LE MYTHE DU “BON SAUVAGE” ET SA CRITIQUE (HLP: Découverte du monde et pluralité des cultures - LE MYTHE DU “BON SAUVAGE”)
LE MYTHE DU “BON SAUVAGE” ET SA CRITIQUE (HLP: Découverte du monde et pluralité des cultures - LE MYTHE DU “BON SAUVAGE”)
1) Qu’est-ce qu’un sauvage ?
Le mot « sauvage » vient du latin “silva” (forêt). Est sauvage ce qui n’a pas été cultivé. Les animaux sauvages vivent dans les bois et s'opposent aux animaux domestiques qui habitent dans les maisons (latin “domus”) des hommes ; les plantes sauvages s'opposent aux plantes cultivées par l’homme : des baies sauvages.
Appliqué à l'homme, le sauvage = « homme des bois » ; il vit dans la solitude et manque par suite des qualités qui s'acquièrent dans les relations citadines.
"Sauvage" n'est donc pas toujours péjoratif : ce mot peut dire seulement "non-civilisé". Bien plus, si la civilisation pervertit ceux qui y accèdent, on parlera du "bon sauvage".
Pour les philosophes du XVIIIe siècle, la bonté supposée des Indigènes sert à mettre en lumière les défauts de notre civilisation. Ignorant du péché originel, de la propriété, de l’inégalité et de la guerre, l’homme de nature est l’exact opposé de l’homme civilisé occidental du XVIIIe siècle.
2) Qu'est-ce que l'état de nature chez Rousseau ?
L'homme sauvage que décrit Rousseau (1712 - 1778) est l'homme à l’état de nature. Âge d'or où l'homme, libre, innocent, heureux et pur n'a pas encore été corrompu par la civilisation.
Rousseau est un philosophe extrêmement critique vis-à-vis de la société dans laquelle il vit (celle de Louis XV) : “L'homme naît bon c'est la société qui le corrompt”. C'est en 1755 dans son “Discours sur l'origine et les fondements de l'inégalité parmi les hommes” qu'il va expliquer en quoi et pourquoi l'apparition de la société a corrompu l'homme. Il va imaginer une fiction théorique où il se demande ce que serait l'homme s'il était débarrassé de tout ce qu'il a acquis par le biais de la culture et la société. Démêler ce qu’il y a d'originel et d'artificiel dans la nature actuelle de l'homme. Il ne faut pas prendre ces recherches pour des vérités historiques mais seulement pour des raisonnements hypothétiques et conditionnels. Cette fiction théorique est devenue célèbre sous le nom de l’ « état de nature » : l'homme originel décrit par Rousseau est un être libre dont le coeur est en paix et le corps en santé qui n'a besoin de personne et ne souhaite de mal à personne. Dans l'état de nature, l'homme, ce bon sauvage, arrive à satisfaire à ses besoins puisqu'ils sont peu nombreux et que la nature est généreuse et abondante (à la différence d’Hobbes), il est libre, heureux. Sa morale se réduit à l'amour de soi-même et au sentiment de pitié (=> cf. ci-dessous).
Rousseau explique que l'avènement de la propriété privée puis de la société vont le rendre méchant en le rendant sociable. En effet en société les hommes et les femmes deviennent envieux, jaloux ambitieux et calculateurs. De plus, en entrant en société, l'homme perd l'égalité avec ses semblables : il y aura désormais des riches et des pauvres, des dominants et des dominés. Cette évolution de l'homme, de l'état de nature vers la société, étant définitivement irréversible il faudra donc trouver une solution politique. C'est pourquoi Rousseau proposera le “contrat social” : les hommes acceptent de perdre leur indépendance dans l'état de nature mais en échange ils restent libres et égaux en droits car ils obéiront aux lois qu'ils se seront prescrits <= Démocratie directe.
=> Prolongements : amour de soi, amour-propre et pitié chez Rousseau.
https://www.databac.fr/la-pitie-chez-rousseau-1
https://www.databac.fr/amour-de-soi
=> Suppléments - quelques vidéos à regarder :
- Le mythe du bon sauvage (Rousseau et l'état de nature) - Vidéo de 3’ : https://www.youtube.com/watch?v=_OQrmFnrU_I&t=124s
- Cours + podcast : https://www.databac.fr/lhomme-est-bon-par-nature-cest-la-societe-qui-le-corrompt-rousseau
3) Critiques du mythe de “bon sauvage”:
a) Le démenti des faits historiques
Ce mythe est absurde : les sociétés ancestrales sont des sociétés guerrières. Le mythe du “bon sauvage” est une idéalisation, une idolâtrie de l’autre que l’on veut voir non comme il est mais tel qu’on voudrait qu’il soit.
Regardons la civilisation aztèque avant qu'elle soit pervertie par les conquistadors 😉. C'est un peuple qui a asservi toutes les tribus alentours et qui fait payer l'impôt par la force. Les Aztèques pratiquaient des sacrifices humains où il s’agissait d’ouvrir la poitrine avec un couteau alors que le supplicié est toujours vivant, de plonger la main à l'intérieur, lui arracher le coeur puis de le décapiter. Pour l'inauguration du temple de Mexico en 1486, les historiens pensent que vingt mille sacrifices ont eu lieu, sous les yeux d'environ 1,5 million de spectateurs !
