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LE LANGAGE (synthèse 3)

Existe-t-il un langage animal ?
Certains animaux disposent d’un système de signes différencié
Chez l’animal dressé, un son déterminé, ou la vue d’un fouet constituent, certes, des signaux qui sont, généralement, suivis de la réaction attendue par l’homme. Mais il n’y a là qu’un conditionnement inculqué par le dresseur.
Ce qui est plus intéressant, c’est qu’à l’état sauvage, mammifères et oiseaux expriment leurs émois par des cris, nettement différenciés selon les situations rencontrées. «Chez les corbeaux, écrit le linguiste Georges Mounin, on a inventorié une quinzaine de cris correspondant à des situations ou à des comportements sémantiquement distincts» (Clefs pour la linguistique, 1968).
Le code des abeilles
Karl von Frisch (1886-1982) a étudié les danses en forme de 8 qu’effectuent les abeilles, dans le plan vertical de la ruche ( Vie et mœurs des abeilles, 1955). «Tout ami attentif des abeilles, écrit-il, s’apercevra vite qu’elles doivent avoir un moyen de communiquer entre elles». On remarquera, par exemple, qu’un pot de miel peut rester en plein air des jours entiers sans attirer leur attention. Mais si une seule d’entre elles le découvre, au bout de très peu de temps, des douzaines, puis des centaines de ses compagnes de ruche arrivent sur place pour participer au butin, poursuit von Frisch.
Les travaux de ce savant biologiste ont finalement abouti à montrer que l’abeille peut, à l’aide de ces danses en 8, livrer quatre informations à celles de ses congénères qui lui emboîtent le pas (celles-ci maintiennent leurs antennes en contact avec l’abdomen de la danseuse). La danseuse leur indique en effet :
Langage et pensée
La communication animale n’est pas un langage
A tout prendre, ce merveilleux système de signes dont usent les abeilles n’est, toutefois, pas un langage. Ou alors, on devra convenir qu’il s’agit d’un «langage» fort limité (les abeilles sont incapables d’indiquer correctement l’emplacement d’un butin que l’expérimentateur a placé
en hauteur) ; on devra admettre également qu’il s’agit d’un «langage» sans histoire (il n’est pas appris par les parents aux petits, et il ne se modifie pas d’une génération à l’autre) ; et qu’il s’agit enfin d’un «langage» sans dialogue (on peut prédire quelle sera la réponse des abeilles qui reçoivent le message : elles iront inévitablement butiner une fleur située à telle distance de la ruche, et dans telle direction).
Le langage n’a, chez l’homme, que des organes d’emprunt
Descartes (1596-1650) soulignait déjà, dans une lettre à Newcastle, datée du 23 novembre 1646, que «ce qui fait que les bêtes ne parlent point comme nous» n’est pas que «les organes leur manquent». «L’invention de l’art de communiquer nos idées dépend moins des organes qui nous servent à cette communication que d’une faculté propre à l’homme, qui lui fait employer ses organes à cet usage», écrit pareillement Rousseau (1712-1778), dans son Essai sur l’origine des tangues (chap. I). Et le larynx, le voile du palais ou même les cordes vocales ne sont primitivement — comme l’a souligné le docteur Ombredane — que «des organes de respiration et d’alimentation et le demeurent dans le temps où la parole se constitue et s’exerce» (L’Aphasie et l’élaboration de la pensée explicite, 1951).
Langage et aires cérébrales
Quant à la zone du langage, localisée (dans l’hémisphère gauche du cerveau des droitiers) à la suite des recherches des médecins Broca (1861) et Wernicke (1874) sur les aphasies, elle ne constitue pas non plus un organe destiné congénitalement à l’exercice du langage. S’il est vrai que la fonction du langage est troublée lorsque ce territoire cortical subit une lésion, il semble cependant que celui-ci ne se spécialise que progressivement, au cours de l’éducation de l’enfant — de même qu’une autre aire du cortex peut devenir centre de l’écriture... si l’individu apprend à écrire.
Bergson : le langage trahit la pensée
Bergson (1859-1941) soutient que, parce que le langage désigne chez tous les hommes des manières particulières d’aimer et de haïr, «nous échouons à traduire entièrement ce que notre âme ressent» (Essai sur les données immédiates de la conscience, 1888).
