La technique (fiche de révision)
Distinguer:
La technique au sens large: méthode, ensemble de moyens qui permettent de réaliser un but. La technique de l’artisan, de l’homme de métier : son art, son savoir-faire, les procédés qu’il utilise pour obtenir un résultat. La technique issue des sciences, qui consiste dans leur application méthodique : les moyens de transformation de la nature fondés sur les sciences.
Ne pas confondre :
La technique, dont la fonction est de transformer le réel (plan pratique) ;
La science, qui cherche à connaître, à expliquer (plan théorique).
L’exemple de la médecine est ainsi particulièrement ambigu: elle contient des recherches théoriques (biologie, par exemple), des techniques au sens 2 (l’art du diagnostic) et des techniques au sens 3 (rein artificiel, etc.).
L'outil
L’outil comme caractère distinctif de l’homme. Cf. Les travaux d’anthropologie préhistorique de Leroi-Gourhan. Étroite solidarité entre l' "homo faber" et l' "homo sapiens".
Le machinisme:
Le problème de l’automation, des robots, et des modifications qu'il entraîne sur les rapports de l’homme à la réalité.
• Si la technique en tant que telle ne suscite que peu de sujets de baccalauréat, néanmoins, le problème de son utilisation par l'homme est assez fréquemment soulevé. • Distinguez bien le premier niveau de la technique (avec l'outil, § 1 à 4) et son développement ultérieur, avec la machine (§ 5). a Réfléchissez, par conséquent, sur la machine et la civilisation technicienne moderne dans une perspective morale : ici se pose le problème des dangers de la technique (§ 7). • Il est impossible de condamner radicalement la technique : son aspect positif doit retenir l'attention du philosophe (§ 8). L'organisation dichotomique du travail devrait disparaître elle-même avec le développement de l'informatique (§ 8). • En conclusion, le procès absolu de la technique semble absurde. • Lisez en liaison avec cette fiche, celle consacrée au « travail », qui vous permet d'approfondir des thèmes voisins.
I - Homo faber
Le terme de technique est récent : il n'apparaît qu'au XVIIIe siècle car, jusqu'à cette époque, c'est le concept d'art qui est utilisé. Le sens de ce dernier se déplace (à la fin du XVIIIe siècle) vers le domaine de l'esthétique, et, le mot technique le remplace. La technique désigne dès lors un ensemble de procédés transmissibles permettant de reproduire des fins utiles. "Homo faber" : l'homme, avant d'être sapiens, sage, est d'abord un fabricant d'outils. Bergson a bien mis ce thème en évidence. Ce sont les premières armes, les premiers outils qui nous signalent l'apparition de l'homme sur la Terre. Les âges de l'humanité sont d'abord ceux de son outillage. « Si nous pouvions nous dépouiller de tout orgueil, si, pour définir notre espèce, nous nous en tenions strictement à ce que l'histoire et la préhistoire nous présentent comme la caractéristique constante de l'homme et de l'intelligence, nous ne dirions peut-être pas Homo sapiens, mais Homo faber. En définitive, l'intelligence, envisagée dans ce qui en paraît être la démarche originelle, est la faculté de fabriquer des objets artificiels, en particulier des outils à faire des outils, et, d'en varier indéfiniment la fabrication. » (Bergson, "L'évolution créatrice", PUF, 1947)
II - La technique comme activité vitale
La technique est d'abord une activité vitale. Elle se situe dans le prolongement de la vie et de ses exigences. Pour bien en saisir l'essence, il faut considérer la lutte pour la vie. En effet, les individus affrontent un monde dont ils doivent triompher s'ils ne veulent succomber. Toute leur existence est une lutte farouche, sans pitié, de leur vouloir-vivre, de leur volonté de puissance. Qu'est-ce alors que la technique? Elle est essentiellement, comme le souligne Spengler, un phénomène vital et biologique, une adaptation de l'homme à un milieu cruel. L'homme a une technique parce qu'il est un « animal de proie ».
