagesse consiste à faire entrer par force les hommes dans la société, en attirant à soi tout le pouvoir, non pour une tyrannie sanguinaire (violence qui ruine) mais pour une politique effective (violence qui crée). Il faut aussi conserver ce pouvoir pour garder les hommes en société. Il n’est pas question de « contrat » chez Machiavel, comme chez Hobbes ou Rousseau: d’après Machiavel, le prince lui-même prend le pouvoir, et pour le garder, il doit être hypocrite et menteur, violent et séducteur, humain et inhumain. Cette théorie a le plus marqué et le plus séduit ou irrité, parmi les théories du pouvoir.

3 — Le problème du contrat. La conservation du pouvoir est fonction de la résistance ou de l’accord des gouvernés. D’où l’idée de fonder le pouvoir en raison (sorte de politique rationnelle) par la recherche d’un état hypothétique constituant une hypothèse de travail (état de nature chez les Sophistes, chez Hobbes, ou Rousseau) et la supposition d’un établissement conventionnel du pouvoir par le contrat. Par contrat social, les futurs citoyens acceptent de perdre leur pouvoir individuel absolu de l'état de nature et de sacrifier quelque chose de leurs intérêts strictement personnels, en échange de la sécurité et de la paix. Le pouvoir de l’État est fait de l’abandon des pouvoirs Individuels ainsi délégués à une autorité supérieure (qui en tire sa souveraineté) en échange de bienfaits attendus et promis, au premier rang desquels l’organisation du Bien Commun. Théories d’autant plus intéressantes qu’elles se situent à une époque où l’autorité du Roi était considérée comme « de Droit Divin ».

— II — Nature du pouvoir.

1 — Théories élitistes (le pouvoir des élites). A — Pareto. Pour lui, le pouvoir est avant tout politique, et non pas reflet de l’économie. Les individus qui veulent accéder au pouvoir se battent et c’est le plus fort qui l’emporte ; une fois le pouvoir acquis, la puissance dégénère en ruse. Le rapport politique est un rapport vertical ; gouvernants, gouvernés, et le gouvernant gouverne parce qu’il domine. Rappelons que chez Platon, l’élite qui doit gouverner est la « classe des philosophes », ceux qui savent et qui pensent. Tout en étant d’accord sur l’élitisme, Pareto le fonde sur la puissance, non sur l’intelligence. B — Les technocrates. BurnamL’ère des directeurs ») estime que les dirigeants politiques sont les dirigeants techniques. Sa thèse est qu’on va vers une séparation entre la propriété et la gestion (management) par un capitalisme populaire (distribution d’actions). L’autorité ne vient pas du droit de propriété mais du savoir et de la compétence d’administrer. Faire prospérer une affaire, un pays, une ...

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