Le bonheur (fiche de révision)
Le bonheur
• Saisissez bien le passage de l'eudémonisme (§ 3, 4, 5) - c'est-à-dire d'une philosophie pour qui le but de la vie humaine est le bonheur -, qui caractérise la réflexion de l'Antiquité classique, à une vision moderne, parfois chrétienne, beaucoup plus pessimiste, considérant notre monde comme celui du malheur (§ 6). • Plaisir, joie et bonheur se distinguent profondément, ce dernier se définissant comme un état de satisfaction complète et de plénitude (§ 1). Le bonheur est également un accord entre les valeurs de l'homme et celles du monde (§ 2). • Dans l'eudémonisme antique, le bonheur est le bien suprême ( 3). Aristote décrit le bonheur comme contemplation et loisir (§ 3), Épicure le saisit comme un équilibre de l'âme et un calme spirituel, lié aux désirs naturels et nécessaires (§ 4). Enfin, les Stoïciens acceptent l'ordre divin, matrice de la liberté spirituelle (§ 5). • Le christianisme nous a apporté une vision très pessimiste des choses (§ 6). La doctrine de Kant se situe dans cette perspective, et le bonheur y est seulement un objet d'espérance (§ 7). • Quel pessimisme dans la pensée moderne, de Schopenhauer à Freud ! (Conclusion).
I - Plaisir - Joie - Bonheur - Béatitude
Le bonheur (étymologiquement : bonne chance), état de satisfaction complète et de plénitude, est distinct du plaisir, bien-être agréable essentiellement d'ordre sensible. Si le premier correspond à un complet repos et se donne comme l'éternité même, le second appartient à l'ordre du temps : c'est un mouvement et un dynamisme que l'imagination et la mémoire amplifient et prolongent. Mais le bonheur se distingue aussi de la joie. Alors que le plaisir est fragmentaire, la joie est un état affectif global et total. Elle représente bien, comme l'a vu Spinoza, un passage d'une perfection moindre à une perfection supérieure, un état où la puissance d'agir de mon corps est augmentée, où domine en moi un sentiment de puissance et de force. Or le bonheur n'est précisément pas un passage : la joie est dynamique alors que le bonheur est statique, tout comme la béatitude, cette félicité et ce bonheur parfait. « Le bonheur... n'implique ni mouvement ni passage ni progrès, mais une absolue stabilité et un complet repos. C'est une totale suffisance en soi-même. Il est donné entièrement tout d'un coup, et l'on ne conçoit pas qu'il vienne à manquer. » (J. Lacroix, Le sens du dialogue, Editions de la Baconnière, Neuchatel, avril 1962)
II - Le bonheur est un accord
Or, ce plein, repos qu'est le bonheur suppose un accord et une harmonie : une unité entre les valeurs de l'homme et l'ordre du monde et des choses. Pour qu'il y ait bonheur, ne faut-il pas, en effet, que s'opère une rencontre entre les choix et les valeurs de l'être humain, d'une part, et l'ordre universel, d'autre part? Le bonheur est cette harmonie et cet accord entre les deux ordres, unité que nous allons trouver dans les philosophies classiques du bonheur «Pour un homme donné, le bonheur, entendu dans son sens le plus classique, est la jouissance de l'accord qui s'établit entre l'ordre de ses valeurs et l'universel qui le transcende et l'englobe, que l'on peut appeler symboliquement l'ordre du monde. » (R. Polin, Le bonheur considéré comme l'un des beaux arts, PUF, 1965)
III - L'eudémonisme antique
Aristote et le bonheur de la vie contemplative
Le bonheur est-il le bien suprême? L'eudémonisme (du grec eudaimon : heureux) antique va répondre affirmativement à cette question. L'eudémonisme est la doctrine morale affirmant que le but de l'action humaine est le bonheur. Chez tous les philosophes anciens, le bonheur, fin de l'action, apparaît comme un accord entre l'homme et les choses. Les eudémonistes divergent seulement sur les moyens de parvenir au bonheur et à, la complète satisfaction. Aristote voit nettement dans le bonheur la fin de la vie. Dans l'Éthique de Nicomaque, il pose la question : quel est le souverain bien de notre activité? C'est le bonheur. Or, ce dernier consiste dans l'activité la plus parfaite de l'homme, c'est-à-dire dans la vie contemplative. « Cette activité (contemplative) est par elle-même la plus élevée de ce qui est en nous; l'esprit occupe la première place; et, parmi ce qui relève de la connaissance, les questions qu'embrasse l'esprit sont les plus hautes. Ajoutons aussi que son action est la plus continue; il nous est possible de nous livrer à la contemplation d'une façon plus suivie qu'à une forme de l'action pratique... Ce qui est propre à l'homme, c'est donc la vie de l'esprit, puisque l'esprit constitue essentiellement l'homme. Une telle vie est également parfaitement heureuse. » (Aristote, Éthique de Nicomaque) Le sage qui contemple l'Éternel dans une vie de loisir incarne véritablement l'homme heureux : il représente l'idéal de la réflexion grecque, idéal dont notre civilisation est bien éloignée.
