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LAMARTINE (ALPHONSE DE)

LAMARTINE (ALPHONSE DE)
Alphonse de Lamartine, né à Mâcon le 21 octobre 1792 dans une famille appartenant à la noblesse de robe, passe son enfance à Milly, qu'il rendra illustre par ses Confidences. Après des études chez les jésuites de Belley, il fait un voyage en Italie (1811-1812). Rentré en France au moment où s'écroule le régime impérial, il fait partie des gardes du corps qui accompagnent Louis XVIII à la frontière, d'où il passe en Suisse. En 1816, il quitte la vie militaire ; il est beau, élégant, et se croit malade, rongé de mélancolie, « mal du siècle » des romantiques. C'est à ce moment qu'il s'éprend de l'Elvire des Méditations : la jeune Mme Charles, épouse d'un physicien célèbre ; elle fait une cure au bord du lac de Genève. Ils promettent de s'y retrouver l'année suivante, mais Lamartine y revient seul : elle est morte de tuberculose entre-temps, peu après leur rencontre. En 1820, la parution des Méditations est un succès considérable. Lamartine est nommé secrétaire d'ambassade à Naples et, en passant par Genève, épouse Miss Birch, riche héritière d'une famille anglaise. À Naples sont composées les Nouvelles Méditations, qui paraissent en 1823. Secrétaire puis chef de légation à Florence (1824-1826), à l'avènement du cabinet Polignac il est ministre plénipotentiaire en Grèce ; il publie les Harmonies (1829) et est reçu à l'Académie française. Lors de la révolution de Juillet, qui voit la chute de Charles X, Lamartine abandonne la diplomatie. Après un double échec électoral, le poète entreprend son voyage d'Orient, au cours duquel il perd sa fille (son autre enfant, un fils, est mort un an après sa naissance). Il est élu député de Bergues (Nord) en 1833. À la Chambre, il se classe comme « conservateur indépendant ». Il publie Jocelyn (1836), La Chute d'un ange (1838), Les Recueillements (1839). Adversaire de Thiers et de Guizot, il prédit les événements de 1848, qu'il favorise d'ailleurs par son Histoire des Girondins. Le 24 février, lui, l'aristocrate, pousse à la proclamation de la République et combat la proposition de régence. Il est élu au gouvernement provisoire avec le portefeuille des Affaires étrangères. Son influence conservatrice s'exerce sur la direction générale sans autre rivalité que celle de Ledru-Rollin. Il épargne à la France une intervention étrangère. Le 23 avril, dix départements l'élisent. Le 24 juin, il se retire, cédant la place à Cavaignac. Là se termine sa carrière politique. Les élections présidentielles ne lui donnent qu'un nombre de voix dérisoire. Il se remet à l'écriture, les soucis financiers dus à la fois à son désintéressement et à sa prodigalité l'ayant condamné aux « travaux forcés littéraires », selon sa propre expression : Les Confidences, Raphaël, Les Nouvelles Confidences, L'Histoire de la Restauration, Graziella (1852), Cours familiers de littérature (1856) et autres ouvrages d'histoire ou de morale politique voient successivement le jour. Afin de calmer les usuriers, mais sans y parvenir, il doit vendre Milly. Sa femme meurt en 1863. Sa nièce veillera avec dévouement sur ses dernières années. Pour le mettre à l'abri de la gêne, une souscription publique est ouverte en 1858, et le gouvernement impérial le pensionne et lui fait don d'un chalet à Passy (banlieue de Paris) où il s'éteint le 25 février 1869, les mains crispées sur le crucifix que Julie Charles, son « Elvire », avait elle aussi tenu sur son lit de mort.


LAMARTINE Alphonse de
1790-1869
Poète et homme politique, né à Mâcon. D’origine noble, mais sincèrement attaché à la démocratie (sous sa forme libérale, tout au moins), Lamartine s’est voulu avant tout un homme d’action, et pour le reste, selon ses propres termes, « amateur très distingué » en matière de poésie. Dès 1820 il entre dans la carrière diplomatique, se marie, et reçoit de son père à cette occasion le château de Saint-Point en Bresse (après une idylle en 1816 avec la femme d’un savant, Mme Julie Charles, qui meurt, phtisique, deux ans plus tard). Député de 1833 à 1848, membre du gouvernement provisoire aux côtés du socialiste Louis Blanc (février 1848), if est nommé, sitôt après l’échec de la révolution populaire en juin 1848, ministre des Affaires étrangères. Il sera même, sans aucun succès, candidat à la présidence de la République. Et bientôt il met fin à sa carrière politique (1851) dès le premier jour de la dictature de Louis-Napoléon, qu’il vomit. À cette date, il a publié tous, les dix ans - 1820, 1830, 1839 - un recueil de vers (Les Méditations..., Les Harmonies..., Les Recueillements) et, d’autre part, trois ouvrages qu’il juge plus sérieux : en 1831, La Politique rationnelle ; en 1834, Les Destinées de la poésie (où il rêve que les poètes deviennent les auxiliaires de l’action militante et de l’Action tout court) ; enfin L’Histoire des girondins (1847), qui reçoit un accueil enthousiaste du côté des libéraux. Les idées du politicien Lamartine sont très simples : il faut satisfaire le plus possible les revendications légitimes du peuple et ce, dit-il, pour empêcher la misère d’être envieuse et oppressive. En matière de religion, l’homme évolué a le droit d’être sceptique (La nature et les yeux, c’est toute ma science, proclame pour sa part le poète, qui a perdu la foi de ses pères), mais il est bon que le peuple, lui, croie en Dieu. Au total, Lamartine est en politique un démocrate