La religion
Le sentiment religieux est présent dans toutes les sociétés humaines et se manifeste sous des formes très différentes. Mais il s'accompagne toujours d'un ensemble de rites et de croyances par lequel un groupe humain se rattache à un ordre universel et supra-humain. Selon son étymologie, la religion est un lien ou une mise en relation. En latin, "religare" signifie "relier". La religion relie l'homme à un être transcendant et, de ce fait, semble s'opposer au lien des hommes entre eux.
I. — Société -et religion
A. La religion rompt le lien social
Considérant la religion du point de vue de la société, Jean-Jacques Rousseau distingue dans le "Contrat social" trois sortes de religion. La première « sans temples, sans autels, sans rites, bornée au culte purement intérieur du Dieu suprême et aux devoirs éternels de la morale», Rousseau l'appelle « la pure et simple religion de l'Evangile», « le vrai théisme». La deuxième « inscrite dans un seul pays, lui donne ses dieux, ses patrons propres et tutélaires; elle a ses dogmes, ses rites, son culte extérieur prescrit par des lois». Telles forent les religions des premiers peuples, en particulier ceux de la Cité grecque classique. La troisième donne aux hommes « deux législations, deux chefs, deux patries, les soumet à des devoirs contradictoires et les empêche de pouvoir être à la fois dévots et citoyens». Tel est le « christianisme romain», la « religion du prêtre», le christianisme qui s'est réalisé 'dans l'histoire. A considérer politiquement ces trois sortes de religion, elles ont, dit Rousseau, toutes leurs défauts. La troisième, en opposant dans l'homme le citoyen au croyant, rompt l'unité sociale. En établissant sur la terre un royaume spirituel, Jésus, « séparant le système théologique du système politique, fit que l'Etat cessa d'être un». La deuxième est mauvaise car, « fondée sur l'erreur et le mensonge, elle trompe les hommes, les rend crédules, superstitieux, et noye le vrai culte de la Divinité dans un vain cérémonial». De plus elle peut rendre un peuple « sanguinaire et intolérant», de telle sorte « qu'il ne respire que meurtre et massacre, et croit faire une action sainte en tuant quiconque n'admet pas ses dieux». Reste donc le «vrai christianisme», celui de l'Evangile. Or si cette religion n'a nulle relation particulière avec le « corps politique», il n'en demeure pas moins que « loin d'attacher les cœurs des citoyens à l'Etat, elle les en détache comme de toutes les choses de la terre». Rousseau affirme ne rien connaître «de plus contraire à l'esprit social». Une telle religion tend à détruire tout lien social. En effet, en détachant les hommes de tout ce qui est terrestre, elle rend inutiles les sociétés particulières, les sociétés civiles et politiques, les magistrats, les lois... Sans passions humaines, le lien civil « perd à l'instant tout son ressort» : « Plus d'émulation, plus de gloire, plus d'ardeur pour les préférences. L'intérêt particulier est détruit; et faute d'un soutien convenable l'état politique tombe en langueur. » Autrement dit, des. hommes sans désirs, sans ambitions perdraient tout esprit civique. Comme le dit Rousseau, « une société de vrais chrétiens ne serait plus une société d'hommes». Le vice «destructeur» du christianisme idéal résiderait donc «dans sa perfection même». Ainsi, si le christianisme romain, en réunissant les chrétiens au sein d'une Eglise, crée une société ecclésiale qui entre en contradiction avec la société civile, le vrai christianisme, celui de l'Evangile, même sans Eglise, est, quant à lui, bien plus dangereux, car, en arrachant les hommes aux préoccupations de ce monde, il détruit tout lien social.
