LA RELIGION
Distinguer
La religion au sens large : désigne le fait religieux qui semble être une composante de toutes les sociétés humaines. La religion an sens restreint désigné une religion déterminée (cf. la religion romaine, la religion chrétienne, etc.).
Le sacré
Se caractérise par l’affirmation d’une transcendance (= le divin) et par là du sacré. Selon l’analyse classique de R. Otto le sentiment religieux en face du sacré se caractérise par la crainte et la fascination ("tremendum" et "fascinans").
Le sacré se distingue du profane, il est entouré d’interdits (tabous) et sujet de pratiques rituelles codifiées.
La prière, le sacrifice : apparaissent comme des modes de communication avec le divin, d’accession au sacré (par eux on se propose de se gagner la faveur des dieux, des démons, des saints, etc.). Elle prétend avoir une efficacité matérielle direct en contraignant les puissances divines ou démoniaques.
Sectes et religions
Le vrai s'indique lui-même ("verum index sui"). Caractère intuitif de la vérité saisie dans l’expérience spécifique de l’évidence intellectuelle (Descartes).
• Il s'agit ici de décrire le phénomène religieux, présent dans toute société humaine, ainsi que les croyances qui s'y rattachent (§ 1 à 5). Faut-il, par ailleurs, accorder créance à la critique de l'illusion religieuse, telle qu'elle est développée chez Feuerbach, Marx et Freud (§ 6, 7 et 8) ? A chacun de décider, en son âme et conscience. • La religion ne se confond pas avec la magie, ensemble de rites et de procédés occultes (§ 1). C'est un système solidaire de croyances et de pratiques relatives à des choses sacrées (§ 2). La distinction du profane et du sacré (§ 3) commande, par conséquent, l'être du phénomène religieux. • Bergson, en des analyses célèbres, dans Les deux sources de la morale et de la religion, a souligné la dualité d'aspects de la réalité religieuse : la religion statique (§ 4), essentiellement sociale, à finalité adaptative et pratique, se différencie de la religion dynamique, d'essence purement mystique (§ 5). • La critique de l'illusion religieuse, développée dès l'Antiquité, a connu un tournant décisif avec Feuerbach (§ 6), ensuite avec Marx, qui a souligné que la religion crée véritablement un monde inversé (« la religion est l'opium du peuple! » § 7), et, enfin, avec Freud, pour qui l'illusion religieuse devrait être dépassée (§ 8).
I- Religion et magie
La religion ne se confond pas avec la magie, cet ensemble de rites et de savoir-faire, cet art d'agir sur la nature par des procédés occultes et d'y produire ainsi des effets extraordinaires : le magicien force le consentement de la nature et tente d'enchaîner les forces surnaturelles et le monde invisible des esprits. La religion, plus désintéressée, se borne à implorer la faveur des dieux sans jamais les contraindre. Mais la religion et la magie diffèrent aussi par leur objet. Le monde invisible sur lequel doivent agir les rites magiques n'a rien à voir avec la dignité éminente du « Dieu-Personne », qu'implore le croyant avec humilité et respect. «Le magicien n'a pas affaire à une personne; c'est au contraire à la personnalité du dieu que la religion emprunte sa plus grande efficacité. » (Bergson, "Les deux sources de la morale et de la religion")
II - Définition de la religion
L'étymologie du mot religion donne bien à voir cette notion de respect qui y est contenue. Si la plupart des Anciens tirent en effet "religio" de "religare" et y voient l'idée d'un lien qui nous unit à la divinité, certains rattachent "religio" à "religere", qui signifie vouer un culte et respecter. On trouve ainsi dans l'idée de religion le thème d'une obligation envers les dieux. La religion peut être envisagée sous un double aspect : d'une part, comme institution sociale et objective, et, d'autre part, comme système individuel de croyances. Une des meilleures définitions de la religion est celle de Durkheim: « Une religion est un système solidaire de croyances et de pratiques relatives à des choses sacrées, c'est-à-dire séparées, interdites, croyances et pratiques qui unissent en une même communauté morale, appelée Eglise, tous ceux qui y adhèrent. » (Durkheim, "Les formes élémentaires de la vie religieuse")
III - Le profane et le sacré