sincère mais modéré ; or, à l’époque, c’était encore trop. On le lui fit bien voir, et plus d’une fois. Il tint bon cependant. C’est en 1851 (à soixante ans) que l’homme politique, écœuré par les procédés de ses adversaires, devient un écrivain et un littérateur professionnel. « Littérateur », d’ailleurs, essentiellement ; quoique la mort dans l’âme : endetté, il devra compiler pour vivre une Histoire de Turquie, une Histoire des constituants, une Histoire de Russie, etc. Il a le temps aussi d’écrire, en 1851, le délicieux Tailleur de pierre de Saint-Point-, et d’autres œuvres, un peu « attendries » (Les Confidences, 1849, qui contiennent la célèbre nouvelle : Graziella). Quant à la poésie - sublime enfantillage dont je ne veux plus, déclarait-il en 1842 -, il y revient à l’occasion; et, dans son Cours familier de littérature, il insère un poème de trois cents vers, La Vigne et la maison, que l’on tient en général pour son chef-d’œuvre et qui est, tout au moins, la plus ample de ses élégies. À proprement parler, toute l’œuvre poétique de Lamartine se situe dans ce même registre, grave et doux, de l’élégie. Dans Les Méditations poétiques : Le Lac, Le Soir, L’Automne, L’Homme, La Prière. Dans Les Harmonies poétiques et religieuses : Milly ou la Terre natale et Le Chêne (rêverie sur un arbre séculaire). Certes, dans Les Recueillements, l’inspiration est volontiers « sociale » et « humanitaire » ; de plus en plus, il semble que Lamartine regrette les années passées à chanter : Frère, le temps n’est plus ou j’écoutais mon âme / Se plaindre et soupirer comme une faible femme. Quant à La Vigne et la maison, ode très développée (1857), où le poète, vaincu, abandonné de tous, en est réduit à converser avec son « âme », l’art chaleureux et l’émotion douce qui l’animent semblent renouer avec l’esprit juvénile des Méditations (Le Lac, Le Vallon) : art sincère, de toute évidence, mais sans plus. Dans son sujet, dans sa forme dialoguée, c’est une réminiscence des Nuits de Musset. Et si le recours massif aux symboles (procédé qui lui est cher ; voir le chêne « séculaire » des Harmonies) porte avec efficacité sur la sensibilité des lecteurs, que dire par contre de la valeur en soi des images qu’appelle à son aide le poète : maison qui vibre comme un grand cœur de pierre...
Où le chaume et la tuile abritent tout l’essaim, Où le père gouverne, où la mère aime et prie, Où dans ses petits-fils, l’aïeule est réjouie De voir multiplier son sein.
La musique du vers, chez Lamartine, est belle ; surtout du point de vue de la « mélodie » sonorités suaves, un peu monotones. Quant au rythme il faut louer du moins sa régularité. Rien de la véhémence, des heurts inattendus et des syncopes du vers hugolien ; rien non plus de la grâce nervalienne toute en rebondissements, en cambrures, en déhanchements. Lamartine ignore le jeu du déplacement des accents, qui innerve le pacifique alexandrin. Alfred de Vigny, dans son Journal d’un poète, s’étonnera du contraste paradoxal, chez un écrivain qu’il estime par ailleurs, entre le caractère « mou » de sa nature profonde et cet aspect trop implacablement régulier dans la structure prosodique de ses poèmes, dû à l’insistance d’une rythmique sans imagination : « Lamartine exprime des idées vagues avec dés paroles déclamées militairement. » Une exception dans cette œuvre : La Chute d’un ange (1838), long récit épique, peut-être inspiré de l’Éloa d’Alfred de Vigny. L’ange Cédar est condamné à devenir un homme, pour avoir aimé une mortelle; Daïdha, fille de Satan. Certains tableaux surprennent par leur puissance d’évocation : la traversée de l’espace par les deux amants ; leur fuite à travers la forêt primitive ; ou encore le combat, près du rivage, de l’ange et du gigantesque Djezid (Et le pressant dans l’eau sous son genou robuste / Ouvre de ses deux mains la gueule du géant / Et par ce gouffre noir entre le flot béant...). Tout se passe comme si Lamartine se révélait poète dès qu’il ne parle plus du poète Lamartine, mais qu’il nomme simplement ce. qu’il voit. Ces « visions » (nom qu’il donne à juste titre aux différents épisodes de son récit), riches de vie et non dénuées parfois de vigueur, nous font oublier bien des « méditations » ou « recueillements ». Le conteur (en vers) de La Chute d’un ange, ainsi que, parfois, le conteur en prose du Tailleur de pierre de Saint-Point (ne parlons pas de Jocelyn, qu’il a lui-même renié : pastorale niaise, affirme-t-il), est pour le lecteur accablé du Soir et de La Terre natale une bonne surprise. Non pas que ce changement de registre fasse disparaître ses habituels défauts sur le plan de la forme (longueurs, et manque de variété dans les « tonalités »). Du moins parvient-il à retenir quelque temps l’attention ; et son débit - facile, abondant, un peu trop paisible - se colore ici de façon inattendue. Lamartine a été considéré comme le rival ou du moins l’égal de Victor Hugo tout au long du XIXe siècle ; aussi bien, ses lecteurs du XXe siècle, indignés à l’idée qu’on ait pu mettre en balance, hier, l’homme du Lac et l’homme des Châtiments, se croient-ils moralement tenus de réparer cette erreur, et, à cet effet, de tomber dans l’erreur inverse qui consiste à nier Lamartine en bloc. Il semble précisément que la critique moderne (en particulier depuis les travaux d’Henri Guillemin) s’efforce, entre deux excès, de rétablir une juste définition de ce poète, qui aura peut-être encore une chance, quelque jour.


