La philosophie de l’Histoire chez Hegel et sa critique
- Hegel et l’Histoire comme réalisation de l’Universel.
PRB = L’évolution de l’Humanité, telle que la relatent les historiens, obéit-elle à une rationalité, a-t-elle un sens (direction et signification) ? Quelle unité discerner dans le chaos des événements ? Ne peut-on distinguer un mouvement d’unification politique de l’espèce humaine ?
Pour Hegel, la Raison humaine, devient, dans le temps, de plus en plus claire et transparente. Ainsi, le philosophe peut-il découvrir une histoire de plus en plus rationnelle, pacifiée et libre. La marche de l’Histoire, c’est la marche vers la Liberté, vers la Rationalité : « Tout ce qui est réel est rationnel, tout ce qui est rationnel est réel » (« Préface de la Philosophie du Droit »).
D'étape en étape, de marche en marche, de tremplin en tremplin, l'histoire ne cesse de se simplifier et de s'unifier : chaque moment est préférable au précédent et offre le spectacle d'améliorations spirituelles: «… les Orientaux ont su qu’un seul homme est libre, le monde grec et romain que quelques-uns sont libres tandis que nous savons, nous, que tous les hommes sont libres, que l’homme en tant qu’homme est libre.»
Hegel: «La Raison dans l’Histoire».
« Rien ne s'est fait sans être soutenu par l'intérêt de ceux qui y ont collaboré ; et appelant l'intérêt une passion, en tant que l'individualité tout entière, en mettant à l'arrière-plan tous les autres intérêts et fins que l'on a et peut avoir, se projette en un objet avec toutes les fibres intérieures de son vouloir, concentre dans cette fin tous ses besoins et toutes ses forces, nous devons dire d'une façon générale que rien de grand ne s'est accompli dans le monde sans passion. [...] La passion est regardée comme une chose qui n'est pas bonne, qui est plus ou moins mauvaise ; l'homme ne doit pas avoir de passion. Passion n'est pas d'ailleurs le mot tout à fait exact pour ce que je veux désigner ici, j'entends en effet, ici, d'une manière générale l'activité de l'homme dérivant d'intérêts particuliers, [...] d'intentions égoïstes, en tant que dans ces fins il met toute l'énergie de son vouloir et de son caractère en leur sacrifiant [...] tout le reste. [...] Je dirais donc passion, entendant par-là, la détermination particulière du caractère en tant que ces déterminations du vouloir n'ont pas un contenu uniquement privé, mais constituent l'élément moteur et énergique d'actions générales. .../... Les grands hommes qu'Alexandre le Grand, Jules César et les hommes de la même espèce semblent obéir uniquement à leur passion, à leur caprice. Mais ce qu'ils veulent est l'universel. (... ) » Hegel.
Explication du texte:
La passion a souvent été méprisée. Le romantisme allemand restitue à la passion toute sa grandeur. La passion retrouve son aspect dynamique : elle crée l'histoire et le devenir. La passion permet d'accomplir de grandes oeuvres. Elle engendre le devenir historique. L’Histoire est en apparence chaos et désordre. L’Histoire nous montre les hommes livrés à la frénésie des passions, poursuivant leurs petits buts égoïstes. Intérêt personnel prime sur le bien commun. Mais, l’histoire ne va pas au hasard, elle est la marche graduelle, progressive par laquelle la Raison («l’Esprit du monde») parvient à sa vérité, par laquelle la Liberté parvient à sa réalité. Rationalisme et nécessitarisme à l’œuvre dans l’Histoire. Les passions sont au service de la fin dernière de l’Histoire = la réalisation de la Liberté absolue. Les passions servent l’Universel = «ruse de la raison». Par exemple, César ne croyait agir que pour son ambition personnelle mais il a construit et légué l’État romain, l’Empire, la civilisation. Les passions révolutionnaires de 1789 ont permis le progrès du droit, de la République et de la démocratie. La passion est le bras armé de la Raison et la réalise à l’insu même des hommes. LA PASSION EST UNE BONNE RAISON.
// Kant, avant Hegel, avait déjà découvert que c’est la vanité des hommes, leur désir de domination qui sont à l’origine de toute créativité sociale (cf. "insociable sociabilité"). Il avait perçu, avant Hegel, que rien de grand ne se fait sans passion, cad sans l’attachement intéressé des hommes. De conflit en conflit, l’espèce humaine approche de la réalisation de la forme d’organisation politique qui autorisera le règne sans partage de la liberté et d'une paix perpétuelle.
// Marx, après Hegel : philosophies de l'Histoire. Pour Hegel, la liberté est au point d'achèvement du développement historique. L'esclave de l'Antiquité, disait Hegel, n'était pas une personne humaine libre, parce qu'il n'avait pas conscience de son être esclave. La liberté se crée en se conquérant à travers l'Histoire et en s’incarnant dans des constitutions politiques. Les hommes n'ont pas à "apprendre qu'ils sont libres", ils ont à gagner leur liberté. Cette thèse a pris une autre ampleur chez Marx. Pour lui, l'achèvement de l'Histoire est dans sa libération complète de l'individu de tout ce qui l'opprime et l'empêche d'être lui-même ("aliénation" de l'homme dans le monde actuel). Dans la société communiste, l'homme vraiment libre.
