LA RELATION MAÎTRISE-SERVITUDE CHEZ HEGEL
SUPPLEMENT = LA RELATION MAÎTRISE-SERVITUDE CHEZ HEGEL
- De la conscience immédiate à la conscience de soi (=réflexive)
« La Phénoménologie de l'esprit » (chapitre IV) (1807): le passage de la conscience immédiate à la conscience de soi (cad réflexive) requiert la médiation d'autrui.
RAPPEL: COURS SUR LA CONSCIENCE:
Dans la conscience psychologique, on distingue :
- La conscience immédiate = Conscience au premier degré que nous partageons avec l’animal. Le fait conscient ne se distingue pas de la conscience qu’on en a.
- La conscience réflexive (« retour sur soi », « introspection ») = Conscience au second degré. Nous ne la partageons pas avec l’animal. Le fait conscient se distingue de ce dont elle est conscience. Aperception. Retournement de la pensée qui se pense elle-même: J’ai conscience d’avoir conscience, j’ai conscience de moi-même.
Exemple de la méchanceté / jalousie = on n’est pas méchant/jaloux tout seul, mais par/pour les autres, ne serait-ce que pour les faire souffrir ! Viendrait-il à l’esprit de quelqu’un de vouloir faire souffrir une pendule?! C’est donc grâce à autrui que j’ai accès (/conscience) à (/de) ce que je suis. J’ai besoin de lui pour me connaître : « Autrui est le médiateur entre moi et moi-même. » (Sartre, XXe). Je ne peux m'attester comme sujet libre et indépendant que si je suis reconnu comme tel par une autre conscience cad une autre liberté. Un objet, une pomme ne peuvent me donner une conscience de soi. La pomme ne peut rien m’apprendre sur moi-même. Elle ne peut me donner aucune certitude sur soi. Chacun veut être reconnu par l’autre comme liberté, comme conscience. L’enjeu de cette dialectique est la reconnaissance de soi par l’autre. L'autre est ce par quoi ou ce par qui je deviens moi. Ça lui fait une belle jambe à Robinson sur sa Speranza d’être spirituel ou beau! Peut-il se le dire très longtemps tant que personne ne lui signifie qu’on le trouve spirituel ou beau ?
Dans le roman de Daniel de Foë (1719) / « Vendredi ou les limbes du pacifique » (Tournier): Seul sur son île avec son chien Tenn,
Robinson lutte contre la solitude, la folie, le délire, l’hallucination, le découragement et trouve son salut dans le travail et dans sa rencontre avec Vendredi, qu’il commence d’ailleurs, à réduire en esclavage…
- Comment l'on devient esclave ( = « Herr »: serviteur, valet) = THESE
Deux consciences se font face. Toutes deux veulent être reconnues comme libres vis-à-vis de l’autre.
Cette reconnaissance de l'une par l'autre s'effectue sur le mode de la lutte : chaque conscience cherche à s'imposer en niant celle de l'autre. Le désir se fait d'emblée agression, volonté anthropophagique d'absorber l'autre. Il est lutte pour s'assimiler la liberté, la conscience de l'autre : chacune des deux consciences se sentant comme La Conscience, veut être reconnue dogmatiquement par l'autre conscience comme telle, ce qui implique la négation de son altérité, de sa différence, de son propre être comme conscience. Il y a donc une lutte à mort, pour la reconnaissance : « chacun tend donc à la mort de l'autre ». Pour prouver mon humanité comme liberté, il faut que je coure le risque de ma mort, pour prouver mon indépendance à l’égard de la vie. Bien évidemment, il ne faut pas que la mort advienne à l'une des deux consciences, car alors elles auraient toutes les deux échoué dans leur tentative pour être reconnues comme la conscience, et cela les deux consciences le savent. Il faut que l'enjeu, la mort, ne soit pas joué jusqu'à la mort effective, que le jeu fatal aille aussi loin que possible sans se réaliser. Car il faut que la négation qui advienne ne soit pas la mort biologique de l'une des consciences, mais sa mort spirituelle : que l'une se nie pour affirmer l'autre.
De cette lutte à mort résulte:
- Un esclave: celui, qui tient plus à la vie qu’à la liberté, finit par se soumettre,
- Un maître: celui qui tient davantage à la liberté qu'à la vie manifeste sa supériorité, sa domination.