La religion, nous dit Durkheim, est un système de croyances et de pratiques relatives à des choses sacrées. Effectivement, toute religion est administration du sacré, toute conception religieuse du monde implique la distinction du sacré et du profane. Qu'est-ce à dire exactement? Profane vient du latin "pro fanum" (devant le temple). Le profane, c'est donc, étymologiquement, ce qui est à l'extérieur du lieu consacré, par opposition au sacré, qui appartient à un ordre de choses séparé, réservé et inviolable. Comme le note Durkheim, sacré et profane sont deux termes corrélatifs qui n'ont de sens que l'un par rapport à l'autre et forment un cadre essentiel de la pensée. Ce qui ne signifie pas que la notion de sacré soit très claire : en fait, le sacré est une qualité que les choses ne possèdent pas par elles-mêmes, mais qu'une grâce mystérieuse vient leur ajouter. C'est donc la propriété stable ou éphémère de certaines choses (les instruments du culte), de certains êtres (le roi, le prêtre), de certains espaces (le temple, l'église, le monastère...). Qualité produite par une grâce, le sacré est, pour le croyant, source de toute efficacité. C'est une force avec laquelle l'homme doit compter, une énergie incompréhensible et dangereuse qui vivifie l'expérience religieuse. «Le domaine du profane se présente comme celui de l'usage commun, celui des gestes qui ne nécessitent aucune précaution et qui se tiennent dans la marge souvent étroite laissée à l'homme pour exercer sans contrainte son activité. Le monde du sacré, au contraire, apparaît comme celui du dangereux et défendu : l'individu ne peut s'en approcher sans mettre en branle des forces dont il n'est pas le maître et devant lesquelles sa faiblesse se sent désarmée. » (R. Caillois, "L'homme et le sacré", Gallimard, 1961)
IV - Les deux formes de la religion (prolongement)
1 - La religion statique
Mais une analyse plus fine de la religion renvoie non seulement aux catégories du sacré et du profane, mais à une forme statique et à une forme dynamique de l'expérience religieuse. Ainsi Bergson a-t-il mis en évidence cette dualité d'aspects du phénomène religieux, dans Les deux sources de la morale et de la religion. La religion statique permet d'assurer la conservation sociale : les tabous et interdits religieux sont avantageux à la société et à l'espèce. Ainsi en est-il des interdits réglementant les relations sexuelles, manifestement utiles pour assurer la bonne cohésion des groupes. Assurance contre la désorganisation, la religion statique permet aussi de se prémunir contre l'angoisse de la mort. En effet, les animaux ne savent pas qu'ils doivent mourir. Mais l'homme, lui, sait qu'il est destiné à disparaître. Que de tristesse et de désespoir dans cette idée de la mort ! D'où l'image, que va nous fournir la religion, d'une continuation de la vie après la mort. On fait d'ailleurs fréquemment coïncider l'apparition du phénomène religieux dans la préhistoire avec les premières tombes retrouvées par les archéologues. C'est, en troisième lieu, une assurance contre l'imprévisibilité que nous fournit la religion. En effet, l'application de l'intelligence à la vie introduit le sentiment du risque. Si l'animal est sûr de lui-même, si rien ne s'interpose chez lui entre le but et l'acte, l'intelligence connaît une marge d'imprévu, puisqu'elle combine des moyens en vue d'une fin parfois lointaine. Avec les rites religieux, l'imprévisibilité tend à s'amenuiser et à perdre du terrain. Ainsi se dévoile la fonction générale de la religion statique: « C'est une réaction défensive de la nature contre ce qu'il pourrait y avoir de déprimant pour l'individu, et de dissolvant pour la société, dans l'exercice de l'intelligence. » (Bergson, op. cité)
V - Les deux formes de la religion
2 - La religion dynamique et le mysticisme
Si la religion statique a une fonction essentiellement sociale, la religion dynamique, celle des mystiques, transporte l'âme sur un tout autre plan, celui de l'amour. Aussi la religion dynamique se propage-t-elle par attirance amoureuse. Ainsi se forme le cortège des mystiques : adeptes des mystères d'Isis et d'Osiris, disciples de Dionysos, initiés de l'orphisme, disciples de Pythagore, contemplatifs de l'Inde, etc. Mais le mysticisme complet, prise de contact totale et coïncidence absolue avec la divinité semble être l'apport de la mystique chrétienne, continuatrice des prophètes d'Israël. Ces explorateurs d'une terre inconnue ne nous apportent-ils pas l'espérance fondée? À la religion statique conçue comme principe de cohésion sociale s'oppose la religion dynamique dont l'amour est le principe. Dieu apparaît à l'âme mystique comme une Présence et une Illumination. « Ébranlée dans ses profondeurs par le courant qui l'entraînera, l'âme cesse de tourner sur elle-même, échappant un instant à la loi qui veut que l'espèce et l'individu se conditionnent l'un l'autre, circulairement. Elle s'arrête, comme si elle écoutait une voix qui l'appelle. Puis elle se laisse porter, droit en avant. Elle ne perçoit pas directement la force qui la meut, mais elle en sent l'indéfinissable présence, ou la devine à travers une vision symbolique. Vient alors une immensité de joie, extase où elle s'absorbe, ravissement qu'elle subit : Dieu est là, et elle est en lui. » (Bergson, op. cité) C'est par cette voie que sont nées toutes les grandes religions qui apparaissent ainsi aux hommes comme des vérités révélées.