LAMARTINE Alphonse Marie Louis de. Poète, écrivain, orateur et homme d’Etat français, il naquit à Mâcon le 21 octobre 1790 et mourut à Paris le 28 février 1869. Son père, Pierre de Lamartine, chevalier de Pratz, capitaine de cavalerie au régiment Dauphin jusqu’en 1791, où il quitta volontairement la capitale et l’armée, n’avait fortune et rang que de cadet; sa mère, Alix des Roys, fille de la gouvernante des enfants d’Orléans à Paris, épousée par amour, avait reçu une solide culture classique au chapitre noble de Saint-Martin en Beaujolais; elle en avait rapporté un sincère sentiment de piété. Lamartine appartient donc à l’élite de la bourgeoisie et à la noblesse dite de robe; son grand-père et son oncle Louis, possesseur du château et du domaine de Montceau, firent au total assez fastueuse figure dans leur province, mais ses aïeux ne remontent pas plus haut que le XVIe siècle. Le chevalier de Lamartine, dès son retour en Bourgogne, décida de vivre sur sa modeste part d’héritage, le vignoble de Milly, proche de Mâcon. Légitimiste fervent, qui avait combattu le 10 août 1792, pour la défense des Tuileries, il considéra dès le début Bonaparte, consul et empereur, comme « un usurpateur », et se condamna, en pleine maturité, à une morose retraite. A Alphonse, entre 1790 et 1802, il donna six sœurs — dont une mourut en bas âge. La première éducation de Lamartine eut lieu ainsi en pleine campagne parmi des fils de vignerons et de manouvriers. Il fréquentait l’école rurale tenue par le jeune abbé Dumont, vicaire de la paroisse de Bussière, limitrophe de celle de Milly ; il reçut de lui ses premières leçons de latin et de français. Aux veillées, sa mère contrôlait et complétait son instruction; elle écrivait elle-même avec élégance : Fénelon et Racine étaient ses dieux, et Alphonse en récitait des pages. Au printemps de 1801, il est placé comme interne à Lyon dans la pension Puppier; il s’en évade; repris, il s’y ennuie cruellement. A partir d’octobre 1803, il trouva un climat plus favorable au collège de Belley, tenu par les pères de la Foi. Il y parcourut, jusqu’au début de 1808, le cycle régulier des classes, de la troisième à la philosophie; il y remporta des succès scolaires appréciables et y noua de solides liens d’amitié avec trois de ses camarades, Aymon de Virieu, Louis de Vignet, Prosper Guichard de Bienassis; avec le premier qu’il appelait sa « conscience », bien que tous deux différassent d’idées et de convictions politiques, il entretint une correspondance faite de confidences et de discussions; elle devait durer jusqu’à la mort d’Aymon en 1841. De 1808 à la Première Restauration, Lamartine demeure à Milly; un séjour à Mâcon, dans le commun hôtel familial, rompait pour lui en hiver la monotonie des jours. Les siens ne pouvant rien faire de lui, ni dans l’armée, ni dans la diplomatie, ni dans l’administration, puisqu’il eût ainsi servi Napoléon, se décidèrent à tolérer qu’il ne fît à peu près rien. Oisiveté tout apparente; c’est dans ces années, entre ses dix-sept et ses vingt-quatre ans, que le jeune homme sent s’affirmer sa vocation poétique déjà éveillée à Belley; un peu au hasard il fait d’amples lectures. Il se donne ainsi, sans que les siens s’en doutent, une formation personnelle qu’un voyage va compléter, Envoyé en Italie, de juillet 1811 jusqu’à mai 1812, il découvre a Florence, à Rome, surtout à Naples, l’éblouissement et la volupté de la lumière d’outre-monts; c’est à Naples qu’il séjourne le plus longtemps, — près de cinq mois —reçu chez un cousin de sa mère qui y dirigeait la manufacture des tabacs; il y entretient une intrigue ardente avec une jeune fille qui tenait dans la maison le rôle d’intendante; par cette Antoniella, dont il devait faire, quarante ans plus tard, la pudique Graziella , il eut la révélation de l’amour, à la fois enivrant et désintéressé. L’influence de ce voyage fut décisive. Aux premiers jours de la Restauration, M. de Lamartine obtient pour son fils une place de garde de corps de Louis XVIII, acceptée avec entrain; à Beauvais d’abord, où il tient garnison, puis à Paris où il fait, quelques semaines, le « service du château » aux Tuileries, Lamartine s’y ennuie; après s’être exilé en Suisse pendant les Cent-Jours, pour échapper au service de Napo léon, il se fait rayer des contrôles. Sa vocation littéraire l’emporte décidément sur toutes les ambitions. Ses premiers essais montraient en lui un disciple de Voltaire, de Parny, et aussi de Chateaubriand. Dès 1813, il a commencé d’écrire un poème épique et national sur Clovis. Dans le même temps, il met en chantier une tragédie biblique, Saül , une tragédie antique, Médée, deux tragédies historiques, Brunehaut et Mérovée. Voilà pour les « grands genres ». Mais voici des inspirations plus intimes : «quatre petits livres d’élégies», écrites pour célébrer le séjour à Naples et l’ardente figure de la Napolitaine; elle était morte, hélas ! poitrinaire, en janvier 1815 et il l’avait harmonieusement appelée « Elvire ». A l’automne