IV - L'eudémonisme antique : Épicure et la sérénité de l'âme
Épicure (341-270 av. J.-C.) est également eudémoniste, mais diffère profondément d'Aristote sur la façon d'atteindre le bonheur. En apparence, Épicure est surtout hédoniste, car sa doctrine éthique fait du plaisir le Souverain Bien. Le plaisir est le bien primitif et naturel, il représente la fin de la vie. Néanmoins, tous les plaisirs ne sont pas souhaitables et le vrai bonheur consiste dans la paix de l'âme que rien ne vient troubler (ce qu'Epicure appelle l'ataraxie : l'absence de trouble et l'indifférence de l'esprit). L'âme du Sage, parfaitement sereine et libre en toutes circonstances, est à même de répudier certains plaisirs. Ainsi distingue-t-elle trois sortes de désirs : ceux qui ne sont ni naturels ni nécessaires (comme la recherche des honneurs), ceux qui sont naturels sans être nécessaires (une nourriture fine par exemple), enfin les désirs naturels et nécessaires (comme manger à sa faim), seuls dignes d'être retenus par l'éthique. Ainsi, le sage épicurien vise le bonheur comme équilibre de l'âme et calme de l'esprit. « Lors donc que nous disons que le plaisir est la fin, nous ne parlons point des plaisirs des prodigues et des plaisirs de sensualité, comme le croient ceux qui nous ignorent, ou s'opposent à nous, ou nous entendent mal, mais nous parlons de l'absence de douleur physique et de l'ataraxie de l'âme. » (Epicure, Lettre à Ménécée)
Prolongement: Contre l'ataraxie épicurienne)
V - L'eudémonisme antique : les Stoïciens et la liberté
Le stoïcisme est également un eudémonisme, une morale qui vise le bonheur. En quoi consiste le bonheur, chez Sénèque, Épictète et Marc-Aurèle, les plus connus des Stoïciens? Avant tout à rester libre et maître de ses opinions, de ses pensées, quelles que soient les circonstances. L'essentiel n'est-il pas de conserver sa liberté, sur le trône comme dans les chaînes? Le sage stoïcien trouve en toutes situations l'ataraxie, la paix de l'âme, l'indifférence de l'esprit. Comme on le voit, épicurisme et stoïcisme ont d'importants points communs, en particulier cette conception du bonheur envisagé comme liberté spirituelle. Néanmoins, le bonheur stoïcien diffère du bonheur épicurien : le sage épicurien réalise un accord et une harmonie avec un monde matériel et formé d'atomes, alors que le sage stoïcien, maître de soi, accepte l'ordre divin, l'étincelle divine présente dans tout ce qui existe (les stoïciens étaient panthéistes : ils identifiaient Dieu à la nature). « Tu espères que tu seras heureux dès que tu auras obtenu ce que tu désires. Tu te trompes. Tu ne seras pas plus tôt en possession, que tu auras mêmes inquiétudes, mêmes chagrins, mêmes dégoûts, mêmes craintes, mêmes désirs. Le bonheur ne consiste point à acquérir et à jouir, mais à ne pas désirer. Car il consiste à être libre. » (Épictète)
VI - La révolution chrétienne
Ces analyses de l'eudémonisme antique, pour admirables qu'elles soient, ne semblent pas adaptées à la vérité de notre univers. En effet, le christianisme nous a apporté sa vision pessimiste des choses. Le chrétien, s'il espère que l'au-delà et la Cité de Dieu lui apporteront un bonheur éternel, considère le monde temporel comme celui du malheur et de l'épreuve. Salut et espérance remplacent l'eudémonisme antique, l'accord profond de l'homme et du monde, de l'existant et des choses, de la liberté et de l'ordre divin. À la belle unité grecque, a succédé le monde déchiré et souffrant du christianisme. «Le chrétien est une conscience malheureuse, comme dit l'analyse fameuse de Hegel, puisqu'il est conscience déchirée de son opposition au monde. Le déchirement qui s'opère entre son moi temporel, empirique, et son moi transcendantal... fait son malheur : il est isolé dans un monde qu'il tient pour hostile. » (R. Polin, op. cit.)