VI - La critique de la religion
1 - Feuerbach
Ce qui semble simple et évident à l'âme religieuse ne paraît au critique que le produit d'une longue construction psychologique et sociale. Esquissons cette mise en question et cette interprétation du phénomène religieux, sans décider le moins du monde de sa valeur objective. Déjà, dans l'Antiquité grecque et latine, les philosophes matérialistes, Épicure et Lucrèce, virent dans la peur l'origine de l'idée de Dieu. La peur a créé les dieux, notait Lucrèce à la suite de son maître Épicure. A l'époque moderne, c'est "L'essence du christianisme" (1843) de Ludwig Feuerbach, qui a marqué un tournant décisif. Feuerbach y pose le problème religieux en termes d'interprétation et de sens. Quel est le sens du phénomène religieux? Si nous décryptons la religion, ce que nous trouvons en elle, c'est l'homme. Dieu est la personnification de l'espèce humaine. La religion n'est rien d'autre que la relation de l'homme à lui-même. Tous les attributs de Dieu peuvent, en effet, être rapportés à l'expérience humaine personnalité, existence, conscience, volonté, amour de soi, bonté. Mais cette essence humaine est ici aliénée, prêtée à un autre et objectivée en lui. Tel est le mécanisme fondamental de la projection religieuse. L'homme objective et extériorise son essence et se constitue lui-même en objet. Il en résulte que la projection religieuse est aliénation : pour enrichir Dieu, l'homme doit se faire pauvre. L'humanité de Dieu révèle !'inhumanité de l'espèce humaine. «Puisque le positif, l'essentiel dans l'intuition ou la détermination de l'être divin n'est que l'humain, l'intuition de l'homme en tant qu'il est objet de la conscience, ne peut être que négative, misanthrope. Pour enrichir Dieu, l'homme doit s'appauvrir; pour que Dieu soit tout, l'homme doit n'être rien... L'homme - tel est le mystère de la religion - objective son essence, puis à nouveau fait de lui-même l'objet de cet être objectivé, métamorphosé en un sujet, une personne. » (Feuerbach, "L'essence du christianisme").
Prolongement: la religion comme aliénation de l'essence humaine
VII - La critique de la religion
2 - Marx
L'essence du christianisme va être, pour Marx, une illumination. Aussi la critique marxienne de la religion procède-t-elle directement de Feuerbach. Cependant, Marx souligne les lacunes de la critique trop abstraite de son maître : il s'efforce de mieux rattacher le phénomène religieux à la réalité historique concrète. Dieu tout-puissant résume les impuissances naturelles et sociales de l'homme. La nature et le monde historique se dressent, étrangers et inexplicables, en face des hommes qu'ils dominent. La religion représente à la fois l'impuissance des hommes, leur aliénation, mais aussi une actualisation fantastique leur permettant d'établir une compensation idéale. Dans les représentations habituelles de Dieu et du paradis, ne lit-on pas en filigrane le destin des hommes asservis, leurs rêves et leurs projections dans un au-delà imaginaire? Dieu est la réalisation fantastique de l'être humain parce que celui-ci ne possède pas de vraie réalité. Ainsi la religion apparaît-elle comme le monde à l'envers. Dans la religion, l'homme trouve le reflet de lui-même, mais inversé, avec ses rêves, ses espérances, ses illusions. Le paradis est la conscience inversée de notre monde. « La religion est la théorie générale de ce monde, sa somme encyclopédique, sa logique sous forme populaire, son point d'honneur spiritualiste, son enthousiasme, sa sanction morale... Elle est la réalisation fantastique de l'être humain, parce que l'être humain ne possède pas de vraie réalité. La détresse religieuse est, pour une part, l'expression de la détresse réelle, et pour une autre, la protestation contre la détresse réelle. La religion est le soupir de la créature opprimée, l'âme d'un monde sans cœur, comme elle est l'esprit de conditions sociales d'où l'esprit est exclu. Elle est l'opium du peuple... La religion n'est que le soleil illusoire qui gravite autour de l'homme tant que l'homme ne gravite pas autour de lui-même. » (Marx, "Critique de la philosophie du droit de Hegel").