de 1816, il était venu à Aix-en-Savoie, près du lac du Bourget, pour soigner une crise de foie; c’est à l'âme surtout qu’il souffrait. Dans la pension de famille où il était descendu, il rencontra une jeune femme qui achevait sa cure : Mme Julie Charles, femme du « physicien » illustre, membre et bibliothécaire de l’institut qui, en 1783, avait accompli avec succès la première ascension scientifique. Pâle et brune, Mme Charles était, à trente-deux ans, menacée par la phtisie. Un mutuel attrait, dès le premier échange de regards, réunit les deux isolés. Brève idylle : dès le 26 octobre, Mme Charles regagnait Paris. Lamartine l’y rejoignait au début de janvier 1817; reçu par elle en son salon de l’institut, présenté aux amis royalistes qui fréquentaient ce cercle un peu fermé — entre autres au philosophe Bonald — il ne repartit pour la Bourgogne qu’au début de mai. Tous deux étaient convenus de se retrouver en août au bord du lac de Savoie; Mme Charles, dont le mal avait progressé, ne put faire le voyage; Lamartine l’attendit plusieurs semaines, en vain. Dès la fin d’août il commença d’esquisser I’« ode » qui, sous le simple titre, Le Lac, deviendra la plus célèbre des Méditations poétiques — poème où après avoir évoqué une promenade faite sur ces flots l’année précédente, après avoir rythmé le chant de la jeune femme, il conjurait la nature, moins périssable que l’homme, de conserver le souvenir de l’ivresse passée. Mme Charles mourut en décembre suivant, réconfortée par un retour à la foi chrétienne, après avoir légué à Lamartine le crucifix sur lequel s’était posée sa « bouche expirante ». Pendant deux ans Lamartine se partage entre Mâcon et des séjours à Paris, où il est accueilli avec faveur dans les salons; il y subit, en 1819, la « séduction » d’une « passion ardente et involontaire » pour une radieuse Italienne, véritable « Circé », « magicienne », épuisante; cette « comtesse Léna » de Larche le divertit de son regret, sans lui faire oublier Mme Charles. Il travaille aussi à Saiil, qu’il lit sans succès à Talma, et, à des intervalles inégaux, il laisse couler de son cœur des élégies ou des méditations qu’il soumet à Virieu; ce sont tantôt des strophes ou des quatrains, L’Isolement, Le Vallon, L’Automne, tantôt des sortes de « discours en vers », plus harmonieux, plus nourris de sentiments que ceux de Voltaire, Dieu, La Foi, L’Homme, L’Immortalité. Elégies ou discours, il en donne des lectures dans plusieurs salons parisiens; Villemain, alors jeune professeur en Sorbonne, l’abbé-duc de Rohan, se joignent à ses admirateurs. Une rumeur de renommée monte autour de son front charmant. C’est pour y satisfaire — et pour l’éprouver — qu’il accepte de laisser imprimer, à cinq cents exemplaires, le recueil des Méditations poétiques. Il n’en attendait point la gloire, tout au plus une estimable réputation; or, ce fut, dit plus tard Sainte-Beuve, une « révélation ». Toute une génération, la première génération des romantiques, y découvrit en des images amples et simples, en des rythmes souples, la poésie du sentiment, de l’inquiétude religieuse, de la foi, bref toute la poésie pure qui enivre et qui plane. Pour cette génération, Lamartine fut en même temps un Racine moderne et un Chateaubriand en vers. Pendant dix ans, d’avril 1820 au lendemain de la Révolution de 1830, le poète suivit la carrière de la diplomatie; carrière coupée par de longs congés; il ne fut « en poste » qu’à Naples comme « attaché », jusqu’au début de 1821, et à Florence, comme secrétaire de légation, du printemps de 1825 à l’été de 1828; un peu moins de cinq années au total. Marié des le mois de juin 1818, à Chambéry, sur le chemin de l'Italie, avec une Anglaise convertie au catholicisme, Mlle Marianne-Élisa Birch, qui fut pour lui une épouse pleine d’admiration et de dévouement, il vécut, pendant ses congés, en Bourgogne; son père lui avait fait présent du vieux château de Saint-Point, à proximité de Mâcon, qu’il restaura dans un style faussement gothique, mais où, à l’intérieur, il installa le « confort anglais ». Paris ne le voyait que pour d’assez brefs séjours; il noua de sûres amitiés avec ses confrères plus jeunes : Victor Hugo, A. de Vigny, Émile Deschamps; il ne fréquenta point cercles littéraires et cénacles; les premiers romantiques — ceux de La Muse française ou ceux du Globe - acceptaient que sa gloire indiscutée les dominât d’un peu haut, d’un peu loin. A l’automne de 1823, Lamartine, à peu de jours d’intervalle, publia, chez un nouvel éditeur, deux recueils nouveaux. Les Nouvelles Méditations répondaient, en apparence, par leur titre et par leurs sujets à l’attente du public; cependant, la composition en était plus artificielle que celle du volume de 1820; elles étaient formées surtout d’élégies, d’odes et de stances. Cependant, les Nouvelles Méditations, plus variées et diverses que les premières, n’obtinrent qu’un demi-succès. La Mort de Socrate eut plus d’admirateurs. Les mêmes qualités d’élégance, mais non point toujours