III - Productions animales et techniques humaines
Si la technique est d'abord vitale et biologique puisqu'elle correspond à l'adaptation du vivant à un milieu, il importe cependant de ne pas confondre la technique' humaine, cet acte de souveraine liberté, avec les productions animales, génériques (elles appartiennent à l'espèce) et statiques. Spengler fait la différence entre ces deux modes d'action, qui s'opposent comme la liberté à l'opaque royaume de la nécessité. De même que le travail est essentiellement humain, de même la technique inventive et libre appartient à l'homme. Abeilles et castors bâtissent, certes, des édifices, de même que les fourmis connaissent l'« élevage » des pucerons. Mais les créations de ces animaux font partie de l'équipement génétique de l'espèce, elles sont génériques et, en tant que telles, statiques et immuables. Au contraire, la technique humaine est personnelle, libre, imaginative et évolutive. La technique de l'homme est une -invention. L'homme est un être qui dépasse l'espèce, au contraire de l'animal qui demeure anonyme et dépendant. «Dans l'existence de l'homme, la technique est consciente, arbitraire, modifiable, personnelle, imaginative et inventive. Elle peut s'apprendre et être perfectionnée. L'homme est devenu le créateur de sa tactique vitale. » (O. Spengler, "L'homme et la technique", NRF, 1958)
IV - L'outil et la main
L'homme, créateur de sa technique vitale, a inventé d'abord l'outil, qui représente la forme la plus élémentaire des instruments destinés au travail. Or, il faut souligner ici le rôle de la main et faire son éloge. En effet, dès l'origine, l'outil apparaît comme le prolongement de la main. La main, lorsqu'elle est désarmée, est en soi inutile. Elle appelle donc l'outil, qui est en quelque sorte son extériorisation. La bête, qui est sans main, n'a pu créer qu'une industrie immuable et monotone. C'est la «main pensante» qui a permis à l'homme de devenir créateur. « Entre la main et l'outil, commence une amitié qui n'aura pas de fin. L'une communique à l'autre sa chaleur vivante et le façonne perpétuellement. Neuf, l'outil n'est pas «fait», il faut que s'établisse entre lui et les doigts qui le tiennent un accord né d'une possession progressive, de gestes légers et combinés, d'habitudes mutuelles et même d'une certaine usure. Alors, l'instrument inerte devient quelque chose qui vit. » (H. Focillon, "L'éloge de la main", in "La vie des formes", PUF, 1955)
V - De l'outil à la machine
Jusqu'à la fin du XVIIIe siècle, l'outil, ce prolongement de la main, demeure l'instrument essentiel de la production. A cette époque naît la machine, qui marque la première grande révolution industrielle. Marx, dans "Le Capital", a bien montré ce passage de l'outil à la machine, qu'il faut saisir et examiner sous sa forme développée. Elle se compose de trois parties : le moteur, la transmission, et, enfin, la machine-outil; la machine-outil exécute ce que le travailleur réalisait auparavant avec ses instruments. Ainsi l'outil passe dans le corps de la machine. La «machine-outil» a constitué la base technique du machinisme, ce nouveau système de production. «La machine-outil est donc un mécanisme qui, ayant reçu le mouvement convenable, exécute avec ses instruments les mêmes opérations que le travailleur exécutait auparavant avec des instruments pareils. Dès que l'instrument, sorti de la main de l'homme, est manié par un mécanisme, la machine-outil a pris la place du simple outil » (Marx, "Le Capital")
VI - Les effets du machinisme division du travail intellectuel et manuel
Marx a bien dégagé certains effets immédiats de la machine. Elle permet l'intensification du travail, par la subdivision des tâches. Elle sépare et oppose travail intellectuel et travail manuel. Les puissances intellectuelles de la production se développent d'un côté, tandis qu'elles disparaissent de l'autre. Cette dichotomie du travail intellectuel et du travail manuel constituera un problème grave, dans l'évolution industrielle. Néanmoins, pour Marx, la machine est un instrument de progrès. Le problème n'est pas celui de la technique, mais celui de la maîtrise de la technique par l'homme. Il s'agit de mettre fin à la scission du travail intellectuel et du travail manuel, grâce à un régime social «désaliéné») « (Cette scission) se développe dans la manufacture, qui mutile le travailleur au point de le réduire à une parcelle de lui-même; elle s'achève enfin dans la grande industrie qui fait de la science une force productive indépendante du travail et l'enrôle au service du capital. » (Marx, op. cité)