L'opium du peuple ?
L’analyse de la religion peut se développer, à partir de là, sur un autre plan, où la dimension sociale et politique prime la dimension psychologique et individuelle. La religion apparaît alors comme le « bonheur illusoire du peuple». Elle le console de sa misère sociale par l’espérance d’un au-delà heureux. Elle est donc «l’opium du peuple », dont la fonction est de rendre supportable le malheur des hommes dans des sociétés injustes. Mais l’opium ne guérit pas, il calme et endort les souffrances. C'est pourquoi il faudrait détruire moins la religion que ce qui la rend inévitable : des conditions sociales qui expliquent son importance. « Exiger que le peuple renonce à ses illusions sur sa condition, c'est exiger qu’il abandonne une condition qui a besoin d’illusions. » Autrement dit, Marx critique la religion qui abuse l’homme, « non pas pour que l’homme porte ses chaînes prosaïques et désolantes, mais pour qu’il secoue ses chaînes et cueille la fleur vivante», qu'il transforme la réalité sociale où il ne survit que grâce à des illusions pour construire un monde où serait possible un bonheur réel.
Prolongement: La religion ou l'opium du peuple
VIII - La critique de la religion
3 - Freud
Illusion ! Voilà le grand mot lâché par Marx : la religion est un soleil illusoire. Freud reprendra ce thème de la religion comme illusion. Mais le ressort de cette illusion se trouve aux yeux de Freud dans la détresse infantile qui éveille le besoin d'être protégé. L'homme angoissé se cramponne à un père tout-puissant. En somme, Dieu n'est qu'une illusion dérivée de désirs humains. De même que Marx voyait dans l'impuissance historique la source des religions et de l'idée de Dieu, de même Freud aperçoit dans la faiblesse psychologique l'origine de la religion. Cette illusion religieuse ne doit-elle pas être dépassée? «Je suis en contradiction avec vous lorsque, poursuivant vos déductions, vous dites que l'homme ne saurait absolument pas se passer de la consolation que lui apporte l'illusion religieuse... Le stade de l'infantilisme n'est-il pas destiné à être dépassé ? L'homme ne peut éternellement demeurer un enfant, il lui faut s'aventurer dans l'univers hostile. » (Freud).
La religion: une illusion, répondant au désir infantile de protection?
La fonction «d'assurance contre la dépression» n'est pas sans évoquer une autre fonction : satisfaire dans l’imaginaire le désir infantile d'être protégé. Freud dit, à ce propos, de la religion qu'elle est une illusion, et que « ce qui caractérise l'illusion, c’est d’être dérivée des désirs humains». Dans la croyance religieuse comme dans toute croyance, « la réalisation d'un désir est prévalente ». La force d’une croyance est proportionnelle à la force des désirs qu’elle satisfait dans l’imaginaire. L’illusion religieuse satisfait un désir très archaïque et très puissant : celui d'être protégé en étant aimé. Tout enfant a connu l’état de détresse (impuissance à satisfaire par soi-même ses besoins) dont la protection parentale permet d'apaiser l’angoisse. Cette « impression terrifiante» dure toute la vie. Par ailleurs, la nature reste toujours menaçante (maladie, conscience du temps et de la mort), et la vie sociale, imparfaite, contraignante, est nécessaire pour s’opposer à cette menace. La croyance en un Être suprême (Dieu), qui dirige avec bienveillance le cours des événements (Providence), n’abandonne pas ses créatures, récompense le juste dans l’au-delà (immortalité de l’âme), etc., doit être comprise sur le modèle des rapports entre un enfant et ses parents. « La religion serait la névrose obsessionnelle universelle de l’humanité; elle dérive du complexe d’Œdipe, des rapports de l'enfant au père. » Une névrose est une affection psychologique qui, selon Freud, a ses racines dans l’histoire infantile du sujet. Comme la névrose obsessionnelle, la religion se compose de la répétition de pratiques (rites, cérémonies), d'images, de mots (prières, etc.) que les croyants s'imposent et qui calment l'angoisse.