de mesure, se retrouvent dans le poème qu’on pourrait appeler « La Mort de Byron » et qui parut en 1825 sous le titre : Le Dernier Chant du pèlerinage d’Harold . En cette année 1825, au moment où il va partir pour Naples comme secrétaire de légation, un vaste projet, connu seulement de quelques intimes, occupe l’imagination de Lamartine : celui d’un vaste poeme conçu le 20 janvier 1821, au sortir de Naples, comme il remontait par Rome, vers la France. Cette « épopée de l’âme », il l’a, plus tard, définie « l’histoire de l’âme humaine et de ses transfigurations à travers des existences et des épreuves successives depuis le néant, jusqu’à la réunion au centre universel : Dieu... ». Ce poème mystique autant qu’épique faisait ainsi une large place à l’histoire de l’humble humanité, incarnée en quelques-uns de ses fils de choix; leur destin se fût déroulé en une suite d’« épopées » significatives, et le poète, « barde de Dieu », eût aperçu le développement de ces tableaux comme une série d’harmonieuses « visions ». — Ainsi avait abouti la fermentation épique qui, depuis sa jeunesse, travaillait l’imagination de Lamartine. En 1824, il avait tenté de disposer sur le chantier une ou deux des « visions » prévues; le loisir lui avait vite manqué. Quand pourrait-il se retourner vers le « grand œuvre » ? A Florence, de 1825 à 1828, ce sont d’inépuisables chants qui sortirent de son âme, des chants à la gloire de Dieu qu’il appelait des « psaumes modernes ». Pour la première fois, peut-être, il se sent l’âme comblée; si, en octobre 1822, il a perdu, après quelque dix-huit mois, son premier enfant Alphonse, sa fille Julia est née peu de semaines plus tard; âgée alors de quatre ans, elle est devenue, par sa gentillesse et sa précocité, l’objet de son adoration; avec Marianne-Elisa, elle est, ici, le sourire de son foyer. Près d’elles, il est heureux et serein; l’enivrement du ciel et du paysage toscans ajoute à son bonheur. Par l’intermédiaire de la nature, en des êtres qu’il aime, son âme s’élance jusqu’à Dieu; elle s’exprime en des hymnes, en des cantiques d’un lyrisme abondant, musical et pur, en des effusions « sans liaison, dit-il, sans suite, sans transition apparente » dont l’ensemble formera une symphonie à la gloire de la divinité; avec elle l’homme et la nature, qui sont également son œuvre, constituent les notes fondamentales de l’« harmonie » universelle que le poète tâche de dégager. Du mois de mars 1826, date, semble-t-il, des deux premiers morceaux, L’Hymne du matin et L’Hymne du soir dans les temples, part le déroulement de ce large flot poétique; à peine si Lamartine se retourne une fois vers Milly ou la terre natale; en 1828, L’Infini dans les deux reprend, en l’élargissant, l’inspiration stellaire des Etoiles de 1823; et la suite dite des « Quatre Grandes Harmonies », Jéhova, Le Chêne, L’Humanité, L’Idée de Dieu, ramasse et condense la démonstration du recueil entier; tout dans l’univers, mais aussi dans l’histoire, tout parle de Dieu, tout démontre sa présence. Retrouvée à l’automne de 1828, la France lui rendit son âme tourmentée; il écrivit L’Hymne de la mort et le magnifique Hymne au Christ, dernier acte public de sa croyance chrétienne. Dès l’hiver de 1829, le poème intitulé Novissime verbe [Les dernières paroles], après un regard jeté sur le passé de l’auteur, ne traduit plus que de l’inquiétude, du regret et du doute; et bientôt, remontant jusqu’à l’Italie de 1812, le Premier Regret pleure sur la tombe de la Napolitaine, morte en 1815, que Lamartine appellera Graziella. Ces dernières Harmonies ne méritaient plus leur nom; elles n’étaient que les plus douloureuses et amères des Méditations. Mais par la virtuosité débordante de la forme, elles ne faisaient point disparate. Lorsque, le 15 juin 1830, parurent les Harmonies poétiques et religieuses réparties entre Quatre livres, si quelques-uns en discutèrent l’inspiration qu’ils ne jugeaient point assez variée, tous admirèrent la maîtrise poétique de l’inspiré. Deux événements, à cette date, avaient fait époque dans sa carrière; élu à l’Académie au début de novembre, il venait d’y prendre séance le 1er avril; au lendemain de la « victoire d’Hernani » sur le Théâtre-Français, sa réception avait revêtu l’allure d’un triomphe de l’« école nouvelle ». Mais un deuil cruel obscurcissait secrètement ce triomphe; au milieu de novembre, comme il était encore à Paris, sa mère, à Mâcon, avait été victime d’un affreux accident; ébouillantée dans un bain, elle était morte en trois jours : « Chaque jour, je sens plus — écrivait-il bientôt — que j’ai perdu la moitié de ma propre existence. » Un troisième événement, la proche révolution de Juillet, renforçant l’action des autres, allait pratiquer comme une coupure dans sa destinée. C’est donc au lendemain des Harmonies que s’achèvent ses dix premières années de gloire. Mais ce premier Lamartine va se modifier. En octobre 1830, le poète eut quarante ans; alors commença pour lui l’époque de ce qu’on peut nommer « les