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LARBAUD Valéry

LARBAUD Valéry 1881-1947
Né riche, à Vichy dans l’Allier, son père est propriétaire de la source Saint-Yorre, il est mort riche, à Vichy dans l’Allier. Entre-temps, il a fait le tour de l’Europe et a vécu en homme riche; trains de luxe, bateaux de luxe, grandes capitales avec vitrines de magasins de luxe, vêtements de luxe, femmes de luxe. Voilà, en deux phrases (il faudrait ajouter que frappé en 1935 d’hémiplégie, il demeura 12 ans à souffrir, sans pouvoir écrire ni lire) bouclée la biographie — de luxe — de celui qui, il faut bien le dire, s’est plu à se dissimuler derrière son personnage, A. O. Barnabooth. Le Journal intime d’A. O. Barnabooth a paru en 1913 et ses Poésies en 1923, reprises il est vrai des Poésies d’un Riche Amateur parues sans nom d’auteur en 1908. C’est là le seul recueil de poésies qu’ait donné Larbaud, le reste de sa poésie est dans son œuvre en prose, selon l’adage de Baudelaire: dans Fermina Marquez (1911) où il évoque, de loin, pudiquement, son enfance au collège Sainte-Barbe-des-Champs, dans Enfantines (1918), dans Beauté mon Bon Souci (1923), Amants, Heureux Amants, Jaune, Bleu, Blanc (1927). Sa passion pour la littérature et son cosmopolitisme l’amenèrent aussi à s’intéresser aux littératures de nos voisins, à une époque où ce n’était pas vraiment une mode, et firent aussi de lui un excellent traducteur de Joyce, Svevo, Butler, Whitman, Gomez de la Serna...
♦ « Trop de choses m'intéressent, et je m'arme de paresse pour ne publier que ce à quoi je tiens le plus. » Valéry Larbaud. Propos recueilli par G. Charensol. ♦ « A la base de l'humanisme et de l'européanisme de Larbaud, il y a une idée « impériale », le sentiment d'une civilisation commune aux héritiers de l'empire romain... Larbaud concilie ainsi l'humanisme antique et les humanités modernes; il réussit à les relier, à les fondre. » Benjamin Crémieux. « Un écrivain français contemporain, dont le nom est cité par la jeunesse espagnole avec ravissement et une préférence marquée. » Ramon Gômez de la Sema. ♦ « Larbaud n 'admet pas de séparation entre la poésie et la prose. Il semble avoir fait sien le mot de Baudelaire : Sois toujours poète, même en prose. » Ernst R. Curtius. ♦ « Comment ne pas... dire le respect que j'éprouve pour un homme qui travaille à part et ne participe jamais au tumulte. Recul et noblesse donnent à son œuvre une qualité pareille à celle du silence. » Jean Cocteau. ♦ « Le rénovateur de notre sensibilité. » J. Benoist-Méchin.


Poète, nouvelliste et romancier, né à Vichy. Précoce et, de plus, riche (son père possède les sources de Vichy-Saint-Yorre), il fait éditer dès l’âge de quinze ans ses premières œuvres. À sa majorité, il s’avise de dépenser son immense fortune en voyages dans toute l’Europe, et même au-delà. C’est un peu son portrait qu’il donne au public dans A.O. Barnabooth, œuvre de jeunesse (en sa première version, du moins), mais qu’il ne cessera d’enrichir au cours des années : Livre de M.. Barnabooth, poèmes par un riche amateur (1908), Le Pauvre Chemisier et Journal intime (1913). Son héros est un multimillionnaire sud-américain, grand voyageur, encombré par sa fortune, et qui parvient à vaincre l’ennui, par la grâce d’une curiosité aussi bienveillante que plénière. Parfois d’autres esprits de même qualité dialoguent avec lui (deux nobles : russe et français ; un artiste irlandais), et ceci n’est pas sans rappeler Arthur de Gobineau et ses Pléiades. Mais Larbaud est plus artiste, plus détendu aussi que Gobineau, son prédécesseur en matière de cosmopolitisme, et il n’entend rien prouver; sinon que l’oisiveté, pour qui s’en montre digne, est mère de toutes les délices. Avec lui l’Orient-Express devient un personnage de roman ; et les grands « palaces » internationaux, des thèmes poétiques. Repris d’ailleurs des Cartes postales en vers de J.-M. Levet (ce que Larbaud reconnut de grand cœur en préfaçant les poèmes d’un précurseur aussi modeste), ces cadres et cette imagerie se transmettront bientôt à Paul Morand et, un peu plus tard, au romancier américain Scott Fitzgerald. Après Barnabooth, et avant de se taire définitivement pendant la presque totalité de la période dite d’entre-deux-guerres, Larbaud ne donnera plus que deux livres : un court roman, et un recueil de nouvelles. Le roman, Fermina Marquez (1911), est la troublante histoire d’une jeune fille chez qui le mysticisme fait très bon ménage avec une innocente sensualité. Ce thème de l’adolescente semble d’ailleurs être cher à plus d’un écrivain français (Laforgue, Francis Jammes, Giraudoux, Supervielle), mais c’est la femme, plus encore, qui va colorer, parfumer, envahir le dernier chef-d’œuvre de Larbaud : Amants, heureux amants, précédé de Beauté, mon beau souci et suivi de Mon plus secret conseil (trois récits rassemblés en 1926 dans un même volume). Ici les plaisirs des sens (ce que Bossuet nommait l’« orgueil de vivre ») se don nent carrière sans aucune honte et pour ainsi dire en toute candeur; pure insolence de nabab, qui trouve son excuse dans l’esprit de finesse, la conjonction de la qualité d’âme et de la culture (en un mot la sagesse). Car cet hédoniste est sauvé par son inaptitude à se faire illusion: sur le bonheur, et plus encore sur lui-même. Le second de ces récits se présente comme un unique « monologue intérieur » (sans alinéa sur cinquante pages), technique d’écriture encore toute neuve alors et que l’auteur emprunte explicitement, p. 107, à l’Irlandais Joyce dont il fut l’ami, et à l’occasion, le traducteur. Mais la plus originale, peut-être, de ces trois histoires qu’imagine Larbaud reste Mon plus secret conseil (qui elle aussi, d’ailleurs, procède de la technique du « monologue intérieur »). Quant au thème, il est vraiment particulier à Larbaud : un homme fuit une femme pour en rejoindre une autre, mais, dans le train qui l'emporte, à mesure que passent - emmêlées et chaotiques - les idées dans son souvenir et les images ferroviaires devant ses yeux, il décide peu à peu de renoncer à ce qui était pourtant son but avant ce voyage. Paralysé et aphasique dès 1935, il n’écrira plus que des ouvrages de critique (Ce vice impuni, la lecture, 1925-1941), des essais (Techniques, 1932) ; mais le vrai Larbaud, c’est bien davantage dans son Journal (paru à la veille de sa mort, 1954-1955) que nous le retrouvons, ou dans sa Correspondance avec Fargue (1971).