- Critique de la conception hégélienne de l’Histoire :
[Critique de la théorie du «grand homme» (GH) de Hegel] Contre Hegel, le GH est celui qui s'empare de l'Histoire, suscite le projet collectif du "on" par son prestige, son charisme, sa vision, etc. Si Bonaparte (le simple soldat corse) a réussi, là où Dumouriez et Custine avaient échoué, c'est peut-être parce qu'il était Napoléon (le premier empereur).
L’Histoire, selon Hegel, parait s’identifier avec la Providence divine, une théodicée (du grec «thèos», «Dieu» et «diké», «la justice». La théodicée veut justifier la bonté et la perfection divine, malgré le mal qui règne dans le monde. Elle veut montrer qu'on ne peut pas rendre Dieu responsable des malfaçons du monde.
Tout se passe comme s’il y avait une providence, qui agit au mieux, en se servant des héros de l’histoire, qui deviennent le bras direct du devenir du monde… En marche ! Cette providence qui est, à l’origine, une idée chrétienne, devient l’expression même de la Raison, le monde étant, selon Hegel, intégralement rationnel.
A travers sa vision philosophique de l’histoire, Hegel redonne sens à la notion de providence et donc à l’idée chrétienne que la création est belle et entièrement dirigée par une volonté absolument bonne : «Notre proposition: la Raison gouverne et a gouverné le monde, peut donc s’énoncer sous une forme religieuse et signifier que la Providence divine domine le monde.» («La Raison dans l’Histoire».)
La philosophie de l'histoire de Hegel n'est qu'une théologie providentialiste laïcisée. Histoire comme la réalisation de la Jérusalem céleste de l' «Apocalypse» de Saint-Jean.
La philosophie hégélienne offre le danger de tout justifier (les pires atrocités) et de diviniser l’Histoire. Auschwitz était-il nécessaire ? De quoi est-il la nécessité ? L’éthique se résorbe dans l’historique. La philosophie hégélienne de l’Histoire repose sur le postulat du progrès, sur cette idée contestable que le changement va toujours, à long terme, vers un état meilleur, une plus grande réalisation de l’idée de liberté. L’Histoire ne connaît-elle pas des obscurités, des régressions ?
Certes, les progrès scientifiques et techniques peuvent être constatés et mesurés. Mais, au nom de quel critère pourrait-on affirmer un progrès moral ? Les erreurs aussi mènent le monde. L’espoir dans l’avenir de l’humanité est affaire de foi et non de raison.
Dans cette philosophie qui pose l'existence d'une loi immanente à l'Histoire et oriente son déroulement, on ne précise pas la part de liberté des hommes pendant que l'Histoire se déroule. Sont-ils, comme le laisse entendre Hegel, "les instruments aveugles du génie de l'Histoire" ? Auquel cas leurs volitions et leurs intentions sont bien ridiculement insignifiantes lorsqu'on considère celle réalité énorme qu'est l'Histoire. La philosophie hégélienne de l’Histoire tend à nier la liberté humaine puisque l’homme est toujours agi et non agent, voulu et non voulant. Pourtant, si les hommes se couchaient tous, il n'y aurait plus de loi de l'Histoire.
C’est sur ce point que la modernité a pris ses distances avec les philosophies. Nous ne pouvons plus admettre l’idée que les hommes soient les jouets involontaires d’une histoire inéluctable. Cette idée, qu’elle fasse intervenir une finalité providentielle mystérieuse ou qu’elle s’appuie sur un déterminisme inéluctable, nous semble être le fruit de croyances et issue de mythologies auxquels l’homme moderne n’adhère plus.
Liens utiles
- Écrivez une lettre de réponse à un critique qui reproche à Marguerite Duras son penchant à redire plusieurs fois la même histoire (comme dans : L'Amant - Un barrage contre le Pacifique - L'Amant de la Chine du Nord ainsi que la biographies sur Marguerite Duras de Laure Adler). Surpris et choqué par son point de vue, vous devez lui faire part de votre profond désaccord et vous devez défendre l'intérêt que peut avoir la démarche de Duras.
- Hegel: «La philosophie doit nécessairement être enseignée et apprise au même titre que n’importe quelle science».
- L'écrivain contemporain, Claude Roy écrit dans Défense de le Littérature (1968) : Certains esprits refusent le roman. Ils y voient une amusette, un gaspillage de force. Ils trouvent la vie (ou l'Histoire) plus riche en histoire, la science plus excitante et que la philosophie donne mieux à penser. Vous direz, en vous appuyant sur les textes du corpus, sur les romans que vous avez étudiez et sur vos lectures personnelles ce que vous pensez de ce jugement sur les romans rapporté par Cla
- « Il y a certaines vérités qu'il ne suffit pas de persuader, mais qu'il faut encore faire sentir. Telles sont les vérités de morale. Peut-être qu'[un] morceau d'histoire touchera plus qu'une philosophie subtile.» Vous réfléchirez à cette affirmation de Montesquieu (Lettres Persanes) en vous appuyant sur les documents du corpus.
- Taine écrit, dans ses Nouveaux essais de critique et d'histoire : « Nous avons vu dans La Bruyère un éloge du peuple, des réclamations en faveur des pauvres, une satire amère contre l'inégalité des conditions et des fortunes, bref les sentiments qu'on appelle aujourd'hui démocratiques. » Que pensez-vous de ce jugement ?