grands desseins ». Il voulut ajouter à la gloire littéraire celle d’un député, d’un orateur, d’un homme d’Etat. Après s’être démis de son emploi dans la diplomatie, pour demeurer fidèle à la branche aînée des Bourbons, il accepta de poser sa candidature à la députation dans la petite ville de Bergues, capitale électorale d’une circonscription dépendante de Dunkerque : l’un de ses beaux-frères résidait aux environs. Il lui manqua, le 6 juillet 1831, dix-sept voix pour être élu. Le poète satirique Barthélémy l’ayant violemment attaqué dans son journal la Némésis, Lamartine, le jour même du vote, riposta par des strophes enflammées. Au milieu de 1833, cependant, Lamartine quitte la France pour accomplir fastueusement, avec les siens et quelques amis, un long voyage en Orient. Il a nolisé pour lui seul un brick, l’« Alceste », qui, en deux mois de navigation, avec une brève escale à Athènes, le mène à Beyrouth, où il installe sa femme et sa fille. De là, en des courses successives, il visitera le Liban, les Lieux Saints (Galilée et Palestine, avec Jérusalem), les ruines de Balbeck et Damas; le retour aura lieu par Constantinople, les Balkans et la vallée du Danube; Lamartine ne sera qu’en septembre 1833 à Saint-Point; et il y transférera aussitôt, de Marseille où l’« Alceste » l’avait ramené par mer, le cercueil de sa fille, la petite Julia, déjà malade au départ et qu’une crise de phtisie avait emportée à Beyrouth en décembre; deuil que, dans le récit même du voyage, d’admirables vers, Gethsémani, allaient immortaliser. Quels sentiments, cependant, avaient décidé Lamartine à s’acquitter de ce pèlerinage ? Dans cette aventure, autant que le poète, c’est l’homme entier qu’il engageait. Quelques amis, seulement, comme Virieu, en avaient reçu la confidence; depuis les environs de 1830, la foi chrétienne, en lui, vacillait. Il espérait la raffermir au tombeau du Christ; il espérait même y recevoir une sorte de révélation qui ferait de lui comme un prophète, au-delà des dogmes et des liturgies, d’une forme plus rationnelle de la croyance. Hélas ! des Lieux Saints, il ne rapporte que sa fille morte et sa croyance agonisante. Les quatre volumes intitulés : Souvenirs, Impressions, Pensées et Paysages pendant un voyage en Orient, publiés en 1833, laissent saisir en plein travail de renouvellement les idées de Lamartine sur la poésie et sur le monde. Ses réflexions inclinent vers le libéralisme et vers un libéralisme de plus en plus affranchi du dogme chrétien. Dans les années suivantes, sans rien renier nettement des croyances catholiques, il va se faire l’apôtre de ce qu’il appellera parfois un « christianisme libéral et social ». Pendant son voyage, en mars 1833, les électeurs de Bergues avaient fait de lui leur député. L’année suivante, il deviendra conseiller général de Mâcon; en 1837, obligé au choix, il abandonne ses commettants du Nord pour ses compatriotes dont il demeurera le représentant jusqu’à la fin de sa carrière politique. De 1833 à 1840, refusant de servir dans la Chambre aucun parti — on connaît son mot : « Je siégerai au plafond » —, il groupe autour de lui un nombre croissant de sympathies, créant ainsi le « parti social », lequel ne doit s’occuper que « de ce qui peut être utile ou nuisible à la société ». Et rapidement, par un effort discipliné, il s’assure l’aisance et la maîtrise oratoires. Ce poète a le secret des formules frappantes; dès la fin de 1838, dans un discours où il rallie 221 voix autour du ministère Molé, il crie à tous les partis, au risque de les mécontenter tous : « Les générations qui grandissent derrière nous ne sont pas lasses, elles; elles veulent agir et se fatiguer à leur tour. Quelle action leur avez-vous donnée ? La France est une nation qui s’ennuie ! » Ainsi, dans ces années-là, sur le plan politique, menait-il peu à peu son ambition vers les cimes. Mais il n’oubliait point le grand dessein littéraire de son adolescence; de l’épopée humaine, humanitaire et mystique conçue en 1821, il écrivait deux chants ou plutôt deux « visions », dressait ainsi les deux piliers extrêmes qui devaient servir de soutien à cette construction monumentale : Jocelyn et La Chute d’un ange . Jocelyn ne fut d’abord, à l’automne de 1831, dans l’esprit de son auteur, qu’un récit élégiaque, un « poëmetto », de ton plus ou moins familier, les Mémoires du curé de... ; et ces Mémoires eussent conté l’aventure survenue, pendant la Révolution, au futur abbé Dumont, premier maître du poète. Interrompue par les préparatifs du pèlerinage oriental, la rédaction fut reprise dans l’automne de 1834. Jocelyn, Episode, Journal trouvé chez un curé de campagne, parut en deux volumes en février 1836; il comportait alors neuf « époques », dont la dernière était particulièrement longue et importante. Le succès de Lamartine avait, de nouveau, touché la France au cœur et retrouvait, sur un autre plan, le prestige des Méditations. L’œuvre, au total, est bien, comme le désirait son auteur, un poème épique, fondé sur l’idée