On peut aussi regarder du côté des indiens d'Amérique. Les indiens qu'on connaît aujourd'hui arrivent sur le territoire américain il y a environ quinze mille ans, suite à une migration de populations asiatiques. On a découvert sur place des populations plus anciennes de type océanien. Donc les tribus asiatiques qui sont arrivés il y a quinze mille ans ont déjà massacré les populations océaniennes pour prendre leur territoire. Ensuite, par exemple, pour les Comanches, le territoire qui leur a été volé par les rangers américains et par l'Etat du Texas, est un territoire qu’ils avaient déjà volé aux Apaches en leur faisant la guerre et en les massacrant.
Sous couvert d'être bien-pensant, ce mythe du “bon sauvage” est totalement ethnocentrique (*). Lorsque l’on parle des “pauvres sauvages” que l’on est venu envahir alors qu'ils étaient sans défense, cela renvoie au complexe de supériorité de l’homme occidental qui justifiera le paternalisme et la colonisation. Les peuples primitifs, ancestraux, étant des enfants qu’il s’agira de conduire à la maturité.
(*) Définition de l’ethnocentrisme : https://www.databac.fr/ethnocentrisme-2-1 / https://www.databac.fr/ethnocentrisme-et-racisme-1
b) Le démenti philosophique de Thomas Hobbes (1588 - 1679) :
ð https://www.databac.fr/violence-et-etat-de-nature-chez-hobbes (cours + podcast à écouter)
c) Le démenti de la psychanalyse :
Selon Freud, il existe en chaque homme des pulsions d'agression visant à nuire à autrui, à le détruire, à l'humilier.
Qu’est-ce que la pulsion de mort ?
- Freud dénonce le mythe de l'homme naturellement bon. La violence est une donnée naturelle, une conduite qui puise sa source dans les instincts de l'homme. Elle n'est donc pas un phénomène social provisoire, appelé à disparaître avec l'émergence de sociétés ou de systèmes politiques plus justes. C'est une donnée indépassable, sans solution définitive, de la nature humaine. On ne doit pas dire que l'homme est naturellement bon et que c'est la civilisation qui l'a perverti (thèse de Rousseau), mais, au contraire, que l'homme est naturellement agressif et que la civilisation est un remède provisoire et précaire (Freud reprend la thèse de Hobbes).
Cinquième chapitre de « Malaise dans la civilisation » : définition de la civilisation = « tout ce par quoi la vie humaine s'est élevée au-dessus des conditions animales et par où elle diffère de la vie des bêtes. ». Donc, elle ne peut se maintenir que si elle parvient à contrôler les effets de la pulsion d'agression de tous et de chacun. Tout individu est un ennemi potentiel de toute vie sociale. C'est pourquoi la civilisation exige le devoir d'aimer son prochain comme soi-même.
Texte de Freud dans “Malaise dans la civilisation”: THANATOS & CIVILISATION
La pulsion de mort est donc bien, pour Freud, ce danger permanent que ne cesse d'affronter la civilisation. « Les hommes d'aujourd'hui ont poussé si loin la maîtrise des forces de la nature qu'avec leur aide il leur est devenu facile de s'exterminer mutuellement jusqu'au dernier » = pessimisme de Freud sur l’avenir de l’humanité. Anthropologie négative.
- Si la civilisation est nécessairement répressive des instincts, il s’ensuit que l’homme ne peut jamais être vraiment heureux en société. Celle-ci exige de gros efforts sur soi et le sacrifice de nombreuses satisfactions pulsionnelles. => Cf. cours sur le Bonheur.
d) Le démenti politique :
La Nature c’est le triomphe du fort sur le faible : « Les gros poissons mangent les petits. » (Spinoza in Tractatus theologico-politicus). La nature, c’est le « struggle for life » de Darwin. Les régimes politiques qui s’en réclament sont les régimes fascistes => https://fr.wikipedia.org/wiki/Protection_de_la_nature_et_des_animaux_sous_le_Troisi%C3%A8me_Reich
e) Le démenti moral :
Il n'y a dans la nature aucune bonté que celle que nous y projetons nous-mêmes. Le naturel n'est ni bon ni mauvais en soi puisque ces valeurs n'ont de sens que par et pour l'être humain. La nature n’est pas bonne en soi. La nature est amorale. En deçà du Bien et du Mal. Un lion qui dévore une gazelle n’est pas « méchant ». Pas d’anthropomorphisation de la Nature. Le lion est amoral. Il n’a pas conscience de mal agir. Il ne fait que réaliser son instinct de prédateur en vue de sa survie.
f) Le démenti philosophique :
· Le concept de « nature » est une construction culturelle (scientifique, philosophie voire idéologique). De la nature, on en parle toujours du point de vue de notre culture. L'homme projette sur la nature ses désirs, ses angoisses, ses lois, ses rêves. Rousseau qui critique la modernité (son luxe, sa décadence), va valoriser la nature. Rousseau, malmené par son siècle, vénèrera la nature. A l’inverse, Voltaire, le « mondain », dévalorisera la nature.
· Parler d’un homme naturel n’a pas de sens, l'homme est toujours déjà civilisé.