VII - La doctrine kantienne (Prolongement: Bonheur et Dignité)
La doctrine kantienne est à cet égard particulièrement significative. La morale de Kant se déploie dans la perspective de l'impératif et de la loi, non point à travers le thème du bonheur, comme dans l'eudémonisme antique. Ce qui est premier, c'est la morale universelle comme principe de l'éthique. Aucun bonheur temporel ne sera attendu dans ce monde de la pratique de la vertu envisagée comme obéissance à l'impératif catégorique. Néanmoins, des postulats de la raison pratique (immortalité de l'âme et existence de Dieu, principalement) peuvent être admis dans la sphère de la morale. Il s'agit ici d'objets de foi. Il est permis d'espérer, si Dieu existe, un bonheur parfait dans un au-delà futur. Ainsi, la morale est de l'ordre de la loi et le bonheur seulement un objet d'espérance. «La morale n'est donc pas, à proprement parler, la doctrine qui nous enseigne comment nous devons nous rendre heureux, mais comment nous devons nous rendre dignes du bonheur. C'est seulement lorsque la religion s'y ajoute, qu'entre en nous l'espérance de participer un jour au bonheur, dans la mesure où nous aurons essayé de n'en être pas indignes. » (Kant, Critique de la raison pratique)
Conclusion. Le pessimisme moderne (Prolongement: L'homme oscille entre la souffrance et l'ennui)
La pensée du XIXe siècle, mais aussi la réflexion moderne sont bien souvent pessimistes. Au XIXe siècle, Schopenhauer a souligné que l'ordre des choses engendre mal et souffrance. Au XXe siècle, Freud a mis en évidence la pression puissante des possibilités de souffrance (Malaise dans la civilisation). Les philosophies de notre époque sont celles du «bonheur compromis ».
SUJETS DE BACCALAURÉAT
- Le bonheur est-il le bien suprême? - Peut-on parler de bonheur d'une communauté? - Les méchants peuvent-ils être véritablement heureux? - Qu'est-ce qu'une vie heureuse? - Faut-il vouloir être heureux?
«Que l'homme est né pour le bonheur, certes, toute la nature l'enseigne» (Gide). Celui qui est heureux de vivre, en effet, ne se pose pas de questions sur la vie. Le bonheur convient, en quelque sorte, à notre nature, mais comme notre nature est complexe, on peut se faire différentes conceptions du bonheur, en le rattachant soit aux appétits, soit au coeur, soit à la raison.
I. DIFFÉRENTES CONCEPTIONS
- A - Le bonheur dans les plaisirs. On confond souvent plaisir et bonheur. Mais, au sens strict, plaisir signifie plaisir des sens, c'est-à-dire satisfaction des appétits, des désirs, et seuls les Hédonistes soutiennent que le bonheur s'identifie au plaisir ainsi défini. Encore n'est-ce que le point de vue radical des Cyrénaïques (représentés par Calliclès dans le Gorgias de Platon), car les Épicuriens, constatant que la recherche du plaisir est souvent douloureuse, distinguaient soigneusement des plaisirs purs et des plaisirs impurs (selon qu'ils correspondent à des désirs plus ou moins naturels et nécessaires), les premiers seuls conduisant au bonheur. Dans les temps modernes, Freud, en faisant du «principe de plaisir» un principe fondamental du psychisme et en posant que «bonheur signifie satisfaction des instincts», a ouvert la voie à une nouvelle apologie des plaisirs des sens.