Le moi intime serait toujours-déjà trahi par le moi de la communication. «Il y aurait donc enfin deux moi différents, dont l’un serait comme la projection extérieure de l’autre, sa représentation spatiale et pour ainsi dire sociale» (ibid.) : le langage serait alors tout entier du côté de ce «fantôme décoloré» de notre moi réel et libre, c’est-à-dire du côté de ce qui travestit notre intimité ineffable.
La linguistique contemporaine
Le mot, unité du signifiant et du signifié
«Le signe linguistique unit non une chose et un nom, mais un concept et une image acoustique», écrivait Ferdinand de Saussure, le fondateur de la linguistique scientifique contemporaine (Cours de linguistique générale, 1915). Autrement dit, le mot (ou «signe linguistique») est une «entité psychique à deux faces» : il associe, par exemple, l’idée d’arbre, le concept d’arbre, à l’empreinte psychique du son «arbre» (en français), du son tree (en anglais), etc.
La double articulation des langues humaines : monèmes et phonèmes
Qu’est-ce donc qui fait le caractère spécifique des langues humaines ? Quelle propriété ont-elles toutes, qui puisse les différencier des innombrables autres systèmes de communication (code des abeilles, code de la route, etc.) ? Ce n’est ni la fonction de communication (qu'elles partagent avec tous les autres systèmes de codage) ni le caractère arbitraire des signes qu’elles mettent en jeu (l’utilisation du rouge et du vert, par exemple, est totalement arbitraire, dans les signaux lumineux prévus par le code de la route).
Cette propriété que nous recherchons, c’est la fameuse «double articulation», dont Saussure (1857-1913), puis Martinet (né en 1908), ont souligné l’extrême importance.
Prenons le mot français : réembarquons.
Fonction économique de la double articulation
C’est cette superposition des monèmes et des phonèmes qui donne au langage ce pouvoir de «faire tant avec si peu» (E. BenvenisteProblèmes de linguistique générale, 1966).
Sans elle, toute communication serait d’une inextricable complexité :
Langage articulé et écriture
Si toutes les langues humaines (et elles seules) reposent sur la double articulation, seules les écritures alphabétiques la reproduisent plus ou moins fidèlement (première écriture alphabétique : l’écriture phénicienne, vers 1000 av. J.-C.) : seules, en effet, elles «vont» jusqu’aux phonèmes.
C’est pourquoi l’écriture chinoise classique - pur rébus, formé seulement de monèmes - comportait... 80. 000 signes et s’apprenait toute la vie durant ! •
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On considère que c'est la publication, en 1915, du Cours de linguistique générale de Ferdinand de Saussure qui marque les débuts d'une étude scientifique des langues humaines. 1. LE SIGNE LINGUISTIQUE (= le mot) Le symbole linguistique (= le mot) associe l'idée de la chose (l'idée d'arbre, par exemple) ou signifié avec ce que Saussure appelle l'« image acoustique « ou signifiant (en latin : arbor ; en français :arbre; en anglais : tree ; etc.). Le mot est donc « une entité psychique à deux faces « (Cours de linguistique générale, 1915) : il est l'unité du signifiant et du signifié. 2. LA DOUBLE ARTICULATION Monèmes et phonèmes. Qu'est-ce donc qui fait le caractère spécifique des langues humaines ? Quelle propriété ont-elles toutes, qui puisse les différencier des innombrables autres systèmes de communication (code des abeilles, code de la route, musique, etc.) ? Cette propriété, disent les linguistes, c'est la double articulation. Prenons le mot français : réembarquons. On voit qu'il peut se décomposer, tout d'abord, en unités dites de première articulation (ou monèmes), qui sont des unités minimales de sens : ré/em/barqu/ons. Allons au-delà dans la division : on obtiendra des segments n'ayant plus aucun sens dans la langue. On atteint de la sorte les unités de deuxième articulation (ou phonèmes), qui sont des unités minimales de son : r/é/em/b/a/r/qu/ons. Fonction économique de la double articulation. C'est cette superposition des monèmes et des phonèmes qui donne au langage ce pouvoir de « faire tant avec si peu « (E. Benveniste, Problèmes de linguistique générale, 1966). LISEZ ! Rousseau, Essai sur l'origine des langues in Œuvres complètes, Bibl. de la Pléiade. Mounin, Clefs pour la linguistique, Seghers.

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