B. De la nécessité d'une religion civile
Pour Rousseau, le lien social doit être fondé sur un contrat. Seules des conventions sont susceptibles de lier les hommes et de faire naître la société. Mais on peut objecter à Rousseau que tout contrat présuppose, pour son établissement, une société et ne peut donc servir à la fonder. Rousseau lui-même semble l'admettre lorsqu'il affirme : « Pour qu'un peuple naissant pût goûter les saines, maximes de la politique et suivre les règles fondamentales de la raison d'Etat, il faudrait que l'effet pût devenir cause, que l'esprit social qui doit être l'ouvrage de l'institution, présidât à l'institution même; et que les hommes fussent avant les lois ce qu'ils doivent venir par elles. » C'est donc une nécessité que le législateur recoure « à une autorité d'un autre ordre, qui puisse entraîner sans violence et persuader sans convaincre». Cet autre ordre, distinct de la contrainte et de la raison, c'est celui des sentiments religieux. Ainsi Rousseau reconnaît que, dans l'origine de la société, la religion peut servir d'instrument à la politique. Toutes les religions sont bonnes pour autant qu'elles écoutent ou favorisent ce sentiment de sociabilité nécessaire au lien social. Elles deviennent mauvaises, dès qu'elles engendrent la division, édictent des élections ou des rejets et instituent des intermédiaires comme les prêtres ou les prophètes entre Dieu et les hommes. Le lien social ne saurait donc reposer entièrement sur un contrat, il lui faut en plus un fondement religieux. Aussi Rousseau propose-t-il une « religion civile». Les dogmes en sont fort simples : « existence de la divinité, bonheur des justes, châtiment, sainteté du contrat social et des lois». La société est pour Rousseau fondamentalement morale, elle est même un ordre sacré. Il y a donc la nécessité d'« une profession de foi purement civile dont il appartient au souverain de fixer les articles, non pas précisément comme dogmes de religion, mais comme sentiment de sociabilité, sans lesquels il est impossible d'être bon citoyen ni sujet fidèle ».
II. — Les. preuves de l'existence de Dieu et leur échec
A. La preuve thomiste
La preuve téléologique que Kant nomme « physicothéologique » consiste à assigner Dieu comme cause suprême de l'ordre. du monde. Avancée par saint Thomas, cette preuve suppose le principe aristotélicien suivant lequel il est impossible de remonter à l'infini dans une série de causes ordonnées. Il faut donc s'arrêter à une première cause qui existe par soi originairement et d'une manière indépendante — cette cause, c'est Dieu. Cause de toutes les choses du monde, Dieu est aussi sa propre cause. Dans cette preuve, la voie suivie consiste à partir de l'être donné pour remonter à une cause qui est Dieu. Mais jamais, dit Descartes, saint Thomas n'aurait imaginé la possibilité de rejoindre Dieu à partir du sensible s'il n'avait déjà eu l'idée de Dieu. De plus, si l'univers n'est pas fini, mais indéfini ou infini, il n'y a pas de raison d'arrêter la série des causes. Enfin, pour Descartes, l'existence de Dieu est plus évidente que celle du monde extérieur. On ne saurait donc partir de ce monde pour prouver d'existence de Dieu. D'autant que la preuve thomiste n'aboutit qu'à l'existence d'un auteur de l'univers. La constatation de l'ordre du monde permet tout au plus de conclure à un « architecte du monde» et non à un être parfait, c'est-à-dire Dieu.
B. L'argument ontologique de Descartes
Pour Descartes, la première vérité est l'existence de ma conscience. C'est donc à l'intérieur même de la pensée qu'il faut rechercher l'effet qui postule Dieu comme cause. La première preuve avancée par Descartes est la suivante : Dieu possède toutes les perfections, or l'existence est une perfection, car un être sans existence est nécessairement imparfait. Donc nous devons aussi compter l'existence parmi les perfections de Dieu donc il faut que Dieu existe. Cette preuve est, au fond, la formulation originale de l'argument ontologique de saint Anselme (XIe siècle). Elle avait été critiquée en son temps par le moine Gaunilon. Kant la critique aussi dans la "Critique de la raison pure". Pour Kant, les preuves de l'existence de Dieu sont des niaiseries. Il n'est pas possible de prouver l'existence d'un être transcendant. Il est impossible de connaître un être qui nous dépasse. Dans l'argument ontologique, le premier concept, ce n'est pas Dieu mais l'idée de Dieu. Si nous disons Dieu, nous - supposons qu'il existe avant même de le démontrer. L'idée de Dieu est l'idée d'un être qui possède toutes les perfections. Or un être parfait est un être qui existe, donc l'idée de Dieu existe. Il s'agit pour Kant d'un jugement analytique du type : un tri-angle a trois angles. Un tel jugement n'ajoute rien à l'idée de triangle. Le prédicat est contenu dans le sujet. Les propriétés du triangle sont contenues dans le concept même de triangle. L'argumentation de Descartes reste donc au niveau des idées. La preuve ontologique n'est qu'une misérable tautologie. Pour Kant le concept n'est qu'une possibilité logique mais on ne peut pas conclure de la possibilité logique des concepts à la possibilité réelle des choses. Autrement dit, de l'idée d'un Etre parfait, j'ai bien le droit de conclure à l'idée que l'existence doit lui appartenir, mais nullement à son existence elle-même. Dans la preuve cartésienne, le passage à l'existence, du Logique à l'Ontologique est indû. Le concept est toujours possible quand il n'est pas contradictoire. Ainsi, par exemple, le concept de carré est possible si je ne lui attribue pas deux prédicats contradictoires. A contrario, « poser un triangle en en supprimant les trois angles est contradictoire», mais si je fais disparaître à la fois le triangle et les trois angles, « il n'y a plus là de contradiction». Il en est exactement de même du concept d'un être absolument nécessaire. Si vous lui ôtez l'existence, vous supprimez la chose avec tous ses prédicats . : « Si je supprime le prédicat d'un jugement en même temps que le sujet, il ne peut jamais en résulter de contradiction interne. » Ainsi, pour Kant, l'existence ne peut se constater que par la voie empirique et non par la Raison. Il faut distinguer le niveau des idées de celui de la vie. Existe-t-il un Dieu réel? Nous ne pouvons pas répondre en nous appuyant sur les principes de la Raison.