Conclusion
Il n'est évidemment pas question de prendre ici position. Notons seulement que l'univers du croyant et de l'incrédule représentent deux visions du monde antithétiques et irréductibles.
SUJETS DE BACCALAURÉAT
- La religion est-elle une illusion ? -Dieu est-il mort? - Une religion peut-elle avoir la même fonction que la philosophie ? - Les religions peuvent-elles être objet de science? - Est-il déraisonnable de croire en Dieu ? - Une religion sans croyance est-elle possible? (Grenoble, B, 83) - La religion est-elle fondée sur la peur de la mort ? - La croyance religieuse implique-t-elle nécessairement une démission de la raison ? - La démarche de la raison exclut-elle tout recours à la foi? - Des relations existent-elles entre l'art et la religion ? - Que penser de cette définition : «L'homme est un être qui s'invente des dieux » ? - La raison entre-t-elle nécessairement en conflit avec la croyance religieuse?
Une religion est un ensemble de croyances et de dogmes, d'institutions et de rites, qui situent l'homme et la nature par rapport à des êtres surnaturels.
I. LE FAIT RELIGIEUX
- A - La religion comme principe d'explication. L'état théologique ou fictif (c'est-à-dire dominé par l'imagination) est, selon Auguste Comte, le premier état de toutes nos connaissances. C'est dire que la religion apparaît d'abord comme un ensemble de conceptions naïves relatives à l'univers, le recours aux dieux étant l'explication la plus facile et la plus naturelle des phénomènes. Mais, sous l'influence de la raison, l'état théologique évolue de lui-même du fétichisme ou animisme (cf. Thalès : « Tout est plein de dieux ») au polythéisme, qui est «le vrai théologisme», puis au monothéisme, qui préfigure l'état métaphysique dans lequel l'abstraction de la Nature remplacera Dieu.
- B - La religion comme force sociale. La religion ne relève pas seulement de la raison, mais aussi du sentiment et elle est essentielle au consensus social. C'est pourquoi le Système de politique positive de Comte avait pour sous-titre «Traité de sociologie instituant la religion de l'humanité». Insistant sur ce rôle de la religion et constatant que Dieu est ordinairement conçu comme l'allié ou le protecteur d'un groupe social déterminé, Durkheim affirme que «la divinité, c'est la société transfigurée et pensée symboliquement». Dans un sens assez proche, les marxistes voient dans la religion un «appareil idéologique d'État» (L. Althusser), c'est-à-dire une des institutions par lesquelles la classe dominante impose son idéologie.
- C - La religion comme fait humain. Alain voit plutôt dans les religions la transposition de l'expérience enfantine: les dieux sont pour les hommes des volontés supérieures semblables à ce que sont les adultes pour les enfants, et le monde des religions est à la mesure de l'homme comme le monde des contes est à la mesure de l'enfant. Aussi est-ce l'homme tout entier que nous retrouvons dans les religions, que l'on peut classer, en reprenant la description platonicienne du « sac de peau », en religion de la nature, religion de l'homme et religion de l'esprit. Car la succession historique ne doit pas nous masquer l'unité profonde des religions diverses où il faut voir, plus encore que des étapes, des «étages de l'homme».
II. LES TROIS RELIGIONS
- A - La religion de la nature. L'homme est d'abord animal et pris dans la nature. Aussi la religion première - dans tous les sens du terme - repose-t-elle sur la crainte et sur l'adoration des forces naturelles, sur le culte de la vie et des animaux. C'est une religion paysanne (paganisme vient du latin paganus = paysan), qu'exprime fort bien le dieu Pan (panthéisme) et qui est lié à l'art que Hegel appelle «symbolique», où la forme humaine est mêlée à la forme animale. Elle traduit une attitude raisonnable de l'homme en face de la toute-puissance de la nature, attitude faite d'acceptation mais aussi de confiance et d'espoir (cf. les fêtes païennes).
