La Semaine sainte de Louis ARAGON, 1958

• Il s'agit d'un roman historique malgré l'affirmation contraire de l'auteur. Néanmoins, Aragon, tout en pratiquant le genre, s'est amusé à en dénoncer les artifices, et surtout en a dépassé le propos en faisant réflexion sur la situation des individus dans l'histoire. • Cette semaine sainte est celle de 1815 - du 18 mars, jour des Rameaux, au 25, jour de Pâques -, au cours de laquelle Napoléon, après avoir débarqué en Provence le 1er, venant de I'île d'Elbe, acheva sa marche sur Paris tandis que Louis XVIII s'enfuyait vers la Belgique. Aragon suit les événements du point de vue des personnages entraînés dans cette déroute. Le héros central est le jeune peintre Théodore Géricault que son amour des chevaux et le hasard ont conduit à entrer dans les mousquetaires de la Maison du roi et qui accompagne Louis XVIII jusqu'à la frontière, bien que ses sympathies personnelles aillent plutôt au camp opposé. Le roi lui-même, son frère le comte d'Artois (le futur Charles X), les princes du sang, les officiers et les grands personnages de la suite royale comme le duc de Richelieu, ancien gouverneur d'Odessa, les gardes de l'escorte où se rencontrent M. de Vigny et M. de Prat, que l'on appelle aussi M. de Lamartine, les bourgeois et les gens du peuple à Paris et dans les villes traversées, tous pourvus d'une identité et d'une personnalité, sont dépeints avec une extrême vraisemblance et un étonnant luxe de détails. Mais Aragon souligne lui-même ce que cette reconstitution a de fallacieux et doit à son expérience d'homme du xxe siècle. Il le fait en particulier à propos de la nuit des arbrisseaux où Théodore est témoin de la réunion clandestine d'ouvriers républicains autour d'un envoyé de Paris venu les persuader de se rallier à Napoléon. Aragon avoue qu'il y transpose sa propre découverte des problèmes sociaux : Rien de tout cela n 'a pu se passer en 1815. Les sources en sont évidentes. Ma vie [...]. L'expérience de toute ma vie. Alors pourquoi ce travail? Peut-être ai-je repris cet étrange damas ancien de l'histoire [...] pour m'arracher à cette vision simplifiée, linéaire, du monde où j'achève une trajectoire, pour rechercher dans la poussière les graines multiples de ce que je suis, de ce que nous sommes, et surtout de ce qui va naître de nous... • Il est tout à fait conforme à l'esprit de la littérature contemporaine d'avoir inclus dans le roman lui-même ces réflexions sur la création littéraire. Aragon les a systématisées dans son oeuvre ultérieure (La Mise à mort, Blanche ou l'oubli).