La volonté (cours de philosophie)
La volonté est une des questions les plus discutées de la psychologie. L’ancienne conception d’un « fiat » ou acte de la volonté intervenant ex abrupto dans le monde matériel, semble périmée, mais du même coup on ne voit plus du tout en quoi consisterait la volonté si elle n’est pas une possibilité de se décider librement. Par ailleurs, les implications métaphysiques du problème (la volonté parait essentiellement liée à la liberté, puisqu’il suffit qu’un acte soit déterminé nécessairement pour qu’il ne puisse pas être qualifié de volontaire) ont toujours pesé sur la bonne foi des psychologues. La volonté n’implique en elle-même aucune évaluation morale de son but. Dans le crime prémédité ou dans la poursuite d’une grève de la faim par un emprisonné, il y a « de la volonté » tout autant que dans le courage d’un sauveteur ou la lutte d’un marin solitaire contre les éléments déchaînés. La liberté du Je dans l’acte volontaire est impliquée en ceci que l’acte volontaire n'est ni une impulsion irréfléchie, ni un automatisme, ni un instinct aveugle, et de ce que la volonté semble une possibilité typiquement humaine. Nous retrouverons le problème de la liberté.
— I — Les comportements « non-volontaires » et leurs caractéristiques.
1 — Les mouvements non-volontaires. L’analyse en découvre au moins trois types :
A — Les mouvements fonctionnels et les réflexes. Les organes de la vie végétative fonctionnent sans que la volonté intervienne. Les muscles de l’organisme sont divisés en muscles lisses et muscles striés. A part le cœur, les muscles striés sont dits volontaires, les muscles lisses non-volontaires ; ces derniers désignent les innombrables muscles des organes, des canaux, des vaisseaux, des muqueuses, etc. Certaines réglons anatomiques comportent les deux systèmes pour le même acte : les sphincters de l’urètre et de l’anus, les muscles de l’accommodation du cristallin sont à la fois réflexes et volontaires . Les muscles lisses sont en effet mis en mouvement par voie réflexe. Par exemple, c’est la distension et le gonflement de l’intestin par le bol alimentaire qui déclenche la segmentation rythmique, les ondes péristaltiques et les mouvements pendulaires de l’intestin grêle. Les réflexes externes, d’autre part, sont à assimiler complètement à ces mouvements Involontaires, quoiqu’ils puissent mettre en jeu des muscles striés (réflexes de posture, d’équilibre, de « réponse » à un excitant comme frisson ou chair de poule, réflexes de défense comme le retrait de la main en cas de brûlure, etc.). Anatomiquement tous ces réflexes ont un centre bulbaire ou spinal, quelques-uns même n'arrivent sans doute pas à la moelle et sont des réflexes d’axones. Les réflexes les plus complexes, comme l’équilibration du corps pendant l’exécution d’un mouvement « volontaire », ont un centre bulbaire et des relais cérébelleux eux-mêmes en rapport avec les excitations périphériques (plantaires par exemple) ou internes (canaux semi-circulaires).
