Le droit (cours de philosophie)
Par son étymologie, « droit » (de directum, dirigo, régula) implique la règle. Le droit est ce qui se conforme à une règle. On oppose ainsi « le fait » (ce qui arrive, ce qui se fait ou ce qu’on fait) et "le droit" (ce qui est permis ou légal). En droit la chasse est ouverte à certaines époques, en fait il y a des braconniers toute l’année ; en droit les gardes-chasse sont chargés de poursuivre les braconniers, en fait ils braconnent souvent eux-mêmes, etc. Il y a des faits qui sont « scandaleux » parce qu'ils violent ouvertement et cyniquement le droit, par exemple lorsque l’irrégularité souille les défenseurs de la règle, lorsqu'on apprend que le gendarme était gangster, que le douanier faisait de la contrebande, que le juge était cambrioleur et que le ministre était un escroc ou un espion. D’autre part il y a des règles de droit qui ne sont jamais appliquées, des règlements tombés dans l’oubli, donc qui ne sont plus dans les faits. Les règlements des P.T.T. par exemple sont si vieux qu’il suffit aux postiers de les suivre à la lettre pour embouteiller en quelques heures toutes les opérations postales (grève du zèle). Le fait, c’est donc ce qui se passe; le droit, c’est ce qui devrait se passer, d’ailleurs aussi ce qui se passe effectivement quand le droit est respecté. Le droit implique donc l’existence d’une règle qui s'impose aux comportements strictement individuels. Mais le droit est aussi un pouvoir. Ainsi vous revendiquez des « droits » ou vous invoquez votre droit si vous êtes dépouillé par un voleur ou si vous êtes arrêté illégalement. Le droit confère à votre action une puissance supplémentaire et à votre personne une valeur juridique ou morale. L’abus de droit consiste justement à utiliser le pouvoir que donne le droit pour faire (ou justifier) autre chose que ce à quoi vous avez droit. C’est un abus de pouvoir, à l’abri d’une règle ou d’un rôle social. De ce point de vue encore, il n’y a de droit que par rapport à une règle (que celle-ci soit convention d’un code, loi sociale ou loi morale), ou à une valeur qui justifie un comportement personnel.
— I — Nature du droit.
Le droit est un pouvoir moral. Cette définition, qui est de Leibniz, marque bien les deux éléments essentiels du droit : il est une exigence de l'individu mais une exigence valable, c’est-à-dire qui se réfère à une valeur.
Un droit, en effet, représente un intérêt individuel, un besoin et une volition. Mais s’il n’était que cela, tout ce que nous voulons et désirons serait un droit. Or nous sentons bien que le droit est aussi une barrière qui s'oppose à nos tendances ; nous n’avons pas tous les droits. Nos droits représentent une sélection dans nos tendances, ils sont des intérêts valorisés. D’où vient cette valorisation ?
1 — Valorisation par le groupe. Tout membre d'un groupe, en tant que tel, est sujet de droits. Un groupement qui fait partie, en tant que membre, d’une organisation plus vaste (exemple, un syndicat dans l’Etat) est par là même sujet de droits. Par là, l'individu comme le groupement acquièrent une personnalité juridique. Le groupe codifie les droits de ses membres — et leurs devoirs — par un règlement ou code de droit. Chaque code est ainsi relatif à un certain secteur d'intérêts des membres du groupe. Nous avons un droit civil, un droit commercial, un droit pénal, un droit administratif, un droit syndical, un droit constitutionnel, etc. Chacun de ces droits est garanti par le groupe et la force de sanction du groupe est appliquée à toute infraction au code. Ainsi se constitue le droit positif qui est l’ensemble des règles écrites, promulguées et garanties. Il n’y a donc pas de droit pour un individu considéré comme tel c’est-à-dire isolément. Le droit est chose sociale. Il s’incarne dans des institutions et c'est toujours en tant que membre de tel groupe social constitué qu’un individu a des droits. L’appartenance d’un sujet à plusieurs groupes peut constituer une source de conflit de droits. Tout sujet est donc un « ressortissant ». Les droits des hommes ne sont pas les mêmes selon les Droits et institutions dont ils sont ressortissants, c’est-à-dire selon la structure de leur groupe, la constitution politique de leur nation, la juridiction de leur état. « La règle de droit , écrit G. Davy dans « Le droit, l’idéalisme et l’expérience » (1930), n’a d’autorité que si elle émane du groupe lui-même dont elle exprime la solidarité. Et cela implique que ce groupe a une réalité en face des individus qu’il groupe et une opinion en face de la leur qui ne soit point la moyenne mais la régulatrice de la leur, et leur impose la reconnaissance des valeurs juridiques qu’elle juge devoir consacrer comme réelles. »
2 — Valorisation par l’universalité. Certains droits nous sont attribués ou retirés selon les variations de la structure du groupe, il suffit qu'un gouverneur décrète l'état de siège ou le couvre-feu, ou qu’un arrêté oblige du jour au lendemain les automobilistes à ne pas dépasser 80 à l’heure, pour que mes droits soient transformés dans la mesure où je suis visé par le décret. Il y a cependant une catégorie de droits qui sont liés à la personne humaine. En les revendiquant l’individu semble agir en tant qu’individu et se dresser contre les limitations imposées par les règles de l’État. Droit à la vie, au bonheur, à l’assistance, au travail, à la...