du sacrifice; une apothéose de la vie simple et de la résignation. Il voulait en faire, aussi, comme un chef-d’œuvre de style familier. Défauts et qualités éclatèrent plus nettement dans La Chute d’un ange, dont les deux volumes parurent au printemps de 1838; dans ce vaste tableau de « poésie antédiluvienne, primitive, orientale » et biblique, Lamartine affichait comme une volonté de grandeur : il l’appelait aussi « un fragment dantesque ». Entre une pastorale, presque biblique, et un monstrueux mélodrame presque infernal, se place un épisode capital. En haut du mont Carmel, les deux époux ont trouvé refuge dans la grotte du prophète Adonaï, seul juste de ces temps corrompus, seul adepte pur de la religion primitive du « culte d’esprit et de vérité », révélé par Dieu même aux premiers hommes. Il donne lecture à ses hôtes des fragments principaux du « Livre Primitif » où est consignée cette révélation vénérable; occasion pour Lamartine d’exprimer les principes religieux, philosophiques et sociaux qui ont pris forme en son esprit depuis son retour d’Orient. Cette « huitième vision » de la Chute semble ainsi promulguer les dogmes essentiels de son « christianisme rationnel ». Elle constitue sans doute, avec La Bouche d’ombre de Victor Hugo — Les Contemplations — le plus bel effort du romantisme dans le genre bientôt périmé de la « poésie philosophique ». La Chute d’un ange, qui contient cependant quelques-unes des plus grandes pages de Lamartine, n’obtint qu’un succès discuté. Au printemps de 1839, Lamartine assembla dans Les Recueillements poétiques les poèmes, alors inédits ou non. fruits incertains de trop rares loisirs. Les deux derniers étés, surtout, à Saint-Point, l’inspiration l’avait visité avec une largeur, parfois même une violence d’émotion qui l’avait laissé tout vibrant. La mort de Louis de Vignet avait rouvert pour lui la source des souvenirs. La réflexion politique et sociale avait, d’autre part, éveillé en lui plus d’un rêve et d’une suggestion. Il avait été amené, en outre, à composer plusieurs poèmes dits de circonstance. Et quelles strophes de circonstance que celles qui lui avaient été arrachées par la mort de sa fille ! Deux ans encore et, au printemps de 1841, La Marseillaise de la paix distendra témérairement cet amour de l’humanité par-dessus les préjugés et les frontières des nations. A partir de 1840 environ, des deux grands desseins de Lamartine, le second, l’ambition politique, l’emporte décidément. Il devient puissant orateur, opposant, et redoutable a la monarchie de Louis-Philippe; tous ses loisirs, jusqu’en 1847, il les consacre à dresser la monumentale Histoire des Girondins , œuvre de poésie plus encore que d’histoire, écrite pour le peuple, et destinée à lui donner « une haute leçon de moralité révolutionnaire, propre à l’instruire et à le contenir à la veille d’une révolution » — d’une nouvelle révolution de 1789 et de 1791, qu’il s’agira d’arrêter avant 1793. Lorsqu’elle éclate le 24 février 1848, l’auteur des Girondins est l’un des fondateurs de la Seconde République et, depuis le soir du 25 où, à l’Hôtel de Ville, debout sur une chaise de paille, il fait, à force de courageuse éloquence, écarter l’adoption du drapeau rouge, il exerce sur la France et l’Assemblée, comme membre du gouvernement et Ministre des Affaires Etrangères, ce qu’on a pu appeler « trois mois de dictature oratoire », ce qu’on pourrait nommer aussi « trois mois de poétique espérance » ; les « journées de Juin » font écrouler son prestige; et, en décembre suivant, au plébiscite pour la Présidence de la République, la France entière lui accorde moins de vingt mille suffrages. Son rôle politique est terminé. Un autre souci entre alors profondément dans sa vie et l’écrase. Les embarras financiers, qui s’étaient manifestés pour lui dès le lendemain de 1830, l’accaparent après 1849. Comment vivre en éteignant d’immenses dettes ? Ses vignobles, ses châteaux de Bourgogne lui coûtent, certaines années, plus qu’ils ne lui rapportent. Il ne peut compter que sur sa plume. Il se condamne lui-même, comme il dit, « aux travaux forcés littéraires ». Point de répit. Il publie d’abord une série de romans autobiographiques en préparation depuis plusieurs années, où il cède à l’instinct d’idéaliser son passé : Confidences (1849) dont il détache l’épisode Graziella, vite aussi célèbre que Paul et Virginie , les Nouvelles Confidences , Raphaël , transposition souvent romancée des amours avec Mme Charles; œuvres séduisantes et souples, à mi-chemin souvent du poème et de la réalité. La même formule caractérise deux romans, Geneviève, histoire d’une servante (1851), Le Tailleur de pierres de Saint-Point : ici et là, les personnages sont des humbles qui, par un effort quotidien, s’élèvent jusqu’à l’héroïsme de la vertu; Lamartine semblait inaugurer ainsi une forme familière du roman social. Attiré par un dernier voyage en Asie Mineure, où le sultan lui a concédé un vaste domaine, le poète doit se contenter de publier le récit