B — Les impulsions. On appelle « impulsions » des actes qui ont pour caractère de traduire immédiatement en mouvements une décharge de l’émotivité. Une tendance surgit, qui passe à la réalisation par le même élan que celui de son surgissement. Ces impulsions peuvent être inconscientes, ce sont les impulsions morbides (« une ancienne hystérique, très intelligente et très lucide », dit Ribot in « Les maladies de la volonté », « éprouve à certains moments le besoin d’aller vociférer ses secrets dans un endroit solitaire ; elle sait parfaitement qu’elle a tort, mais, comme elle le répète, il faut qu’elle le fasse ») ; elles peuvent être paramorbides pour ainsi dire, tels sont les tics qui sont très variés dans leur gravité et dans leur complication : depuis le simple mouvement d’un muscle peaucier du visage jusqu’au bégaiement et à l’onychophagie (manie de se ronger les ongles) ; ils constituent des expressions de troubles neurologiques (dérèglement de la sympathicotonie, nervosisme) ou de tendances refoulées. Parmi ces impulsions morbides il faut placer certaines obsessions d'actes qui ont pour caractéristiques soit de hanter la conscience sans se traduire en mouvements (aucune intervention de la volonté cependant dans leur non-réalisation, c’est l’image de l’acte qui obsède le sujet : impulsions sexuelles, criminelles, etc.), soit de fixer tout le comportement actif du sujet (obsession du toucher, obsession de la propreté, phobies ou philies, etc..). Sur ce point aussi l’interprétation peut faire appel à une psychasthénie (Pierre Janet) ou à la psychanalyse (Freud). On doit ranger également sous la rubrique impulsions des phénomènes relativement normaux et conscients qui ont pour qualité essentielle d’être des paralysies de la volonté, ainsi les phénomènes de suggestion interindividuelle (contagion du bégaiement, du bâillement), ou collective (fou rire, panique). Enfin les impulsions normales qui font partie des émotions et qui passent à l’acte généralement d’autant plus facilement que l’émotion est plus forte : tels les cris, les larmes, les vociférations, les coups, la fuite ou la poursuite, etc.
C — Les actions machinales. Se groupent sous ce titre les habitudes et les actes idéo-moteurs : Les actions habituelles ne sont pas ipso facto des actes non-volontaires. J’écris volontairement et cependant, écrire est une habitude. L’acte habituel non-volontaire est l’acte habituel qui se joue au niveau de la conscience distraite comme ouvrir une porte de la maison (on l’ouvre automatiquement dans le bon sens), circuler dans une ville bien connue, allumer dans une pièce en plein jour, etc. Les actes idéomoteurs ont été considérés par certains psychologues (William James par ex.) comme assimilables à la volonté, du moins par leur schéma. Du point de vue descriptif, ils paraissent aux antipodes même de la volonté : « Il y a action idéo-motrice », dit James, « chaque fois que la représentation d’un mouvement est immédiatement suivie de ce mouvement, sans qu’on aperçoive la trace d’une hésitation. Alors la conscience ne révèle rien entre la conception et l’exécution... Tout en cassant, j’aperçois une épingle à terre ou un peu de poussière sur ma manche : sans interrompre la conversation, je secoue de la main cette poussière ou je ramasse cette épingle... je ne prends pour cela aucune résolution... Pareillement, je reste à table après le dîner et je me surprends à saisir de temps à autre des noix ou des raisins sur le plat, et à les manger... Cependant le dîner est fini ; et, dans la chaleur de la conversation, j’ai à peine conscience de ce que je fais ».
2 — Les événements dits involontaires.
Il en est de deux sortes suivant qu’ils viennent du moi ou qu’ils viennent des circonstances.
A — Les actes manqués. Ce sont des mouvements qui n'atteignent pas le but Intentionnel ou volontaire. Ainsi je m’aperçois que j’ai complètement oublié tel rendez-vous important, que j’ai jeté par inadvertance telle adresse que je voulais conserver... Oublis, lapsus, gestes manqués, etc. relèvent de la psychopathologie de la vie quotidienne. La psychanalyse montrerait qu'ils sont l’expression réussie d’une intention plus secrète, d’une pulsion subconsciente ou refoulée ; il n’en est pas moins vrai qu’ils n'ont fait l’objet d’aucune représentation préalable et que le moi réfléchi ne s’en reconnaît pas la paternité.
B — Les accidents. Sans parler des « accidents » qui relèvent du paragraphe ci-dessus ou de leurs conséquences, nous appellerons involontaires des événements dont nous sommes les victimes ou les témoins impuissants, même si autrui nous attribue une participation active. Si je rate mon gibier à la chasse, si je me trompe de route pour revenir, si la ménagère laisse son fer chauffer toute la nuit, si je tamponne, un cycliste, il s’agira d'événements qui sont involontaires ; et, dans la mesure où je cherche une explication totale dans un déterminisme extérieur (par exemple on avait changé ma hausse, on a interverti les panneaux de signalisation, on a rétabli le courant, des phares m’ont ébloui, etc.), je cherche à montrer mon irresponsabilité.