VII - La civilisation technicienne moderne
Aujourd'hui, l'homme n'apparaît-il pas de plus en plus comme un apprenti sorcier, prisonnier de ses productions et de sa technique? Bien plus encore qu'au temps de Marx, la civilisation technique semble piéger l'homme. La seconde révolution industrielle est apparue à peu près à la mort de Marx, dans le dernier tiers du XIXe siècle. Elle est caractérisée par le moteur à turbine, le moteur à explosion, etc. Aujourd'hui, les hommes sont entrés dans la troisième révolution industrielle, celle qui correspond à l'application de l'énergie atomique. Non seulement l'organisation dichotomique du travail n'a pu vraiment être dépassée, malgré un besoin accru de techniciens très qualifiés, non seulement subsistent les tâches répétitives et parcellaires, mais le milieu technique devient de plus en plus contraignant. «La jungle d'influences quotidiennes que (le milieu technique) installe ne fait que s'épaissir, menaçant de plus en plus les valeurs humaines de l'individu, de la culture dans tous les pays d'industrie évoluée, en Europe comme en Amérique. La prolifération diurne et nocturne des techniques, la ronde infernale des besoins (qu'elles créent et qui, à leur tour, les nourrissent), leur rythme, leur intensité commandent des actions de plus en plus nombreuses sur l'individu, son affectivité, sa mentalité, son équilibre physique et moral. » (G. Friedmann, "La grande aventure, in Sept études sur l'homme et la technique", Denoël-Gonthier, 1977)
VIII - Pour une technique dominée par l'homme (prolongement)
Un vide a été créé par la civilisation technicienne, dans la mesure où elle a arraché l'homme à un milieu naturel qu'elle détruit pour le précipiter dans un environnement artificiel qu'il maîtrise mal. Elle le dépouille ainsi de la régulation des rythmes naturels sans lui apporter une authentique culture, en le jetant simplement dans l'ennui ou le malaise on peut parler du vide existentiel de l'homme dans la civilisation technicienne. Néanmoins, il serait par trop facile de condamner radicalement la technique. Notons, tout d'abord, que la toute dernière révolution industrielle, celle de l'informatique et du traitement de l'information, semble annoncer une profonde mutation. A la longue, le travail ouvrier tel qu'il est conçu aujourd'hui, avec l'organisation dichotomique de la production - énergie intellectuelle d'un côté, énergie manuelle de l'autre - est conduit à profondément changer, puisque l'évolution nous oriente vers des machines capables de prendre des décisions élémentaires. D'une manière générale, la condamnation radicale de la technique paraît impossible. Comment sous-estimer son aspect positif, l’allègement du travail qu'elle apporte, le support qu'elle représente pour le développement scientifique et, enfin, l'élimination, grâce à elle, de certains phénomènes naturels catastrophiques (famines, inondations, etc.)? Le problème est, en définitive, celui de la maîtrise de l'homme par lui-même, à travers l'éducation. «L'observation de la civilisation technicienne, malgré tant de misères physiques et morales, d'échecs et de dangers terrifiants, conduit à dire résolument : Oui ! à la technique, mais à la technique dominée par l'homme. » (G. Friedmann, op. cité)
Conclusion
Le procès absolu de la technique paraît absurde : celle-ci peut se révéler, comme la langue d'Ésope, la meilleure et la pire des choses.
SUJETS DE BACCALAURÉAT
- Comment la machine peut-elle être, à la fois, oeuvre humaine et source d'aliénation pour l'homme? - Faut-il redouter les machines? - La diffusion croissante des résultats scientifiques et techniques rend-elle l'homme plus rationnel? - La science et la technique peuvent-elles aider à résoudre les problèmes politiques? - La valeur d'une civilisation est-elle fonction de son développement technique? - Que peut-on attendre de la technique? - La valeur d'une civilisation se réduit-elle au développement de sa technique? - Peut-on parler d'un art industriel?
ÇA PEUT TOUJOURS SERVIR...
Littérature : E. Zola, La Bête humaine; le futurisme italien; les romans de J. Verne.
Peinture : Goya, Le Préau des fous :V an Gogh, l'art brut.
Cinéma : C. Chaplin, Les temps modernes; S. Kubrick, 2001, l'Odyssée de l'espace ; S. Eisenstein, La ligne générale.
Indications de lecture
- M. Heidegger. Essais et conférences, Gallimard, 1980.
- J. EIlul, Le Système technicien, PUF.
- L. Munford, Le Mythe de la machine, Fayard, 1974.
- A. Leroi-Gourhan, Le Geste et la Parole, Albin-Michel, 1965.
- J. Habermas, La Technique et la Science comme idéologie, Denoël, 1978.