pittoresque de ce Nouveau Voyage en Orient. Il entasse ensuite des compilations historiques, de deuxième ou de troisième main : l'Histoire de la Restauration, qui est la meilleure parce qu’il a connu de près certaines années dont il rend bien l’atmosphère; l'Histoire des Constituants; de la Turquie; de la Russie. A partir de 1856. enfin, il fait paraître, par livraisons mensuelles, un Cours familier de littérature , dont il est l’unique rédacteur, pour lequel, chaque année, il sollicite les réabonnements. Tant d’efforts ne le libèrent pas; en 1861, il est contraint de consentir a la vente de Milly — « Sauvez donc des patries ! » écrit-il amèrement — puis, à celle du château familial de Montceau; à bout de forces, enfin, il dut accepter de la ville de Paris la concession d’un chalet à Passy, et du Corps Législatif, sur la proposition de l’Empereur, le vote d’une « pension nationale » de vingt-cinq mille francs. Sous cet amas de besognes et de soucis matériels, la poésie lamartinienne, cette « respiration de l’âme », n’était point morte. A plusieurs reprises, dans cette vieillesse laborieuse, de hautes inspirations revinrent le solliciter. En 1856, les « souscripteurs » du Cours de littérature eurent la surprise d’y lire une méditation poétique, Le Désert, poème philosophique laissé inachevé en 1833, dialogue entre l’âme du poète et l’esprit de Dieu. Surtout, en 1857, le quinzième entretien leur présentait La Vigne et la maison, dialogue entre mon âme et moi, sublime élégie composée un soir de vendanges, à l’ombre de la maison de Milly; sorte de symphonie à deux voix, où résonnent toutes les harmonies de la vieillesse, du souvenir, de la mort; large composition en mineur couronnée par la voix d’une espérance douce et résignée. Le poète semble, ainsi, inaugurer une suprême « manière », plus musicale et dépouillée; il prélude aux trouvailles de la génération symboliste. Il s’éteignit paisiblement le 28 février 1869, réconforté par le sourire de sa nièce et fille adoptive Valentine (à laquelle il semble qu’en 1867 l’ait lié un mariage secret), à côté du crucifix d’Elvire. Autour de lui, le Paris du Second Empire littéraire ou politique l’avait oublié. Pendant tout le romantisme et préludant à l’âge symboliste, il avait été le maître de la poésie pure.


Lamartine, Alphonse Marie Louis de Prat de (Mâcon 1790-Paris 1869); écrivain et homme politique français.
Après ses humanités, complétées par des voyages en Italie, L., fils d’un officier de cavalerie et d’une femme d’esprit, végète longtemps dans une rêveuse incertitude quant à sa vocation professionnelle. Après la publication en 1820 d’un premier recueil de poèmes, Méditations poétiques et religieuses, il est célébré comme l’un des grands poètes romantiques. Il s’essaie ensuite à la diplomatie (comme chargé d’affaires à Florence de 1825 à 1828) au service de Charles X, sur lequel il compose un éloge après avoir reçu la Légion d’honneur. Il abandonne la carrière diplomatique après la chute du roi et est élu en 1833 à la Chambre des députés dont il fait partie jusqu’en 1848. Bien qu’opposant, il accepte par ambition et réalisme la monarchie de Juillet, mais demeure indépendant de tout parti. Malgré un don oratoire exceptionnel, il exerce une faible influence politique. Désappointé, il se détache du camp orléaniste au pouvoir et se rapproche de l’extrême gauche. Il se définit lui-même
comme un « démocrate conservateur ». Il est l’un des premiers à exiger à la Chambre une politique sociale active au bénéfice des couches défavorisées. La question lui tient du reste très à coeur. Il contribue d’une manière décisive à la chute de la monarchie de Juillet, en participant aux « Banquets réformistes », mais surtout en publiant une Histoire des Girondins en 8 volumes (1847), d’un patriotisme passionné plus que scientifique, dans laquelle il affirme que « toute vérité descend de l’échafaud », et en diffusant les idées et idéaux démocratiques. Le 24 février 1848, il réclame la création d’un gouvernement provisoire (mais non la république), dans lequel il devient ministre des Affaires étrangères. A l’intérieur, il tient courageusement tête à tous les extrémistes s’opposant en particulier à l’adoption du drapeau rouge ; à l’extérieur, il développe dans une lettre circulaire aux chancelleries européennes un programme passablement utopiste. Sa popularité est si grande que dix départements (totalisant dix millions de voix) l’élisent à l’Assemblée constituante. Mais son prestige décline soudainement. Il est difficilement élu au Comité exécutif qui prend la succession du gouvernement provisoire. A l’élection présidentielle, il n’obtient que dix-huit mille voix. Après le coup d’Etat de Napoléon III, il se retire, totalement ruiné, de la politique et se consacre avec un succès variable à son activité littéraire. Bibliographie : P. Hazard, Lamartine, 1925 ; H. Guillemin, Lamartine et la question sociale, Genève, 1946 ; A. Court, L'Auteur des Girondins, ou les 120 Jours de Lamartine, 1988.