C. La preuve cartésienne par l'idée du parfait
Dans la 3e "Méditation métaphysique", Descartes donne une deuxième preuve de l'existence de Dieu qui, apparemment, renforce l'argument ontologique et devrait donc permettre à celui-ci d'échapper à la critique de Kant. Cette preuve est la suivante: l'homme est imparfait, il est mortel, borné, tout ce qui est humain est fini. Imparfait en lui-même, l'homme ne voit autour de lui que des choses imparfaites et finies. D'où vient donc en l'homme l'idée de la Perfection? Cette idée du Parfait ne peut provenir que d'une cause qui soit à sa mesure, et cette cause ne peut être que l'Etre parfait lui-même, ou Dieu. Autrement dit, l'idée d'un Etre parfait ou de Dieu est en l'homme une idée innée dont Dieu seul peut être l'origine. Ainsi de l'idée d'un myriagone, j'ai le droit de conclure à certaines propriétés, mais pas au fait qu'un myriagone réel existe dans le monde. En revanche de l'idée de Dieu, j'ai le droit de conclure à son existence, parce que c'est cette existence elle-même qui rend compte de l'idée de Dieu en moi. En fait, cette preuve fait écho à une tradition venue de saint Augustin : « Dieu est ce qu'il y a de plus intérieur en moi-même.» Elle part de l'expérience intime qu'a l'homme d'une exigence de perfection. Toutefois cette preuve échoue aussi, car elle conclut indûment d'une exigence de la Raison ou du cœur à un être transcendant qui explique cette exigence. De plus cette preuve rejoint sans raison le Dieu traditionnel de la religion judéo-chrétienne. En fait, c'est parce que l'homme ne peut pas, comme dans le bouddhisme ou le védanta, accéder par intuition à l'Absolu que le monothéisme judéo-chrétien estime la raison capable de prouver l'existence de Dieu. Il n'en reste pas moins vrai que seule la grâce ou la Révélation peuvent amener le croyant à accepter sans les comprendre les mystères concernant la nature dernière de Dieu (Eucharistie, Sainte Trinité).