C'est donc en risquant sa propre vie que le sujet accède à l'autonomie : « L'individu qui n'a pas mis sa vie en jeu […] n'a pas atteint la vérité d'une conscience de soi indépendante. » Plutôt servir que mourir, pense le serviteur; plutôt mourir que servir proclame le maître (= « Knecht »). La mort sert donc de discriminant entre 2 consciences, l’issue du conflit dépend du rapport que chacun des 2 entretient avec la mort. C’est en dominant sa peur de mourir qu’on prouve son humanité. En échange de la vie sauve, le vaincu entre au service du vainqueur : il sera son esclave, il lui obéira en tout. Le vainqueur ne tue pas son prisonnier pour continuer à lire dans ses yeux sa supériorité (sa reconnaissance). L'esclave est le témoin-miroir de la supériorité du maître, car ainsi sont nés et le maître et l'esclave. Relation spéculaire, narcissique où le maître contemple son triomphe dans les yeux de son esclave.
Toute intersubjectivité est d’emblée violente et brutale. Hélas, les hommes commencent toujours par se déclarer… la guerre;-(. Vision pessimiste voire paranoïaque des relations intersubjectives.
Tout est combat, même l’amour. L’amour n’a pas de cœur… « Aimer, c'est vouloir être aimé. » (Sartre). Je désire être désiré, mais là encore je ne désire pas être désiré comme un objet de consommation. Je désire que l'autre me désire comme être désirant. Je désire que l'autre désire mon propre désir. Désirer autrui, c'est désirer être désiré comme être désirant. Quel est le désir de tout être amoureux ? N’est-ce pas d’abord de posséder l’être aimé, d’en faire sa chose ? Sous le regard, sous la caresse, dans la volupté, l'autre s'objective et devient uniquement corps, mais c'est son consentement libre, sa liberté même qu'exige le partenaire. De là les questions éternelles des amoureux qui mettent en doute l'engagement de leur liberté respective. Dans l’amour, on voudrait que l’autre nous aliène librement sa liberté. Le duo est un duel.
PROBLEMATISATION / TRANSITION :
L'insatisfaction de l'esclave est évidente. Mais le maître n'est pas heureux non plus malgré le confort matériel que le travail de l'esclave lui apporte. Car, en dépit des apparences, il n'a pas obtenu ce pour quoi il a risqué sa vie : la reconnaissance. Certes il est reconnu par la conscience dépendante comme la conscience unique. Il est reconnu par l'esclave comme étant le maître. Mais que vaut la reconnaissance d'un être qu'on n'a pas soi-même reconnu ? La reconnaissance de la valeur de celui qu'on reconnaît est la condition pour que la reconnaissance qu'il accorde à son tour ait de la valeur.
Mais que vaut la reconnaissance d’un esclave, cad d’un être qu’on n’a pas soi-même reconnu ? Que vaut une déclaration d’amour faite sous la contrainte ? Que vaut l’avis de quelqu’un que l’on méprise ?
Aux yeux du maître, le valet n’est pas un égal // aux yeux du citoyen grec, l’esclave est un « outil animé » (Aristote) // Madame de Maintenon se mettait nue devant ses servantes sans pudeur car elles n’étaient pas de son « rang ».
- Le travail comme affranchissement de l’esclave = ANTITHESE
L'esclave a certes perdu la liberté (= hétéronomie). Cependant, le travail servile contraint l'esclave à transformer la nature pour satisfaire les désirs de son maître. Il apprend par là-même à dominer la nature, et à s'en rendre « maître et possesseur » comme disait Descartes. En travaillant l’esclave transforme le monde et lui-même. Il peut ainsi se reconnaître dans ce monde qui porte la marque de son intériorité, de son intelligence, son savoir-faire, etc. L’esclave gagne la conscience de soi dans et par son travail. dira Hegel. Le travail permet à l’homme d’accéder à son humanité cad à sa liberté. Par le travail, l’homme accroît son savoir/pouvoir sur la nature, sa domination sur soi et sur le monde. Par son travail, l'esclave humanise, transforme la Nature, la matière (artisanat, agriculture, technique) mais aussi sa nature (l'homme apprend la patience, la résistance à la fatigue ou à la paresse, la maîtrise de soi, le goût de l'effort mais aussi un savoir sur le monde ≠ maître). Le travail est formateur. Grâce à son travail, l’esclave (re)conquiert une nouvelle liberté, une autonomie % à son maître. Le maître, qui jouit passivement des fruits du travail de son esclave, finit par devenir dépendant de son esclave. C'est ce renversement de la « dialectique »: le maître devient l’esclave de son esclave et l’esclave devient le maître de son maître. Défaite paradoxale du maître et victoire paradoxale de l’esclave.