- B - Le bonheur dans l'amour ou dans l'action. Le cœur, en l'homme, est à la fois le principe de la force et celui du sentiment. D'où deux formes de bonheur possibles dont l'une repose sur l'amour, l'autre sur l'action. - Selon Auguste Comte, par exemple, le bonheur est dans le triomphe des «instincts sympathiques» sur les «impulsions égoïstes». De même, pour Leibniz, «la charité et l'amour de Dieu donnent le plus grand plaisir qui se puisse concevoir». - Alain, de son côté, affirme que «c'est dans l'action libre qu'on est heureux». Qu'il s'agisse de jeu, de sport ou de travail, l'homme échappe à l'ennui, dont Vigny disait qu'il est «la grande maladie de la vie», en exerçant sa puissance: «Faire et non pas subir, tel est le fond de l'agréable».
- C - Le bonheur dans la contemplation. De nombreux philosophes ont affirmé que le bonheur de l'homme est dans la contemplation. C'est ainsi que, pour Aristote, la vie la plus heureuse est «la vie selon l'esprit» et que Dieu est une pensée qui se pense elle-même («la pensée de la pensée»). Les Stoïciens, de leur côté, soutenant que le mal n'est qu'une opinion fausse, faisaient de la connaissance de la vérité la condition même du bonheur. Quant à Descartes, il affirmait que «c'est proprement avoir les yeux fermés | ...] que de vivre sans philosopher» et que les plus grandes satisfactions se trouvent dans les connaissances auxquelles on parvient par la philosophie. Schopenhauer lui-même, malgré son pessimisme, voyait une possibilité de bonheur relatif dans la « prédominance de la pensée pure sur le vouloir».
II. LE BONHEUR ET LA PHILOSOPHIE
- A - Le vrai bonheur. La plupart des philosophes se sont efforcés de montrer que le vrai bonheur ne peut être que dans la satisfaction harmonieuse de toutes les tendances de l'homme. Pour Platon, par exemple, l'homme heureux, c'est l'homme juste, c'est- à-dire celui qui réalise en lui, sous la conduite de la raison, un équilibre entre les appétits, le cœur et la raison elle-même. Il ne s'agit pas d'exclure telle ou telle forme de bonheur, mais seulement de mettre chacune à sa place. Même l'hédonisme des Épicuriens fait une place essentielle, parmi les plaisirs purs, aux plaisirs de l'amitié et de l'esprit: «Philosopher ensemble» était, pour Épicure, le plus haut plaisir.
- B - Pessimisme et optimisme. Reste à savoir si le bonheur est accessible à l'homme ou si, comme le veut une tradition chrétienne, il n'est point de ce monde (cf. le divertissement selon Pascal). Faut-il admettre, avec Schopenhauer, que «l'histoire d'une vie est toujours l'histoire d'une souffrance»? Il paraît bien difficile de soutenir que «tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes possible», comme Leibniz. On peut remarquer, toutefois, que le pessimisme est le vrai dans la mesure où la situation humaine est telle que tout va au pire si on laisse aller et, par suite, que l'optimisme est un refus volontaire du désespoir, le bonheur apparaissant comme un devoir (cf. Alain: «Il faut jurer d'être heureux» et Camus: «Il faut imaginer Sisyphe heureux»).
- C - Devoir et bonheur. Le problème des rapports du devoir et du bonheur, dont l'union constituerait le Souverain Bien, a toujours été, précisément, un problème essentiel de la philosophie. Kant a fort bien montré que l'exigence naturelle du bonheur et l'exigence morale du devoir ne s'accordent pas nécessairement et qu'en ce monde, l'homme qui fait son devoir est souvent malheureux. Cela demeure vrai, même si l'on admet, avec Rousseau, qu'il y a un certain bonheur à faire son devoir et, avec Alain, que c'est un devoir d'être heureux. Il est des cas où, entre le bonheur et le devoir, l'homme doit choisir, et l'on peut appeler Sagesse l'art de ce choix, le sage étant l'homme qui cherche à être heureux tout en faisant autour de lui le moins de mal possible.
CONCLUSION Vigny se demandait si le bonheur n'est pas seulement une bonne heure. Alain affirme au contraire que « le bonheur, c'est la saveur même de la vie. Comme la fraise a goût de fraise, ainsi la vie a goût de bonheur». Ce n'est pas nier l'existence de la souffrance et de la misère, c'est nier que l'homme soit fait pour elles.