- B - La religion de l'homme. Les cités, dans lesquelles la sécurité des nuits et la paix des marchés sont si précieuses, ont donné naissance à une religion politique ou religion urbaine dont l'Olympe, avec division et hiérarchie des pouvoirs (polythéisme), est le symbole. Ses dieux sont à l'image de l'homme et sa meilleure expression est le culte des héros, protecteurs des cités, qui sont à mi-chemin entre les hommes et les dieux et dont la vertu propre est le courage. La statuaire de la Grèce antique (cf. l'art «classique» de Hegel) témoigne parfaitement de cet idéal de l'homme, maître de soi et maître de la nature, dont s'approche l'athlète.
- C - La religion de l'esprit. Au-dessus des forces de la nature et des forces de l'homme apparaît une valeur suprême qui est l'esprit universel, maître exigeant mais sans puissance (cf. l'image de l'enfant-Dieu), dont le royaume n'est pas de ce monde, comme le rappelle la croix du Christ. Tout l'art chrétien, que Hegel appelle «romantique», signifie que le problème essentiel est de sauver son âme et qu'il ne faut pas confondre le pouvoir spirituel et le pouvoir temporel. Mais la religion de l'esprit n'est jamais totalement purifiée du culte de la nature (cf. la continuité des fêtes païennes aux fêtes chrétiennes: Pâques, par exemple, c'est la résurrection et le printemps) ni du culte de la force (cf. le Dieu tout-puissant), parce que l'homme n'est jamais un pur esprit.
CONCLUSION Marx disait, en songeant surtout au christianisme, que la religion est «l'opium du peuple», mais il l'entendait ainsi: «C'est le soupir de la créature accablée, l'âme d'un monde sans âme et l'esprit d'un monde sans esprit». C'est reconnaître qu'en un sens la religion est essentielle à l'homme et c'est pourquoi Alain cherche à en rendre compte à partir de «la nature humaine, mère de tous les dieux».
CA PEUT SERVIR
En littérature : les textes sacrés comme la Bible, le Coran... La littérature relevant de l’expérience religieuse (Introduction à la vie Dévote de saint François j de Sales), les écrits des mystiques (saint Jean de La Croix, sainte Thérèse d’Avila) ; Diderot, La Religieuse ; Chateaubriand, Le Génie du christianisme ; Dostoïevski, Les Frères Karamazov ; Flaubert, Un cœur simple, La Tentation de saint Antoine ; G. Bernanos, Journal d'un curé de campagne, Sous le soleil t de Satan, etc.
Peinture : tout Part religieux. On pourra lire, sur la question de la représentabilité du divin, L'Icône du Christ de Ch. Schönborn ; Architecture gothique et pensée scolastique d’E. Panovsky.
Cinéma : les films de K. T. Dreyer, notamment La Passion de Jeanne d'Arc, Jour de colère (Dies irae), Ordet ; J. Rivette, Suzanne Simonin, La Religieuse de Diderot ; R. Bresson, Le Procès de Jeanne d'Arc; Le Journal d'un curé de campagne ; l’adaptation de Sous le soleil de Satan de M. Pialat ; A. Cavalier, Thérèse ; R. Allio, Les Camisards ; R. Rosselini, Le Messie.
Indications de lecture
- Platon, Eutyphron ou De la piété.
- Saint Augustin, Les Confessions, La Cité de Dieu.
- Lucrèce, De rerum natura (livre V), De la nature, (livre V).
- B. Pascal, Pensées.
- B. Spinoza, L’Éthique, Traité théologico-politique.
- G. Leibniz, Théodicée.
- J. -J. Rousseau, Du contrat social (livre IV).
- D. Hume, Dialogue sur la religion naturelle.
- E. Kant, La Religion dans les limites de la simple raison.
- L. Feuerbach, L’Essence du christianisme, 1841.
- Holbach, Le Bon Sens du Curé Meslier, 1772.
- G. W.F. Hegel, L ’Esprit du christianisme et son destin.
- K. Marx, Manuscrits de 1844, Critique de la philosophie du droit de Hegel 1844 , Kierkegaard, Riens philosophiques, Gallimard, Postscriptum aux miettes philosophiques, Gallimard, 1844.
- A. Comte, Système de politique positive ou Traité de sociologie instituant la religion de l humanité, 1851.
- S. Freud, L ’Avenir d’une illusion.
- E. Durkheim, Les Formes élémentaires de la vie religieuse, PUF, rééd. 1985.
- H. Bergson, Les Deux Sources de la morale et de la religion.
- R. Caillois, L’Homme et le Sacré, Gallimard, 1970.
- M. Eliade, Dictionnaire des religions, 1990.