III. — Critique de l'illusion religieuse
A. La religion comme aliénation de l’essence humaine
La religion s'enracine dans le sentiment du sacré. Mais dans la société moderne, depuis le triomphe de la bourgeoisie, il semble que ce sentiment du sacré se voit évanoui ou ait été perverti. Feuerbach est l'un des premiers philosophes à avoir pris toute la mesure du caractère profane de notre société. Il reconnaît que les hommes se sont si bien « appropriés» « le vrai», «l'humain» et .«l'antisacré» que «le christianisme a perdu toute force de résistance». Le christianisme, écrit-il, « est nié», «nié dans l'esprit et le cœur, dans la science et la vie, dans l'art et l'industrie, radicalement, sans appel ni retour» : «L'incroyance a remplacé la foi, la- raison la Bible la politique la religion et l'Eglise, la terre a remplacé le ciel le travail la prière, la misère matérielle l'enfer, l'homme a remplacé le chrétien. » Et, ajoute Feuerbach, « si dans la pratique l'homme a remplacé le chrétien, il faut alors que dans la théorie aussi l'être humain remplace l'être divin». Ce qui signifie que la philosophie doit cesser d'être « théologie» pour devenir « anthropologie ». Dans L'essence du christianisme, Feuerbach montre que, dans la religion, l'homme est aliéné, c'est-à-dire dépossédé de lui-même, de sa propre essence. La religion n'est jamais que le mystère de l'homme fait Dieu. Autrement dit, ce ne sont jamais que ses propres perfections et ses propres attributs que l'homme adore en Dieu. L'homme s'est ainsi dépouillé de son être pour l'attribuer à une réalité étrangère, Dieu : « Pour enrichir Dieu, l'homme doit s'appauvrir; pour que Dieu soit tout, l'homme doit n'être rien. » La religion est « la première conscience de soi de l'homme, mais elle est indirecte». En elle l'homme « a pour objet son propre être sous la forme d'un autre être». La religion chrétienne est « la relation de l'homme à lui-même, ou plus exactement à son essence, mais à son essence comme à un autre être». Aussi la tâche de la . philosophie est-elle de faire reconnaître à l'homme sa propre essence au lieu qu'il l'adore en un autre être, nommé Dieu. Pour Feuerbach, il y a du divin, car le savoir ou l'amour sont choses divines mais il n'y a pas de Dieu. Il peut donc exister une religion sans Dieu. Le véritable athée est seulement « celui pour lequel les prédicats de l'être divin, comme par exemple l'amour, la sagesse, la justice, ne sont rien, et non pas celui pour lequel seul le sujet de ces prédicats n'est rien». Il ne suffit donc pas de nier l'existence de Dieu ou « le sujet de ces prédicats » pour être athée, il faut aussi nier que « l'amour, la sagesse, la justice» sont des qualités divines. Feuerbach n'est pas un véritable athée, il se propose seulement de renverser la théologie en intervertissant le sujet et le prédicat : au lieu de dire « Dieu est sage. et bon», il dit « l'homme est sage et bon». Feuerbach substitue donc à la religion de Dieu celle de l'homme. Autrement dit, l'homme doit adorer en lui-même les qualités qu'aucun individu ne peut sans doute réaliser entièrement, mais qui sont cependant celles de l'espèce humaine. Réaliser l'essence humaine est l'affaire de la politique. Cette finalité est en son fond religieuse, puisqu'il s'agit d'actualiser tout ce qu'il y a de possibilité . divine en l'homme : « Il nous faut redevenir religieux, il faut que la politique devienne notre religion. »
B. La religion comme expression fantastique de l’aliénation économique de l’homme
Si Marx reconnaît avec Feuerbach que la critique de .la religion est la présupposition de toute critique, il reproche toutefois à ce dernier sa conception abstraite de l'homme. Feuerbach manque la réalité de l'homme concret. L’homme doit être conçu dans son existence réelle. L'homme, pour Marx, n'est pas « une essence abstraite, blottie hors du monde». L'homme, c'est avant tout «le monde de l'homme», «l'Etat», «la société» : «Feuerbach résout l'essence religieuse en essence humaine. Mais l'essence, de l'homme n'est pas une abstraction inhérente à l'individu isolé. Dans sa réalité, elle est l'ensemble des rapports sociaux. » C'est pourquoi Feuerbach «ne voit pas que l'esprit religieux est lui-même un produit social». Dans la "Critique de la philosophie du droit de Hegel", Marx montre que la religion est «la conscience inversée du monde», parce que le « monde de l'homme», «l'Etat», « la société» sont eux-mêmes « un monde à l'envers ». Si la religion est « la réalisation fantastique de l'être humain», c'est parce que «l'être humain ne possède pas de vraie réalité». Autrement dit, l'aliénation religieuse est le produit de la pauvreté effective de l'homme : «La détresse religieuse est, pour une part, l'expression de