- La réconciliation des consciences de soi = SYNTHESE.
Cette « dialectique » est la description d’une étape conflictuelle nécessaire dans le développement de la conscience de soi, étape qui doit être dépassée par la reconnaissance réciproque de toutes les consciences = « synthèse », « réconciliation » des consciences.
Le conflit n’est qu’un moment qui est destiné à être dépassé. Il n’y aura de véritable reconnaissance de soi que lorsque les consciences se reconnaissent mutuellement et réciproquement comme consciences libres et autonomes. Ma liberté n’a de valeur que si elle est reconnue, garantie par autrui. Ma liberté ne s’arrête pas où commence celle d’autrui, mais, elle commence avec la reconnaissance d’autrui. Que vaudrait un monde où je serais le seul être libre ? De même, que vaudrait un monde où je serais seul heureux et tous les autres malheureux ?
La fin de cette dialectique est la fin de l’Histoire, cad la fin des luttes et des violences.
- Illustration de cette « dialectique » dans l’histoire de la littérature.
Il faut comprendre cette dialectique comme la matrice logique de toutes les luttes réelles ou symboliques qui ont lieu dans l’Histoire.
Elle est l’archétype d'un grand nombre de relations humaines de : homme / femme, parents / enfants, élève / professeur, bourgeois / prolétaire, patient / médecin, maître / disciple, bourreau / victime, sadique / masochiste, gendarme / voleur, etc.
Chez Marivaux (†1763), les valets ont des revendications sociales.
Impossible chez Molière où Sganarelle reste soumis à DJ en 1665: Sganarelle est au service de Dom Juan : il le sert à table, reçoit des ordres et se soumet à ses moindres désirs. Il lui doit obéissance, et reçoit parfois des “soufflets”.
Relation de soumission totale de la volonté du serviteur à celle du maître; le valet, comme nous le montrent d'ailleurs certaines comédies de Molière, doit deviner ce que pense son maître, doit tout faire pour lui. C'est en quelque sorte, comme chez Hegel dans la « Phénoménologie de l'esprit » (chapitre IV), une lutte des consciences (Marx parlera de « lutte des classes »).
Dans le « Barbier de Séville » (1775 ) (Beaumarchais) = Figaro se juge comme l’égal de son maître (comte Almaviva). Dans le « Mariage de Figaro » (1778) = Figaro, le valet, devient le héros de la pièce. Il est insoumis, insolent vis-à-vis de son maître. Le valet et le maître se disputent la même femme, Suzanne.
Au XVIIIe siècle, « Jacques le fataliste et son maître » (1796): J. est en position de >té, il sait qu'il est indispensable à son maître « je vous suis essentiel ». Le M. ne peut que l’admettre, et J. est libre de quitter son M., celui-ci doit ainsi se soumettre. J. l'a bien compris et peut donc faire pression sur son maître à tout moment, selon son gré. Le constat est simple « J. mène son M. » et « ce drôle-là fait de moi tout ce qu'il veut » souligne Diderot. Relation inversée, victoire du valet. Maître dominé.
Le changement de position du valet au XVIIIe // Fin de l’aristocratie, de l’Ancien-Régime, naissance de l’idée démocratique.
La littérature annonce ce que la politique accomplira: Révolution française. Abolition du servage et des « privilèges » = nuit du 4 aout 1789. L’aristocratie, le royalisme sont remplacé par la démocratie et le républicanisme.
- Note méthodologique: Le plan dialectique
« Dialectique »: contradiction surmontée, cad allant de la thèse à l'antithèse, puis la synthèse. La contradiction de la thèse et de l'antithèse va tendre à se résoudre dans la synthèse. Il y a une part de vérité dans la « thèse ». Il y a une part de vérité dans l’ « antithèse ». La « synthèse » réconcilie l’une avec l’autre. La « synthèse » réalise leur union, leur dépassement. Le fruit (synthèse) n’est-il pas « évolution » et « résultat » de la graine (« thèse ») et de l’arbre (« antithèse ») ?
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