la détresse réelle et, pour une autre, la protestation contre la détresse réelle. La religion est le soupir de la créature opprimée, l'âme d'un monde sans cœur, comme elle est l'esprit dé conditions sociales d'où l'esprit est exclu. Elle est l'opium du peuple. » Aliéné économiquement, exploité socialement, l'homme réalise de manière fantastique son 'essence dans un monde imaginaire. C'est pourquoi « lutter contre la religion», c'est « indirectement lutter contre ce monde-là dont la religion est l'arôme spirituel». Ainsi, à travers la critique de la religion, la critique doit atteindre la situation réelle de l'homme : «L'abolition de la religion en tant que bonheur illusoire du peuple est l'exigence que formula son bonheur réel. Exiger qu'il renonce aux illusions sur sa situation c'est exiger qu'il renonce à une situation qui a besoin d'illusions. La critique dé la religion est donc en germe la critique de cette vallée de larmes dont la religion est l'auréole. » Supprimer l'illusion religieuse, c'est donc exiger le bonheur réel. Dépouiller «les chaînes des fleurs imaginaires», c'est du même coup inviter l'homme à rejeter « les chaînes» et cueillir « les fleurs vivantes». Plus fondamentalement, détruire les illusions de l'homme c'est le rendre à sa vraie réalité « pour qu'il pense, agisse, façonne sa réalité comme un homme sans illusions parvenu à l'âge de raison, pour qu'il gravite autour de lui-même, c'est-à-dire de son soleil réel». .C'est donc d'une véritable « révolution copernicienne» qu'il s'agit : passer de la religion, « soleil illusoire qui gravite autour de l'homme» à l'homme qui gravite « autour de lui-même». Pour Marx, il s'agit donc d'aller plus loin que la simple critique de la religion à laquelle Feuerbach s'arrêtait: il faut aller jusqu'à la critique pratique du monde réel, c'est-à-dire jusqu'à la transformation révolutionnaire de la société.
C. La religion comme réalisation illusoire des désirs infantiles de l’homme
Pour Freud, la religion n'est pas la compensation illusoire de la misère économique et sociale, mais de la misère psychologique. Dans L'avenir d'une illusion, Freud montre que les exigences répressives de la « civilisation» entrent en conflit avec les instincts, les désirs sexuels et agressifs qui caractérisent la « constitution animale» de l'homme. Le «secret» de la force des « illusions religieuses» tient précisément à la force de ces désirs frustrés. La religion a une fonction consolante parce qu'elle offre la perspective d'un au-delà dans lequel le désir trouvera sa satisfaction. Mais elle répond aussi au besoin de protection et d'amour de l'homme par l'image d'une Providence bienveillante sous la forme de Dieu le Père: «Nous le savons déjà: l'impression terrifiante dé la détresse infantile avait éveillé le besoin d'être protégé-protégé en étant aimé-besoin auquel le père a satisfait : la reconnaissance du fait que cette détresse dure toute la vie a fait que l'homme s'est cramponné à un père, à un père cette fois plus puissant. L'angoisse humaine en face des dangers dé la vie s'apaise à la pensée du règne bienveillant de la Providence divine. » Ainsi donc, pour Freud, la religion est une illusion engendrée par le désir et c'est de l'image paternelle que provient l'idée de Dieu.
D. La mort de Dieu
Dans Le gai savoir, Frédéric Nietzsche affirme que les temps modernes vivent un « événement énorme» : la « mort de Dieu». Cet événement est une action de l'homme, un véritable assassinat: « Où est allé Dieu (...) Je vais vous le dire. Nous l'avons tué — vous et moi! Nous tous, nous sommes ses assassins ! » La mort de Dieu ouvre une nouvelle phase de l'histoire de l'homme, celle du «surhomme» : « Ce que le monde a possède jusqu'à présent de plus sacré et de plus puissant a perdu son sang sous nos couteaux — qui effacera de nous ce sang? Avec quelle eau nous purifierons-nous? Quelles expiations, quels jeux sacrés nous faudra-t-il désormais inventer? La grandeur de cet acte n'est-elle pas trop grande pour nous? Ne sommes-nous pas forcés de devenir nous-mêmes des dieux pour du moins paraître dignes d'eux?» Pour Nietzsche, « il n'y eut jamais acte plus grandiose» que l'assassinat de Dieu et ceux qui naîtront après « appartiendront, à cause de cet acte, à une histoire plus élevée que ne le fut jamais toute histoire! » Mais ce dépassement de l'homme par l'homme signifie surtout pour Nietzsche que l'homme doit dominer l'homme. Le surhomme doit venir pour balayer la tourbe de l'humanité commune. Le règne des. maîtres doit permettre d'effacer aussi bien Socrate et Jésus que le danger d'une révolution démocratique et socialiste.
Sujets de dissertation
1. La religion, est-elle un besoin pour l'homme? 2. La religion est-elle une aliénation?